Youcef Abdjaoui Unique, inimitable et irremplaçable

Publié le 20.10.2024 dans le Quotidien l’Expression
Les chansons de Youcef Abdjaoui continuent de résonner encore et d'éblouir les mélomanes férus de belles mélodies et de poésie raffinée.
Youcef Abdjaoui qui nous a quittés à l'âge de 64 ans en octobre 1996, avait un talent et un savoir-faire musical qui lui permit de se hisser très haut dans la sphère de la chanson kabyle. Non seulement il était doté d'un talent exceptionnel, mais aussi, il était prolifique. La diversité thématique est l'un des points forts de la poésie chantée par Youcef Abdjaoui. Il était très imprégné des réalités vécues par les siens. Il parvenait à dépeindre avec une précision d'orfèvre toutes les facettes de la vie dans sa société. Sa façon de traiter des sujets qui lui tenaient à coeur avait un cachet propre à lui. L'un des exemples les plus édifiants est sa chanson Thit d wul (l'oeil et le coeur). Cette dernière fait partie des plus belles chansons d'amour d'expression kabyle de tous les temps. En plus de la musique que lui a composée le regretté Youcef Abdjaoui, son texte est d'une originalité inédite. L'auteur met en avant un dialogue à la limite de l'absurde autour de l'origine du sentiment amoureux. Quand un coup de foudre survient, la faute ou la responsabilité incombe-t-elle à l'oeil ou bien au coeur. L'oeil a vu et le coeur a réagi. Déjà l'idée de bâtir un poème amoureux sous un tel angle est extrêmement originale. Ajoutons à cela le fait que Youcef Abdjaoui réussit à développer son thème sur plusieurs couplets s'enchainant harmonieusement et poétiquement. Il en est de même dans pas mal d'autres chansons de Youcef Abdjaoui comme quand il abordait le thème très prisé de l'exil. Quand un sujet traité de manière aussi abondante, il est très difficile de ne pas tomber dans la redondance. Il est toujours ardu d'appréhender sous un angle inédit un sujet dont on a parlé maintes fois. Il est donc indispensable de trouver de nouvelles manières de le traiter. C'est le cas de la chanson éditée à titre posthume et portant pur titre «A taxi». Ici, Youcef Abdjaoui décrit dans le moindre détail et avec des expressions débordant d'émotion le retour d'un exilé après de longues années d'absence. Il a hâte d'arriver dans son village natal et pour ce, il conjure le chauffeur du taxi à presser le pas. Youcef Abdjaoui parvient à mettre le mélomane au coeur de cette ambiance où le bonheur absolu est mêlé à l'angoisse de l'incertitude. Youcef Abdjaoui a abordé, dans sa poésie, d'autres sujets qui touchent directement les citoyens issus de la même société que lui, comme l'amitié, la trahison, l'hypocrisie sociale, l'exil, les difficultés de la vie... Sur le plan musical, Youcef Abdjaoui est un artiste unique en son genre. Car il réussit à faire un mixage équilibré et sans fausse note entre deux styles d'apparence incompatibles. Il s'agit du chaâbi et de l'oriental. Youcef Abdjaoui mêle donc l'authentique style hérité du Cardinal El Anka aux notes des orchestrations orientales incarnées par Farid El Atrache et d'autres piliers. Youcef Abdjaoui fait partie des artistes dont la disparition laisse un vide impossible à combler car ils sont uniques, inimitables et irremplaçables. A. M.
Aomar MOHELLEBI