Algérie

Youcef Merahi, écrivain-poète, à L’Expression «Tizi Ouzou est un peu ma mère»



Youcef Merahi, écrivain-poète, à L’Expression «Tizi Ouzou est un peu ma mère»
Publié le 25.12.2023 dans le Quotidien l’Expression

Youcef Merahi a été poète. Il l'est encore et il le sera toujours. Il est également romancier, essayiste et chroniqueur de presse. Son nouveau livre est dédié entièrement à sa ville natale Tizi Ouzou. Il vient de paraître aux Éditions El Amel... de Tizi Ouzou.

L'Expression: À quoi peut-on attribuer votre grande passion pour la ville de Tizi Ouzou et qui vous a poussé à lui consacrer ce nouveau livre?
Youcef Merahi:D'abord au lien filial qui me lie à Tizi Ouzou; ensuite à ma mémoire obèse. Je crois pouvoir dire que Tizi est plus qu'un lieu de vie; tous mes souvenirs, bons ou mauvais, se concentrent dans cette ville; il y a mon enfance et sa magie; il y a mon adolescence qui s'est nourrie du charme de cette ville. A mon corps défendant, j'ai fait quelques infidélités à Tizi; je suis parti pour des études, le Service national, le boulot... Mais je n'ai jamais coupé les liens très forts qui m'unissent à cette cité. Je suis toujours revenu. Et chaque retour a été pour moi des retrouvailles magiques. J'ai de l'amour pour Tizi Ouzou. J'y ai tous mes repères, tous sans exception. C'est un peu ma mère; en dehors de ce milieu, je suis comme un poisson hors de l'eau. Ce livre, «Tizi Ouzou bris de mémoire», Éditions Al Amel, 2023, est une manière de rendre hommage aux personnes (enseignants, camarades d'école ou de lycée...) avec lesquelles j'ai partagé un moment de ma vie; c'est également un hymne à cette ville qui ne cesse de m'offrir un peu d'elle-même. Avec Tizi Ouzou, nous sommes comme un vieux couple, usé, fatigué et meurtri, mais la complicité -à défaut d'amour- est toujours intacte.

De quoi s'agit-il au juste dans ce livre?
Ce livre est un condensé mémoriel, sans prétention aucune. Sur conseil de mon ami Lazhari Labter (auteur de La petite cuillère et autres petits riens), je propose aux lecteurs «mes petits riens» qui se résument en mes souvenirs des amis d'enfance, de mes parents, de ma période scoute, de Zellal mon quartier de naissance... Je ne dévoile pas tout, n'est-ce pas? Au lieu de faire une autobiographie ou carrément mes mémoires, ce qui aura occasionné un travail trop lourd, j'ai préféré écrire des flashes de ma vie, tout simplement. Bien sûr, cet ouvrage est illustré par beaucoup de photos d'amis, de professeurs... Je voulais proposer des photos anciennes (du passé) pour laisser transparaître la réalité, ma (ou mes) réalité(s). L'ouvrage a rendu possible ce fait. Enfin, les échos me le disent clairement. Et puis, je l'ai toujours affirmé, l'être social n'est qu'une addition (une somme) de souvenirs.

Que regrettez-vous le plus dans cette ville?
Oh, je regrette beaucoup de choses: les amis qui nous ont quittés, les professeurs également qui ne sont plus de ce monde, notre adolescence. C'est le déroulé d'une vie, n'est-ce pas? Il n'y a pas que cela, malheureusement. Tizi-Ouzou était coquette, propre, avenante, accueillante, sûre et familiale (conviviale); puis, Tizi n'est plus Tizi; de l'eau a coulé sous le pont de Bougie; elle a mal grandi; elle est obèse, elle éclate de partout; sans âme; sans esthétique; le béton l'a enlaidie à un point inimaginable; elle n'est plus à taille humaine; c'est une ville quelconque, sans charme ni attrait. Je regrette d'être aussi méchant; qui aime bien châtie bien, comme on dit. Il se pourrait que je ne la vois plus comme avant; c'est juste mon ressenti, un ressenti de poète! C'est le Col des genêts, non? La couleur jaune de cette plante belle à voir est remplacée désormais par le gris du béton, mille fois hélas! Dans l'état actuel des choses, que pourrais-je montrer de spécifique à cette ville à un touriste? Répondez-moi, s'il vous plait.

Quand vous pensez à Tizi Ouzou de votre enfance et de votre adolescence quels sont les images, les personnages qui vous reviennent le plus à l'esprit?
C'est d'abord l'ambiance générale de la ville, une ambiance familiale, où tout le monde reconnaît tout le monde. Puis, ce sont les camarades d'école et de lycée; certains ont aujourd'hui, disparu, hélas; j'ai en tête Ahmed Zemirli, Ali Slimani, Sid Ali Fredj, Hanafi Mazari et Si Yahia Sedkaoui; d'autres sont pratiquement hors de contact, car se trouvant à l'étranger. À cette époque, il y avait les épiceries de quartier et ces boulangeries de l'époque qui reviennent souvent en mémoire; j'ai évoqué certaines dans ce condensé mémoriel. Enfin, je ne peux tout citer dans cet entretien; encore une fois, Tizi Ouzou était une ville à taille humaine; elle ne déborde pas comme aujourd'hui.

En y pensant, quels sensations vous traversent-elles?
Vaste question que celle-ci! J'éprouve des regrets de ressentir cette sensation pénible de ne plus reconnaître ma ville. On a changé ma ville. J'éprouve beaucoup de nostalgie. Et tout ça pèse sur ma mémoire. Je le pense sincèrement, sans parti pris. Aussi, j'ai entrepris de préparer ce modeste ouvrage, en y incluant des photos surtout d'époque. J'espère avoir réussi à retracer légèrement les sensations de l'époque.

La majorité des écrivains est liée, très liée, à une ville, généralement celle de leur enfance, un lien qui peut aller jusqu'à l'obsession dans bien des cas. Pourquoi d'après vous?
Jusqu'à l'obsession, peut-être pas en ce qui me concerne. Néanmoins, je reste attaché à cette ville, ma ville natale; c'est une manière de me sentir enraciné quelque part. Il se trouve que cette ville, c'est Tizi-Ouzou.
Puis, je trouve qu'elle est particulière à différents égards; elle est la capitale d'une région disposant de certaines spécificités; je n'invente rien, il faut juste interroger l'histoire; elle est justement riche de son histoire. L'écrivain lié à sa ville, c'est une manière d'avoir un point de départ, un port d'attache, une mémoire collective et, certainement, un destin.
On ne peut pas séparer «comme ça» l'histoire de sa géographie. Prenez les écrits de Mouloud Feraoun et/ou de Mouloud Mammeri, pour ne citer que ceux-là. Puis, le territoire de l'enfance est un lieu magique eu égard à beaucoup de paramètres.

Que reste-t-il de Tizi Ouzou de votre enfance et adolescence dans celle d'aujourd'hui, presqu'entièrement métamorphosée?
Il ne me reste qu'une mémoire carnivore qui me renvoie, sans cesse, l'image d'une ville (Tizi Ouzou) familiale, à portée de regard et de coeur, qui peut tenir dans la paume d'une main, une ville ouverte, aimante et aimée, et, qui en l'espace de quelques années, s'est retrouvée bouffie, obèse et étrangère aux siens. Je précise, Aomar, que j'ai une relation poétique avec ma ville natale; je ne peux la voir qu'à travers les sonorités d'un poème. Et tous ceux qui m'ont donné un moment de leur rire, un regard amical, une part de complicité passée, m'accompagnent souvent dans mes déambulations dans les rues et ruelles de ma ville.

Comment a été accueilli ce livre par vos lecteurs?
Pour le moment, j'ai des échos favorables et j'en suis content. Maintenant, nul n'est infaillible. J'ai écrit cet ouvrage avec mon coeur, en ayant le souci d'être près de la vérité mémorielle. Or, nous savons que la mémoire humaine est oublieuse. Il y a des oublis, j'en suis conscient. Je me rattraperai la prochaine fois.

Si un jour vous seriez obligé de quitter la ville pour vous installer dans une autre ville, peut-on savoir sur laquelle votre choix se porterait?
Sincèrement, je ne me vois pas quitter Tizi Ouzou. J'y ai mes repères et mes habitudes. Je suis un peu casanier, je n'aime pas trop les changements. Bien sûr, il y a des jolis endroits où un Algérien pourrait s'épanouir. Je pense à Alger, Guelma, Ghardaïa, Bougie, Oran, etc. Ecrire sur une ville que nous habitons et qui nous habite nous permet quoi au juste?
C'est une façon de rendre hommage à la ville de naissance et de résidence. Par cet ouvrage, j'ai voulu écrire sur Tizi, mais aussi sur les Tizi Ouziens qui, à un moment de ma vie, m'ont «offert» quelque chose; c'est également une manière de mettre en évidence cette seconde rencontre avec ce lieu de vie, pour la simple raison qu'il faut remonter loin dans sa mémoire et se rappeler ceux qui nous ont marqué à un moment donné du parcours de vie; se rappeler également des lieux, comme l'école Jeanmaire, le lycée Amirouche, le groupe El Hillel (scout), etc. Il y a comme ça des bribes de mémoire qui m'obligent à repartir vers ce passé et me poussent à des rappels incessants.
Aomar MOHELLEBI



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