Algérie

YAHIA BOUBEKEUR, AUTEUR “Chaque lieu en Algérie renvoie à une douleur”



YAHIA BOUBEKEUR, AUTEUR “Chaque lieu en Algérie renvoie à une douleur”
Liberté : Comment est né le projet d’écriture de ce livre ?

Yahia Boubekeur : J’ai tout le temps écrit et j’aime écrire, mais c’est la première fois que je publie. À travers mes déplacements, aussi bien professionnels que non professionnels que j’effectue à travers le pays, je voulais mettre en exergue toute la beauté des paysages. Je suis sorti tellement dans le pays que je me suis lié d’amitié avec les montagnes, les oueds… si bien que je voulais en faire des personnages à part entière. Ensuite quand j’ai entamé l’histoire du voyage, ce dernier s’est transformé.

C’est devenu des haltes historiques. Quand je me suis arrêté à Lakhdaria par exemple, je n’ai pu m’empêcher d’évoquer l’embuscade qui a eu lieu dans cette ville, organisée par le colonel Amrane, une bataille fondatrice de la Révolution. Quand on va à Bou-Sâada, c’est la même chose. Avec toute sa beauté, l’opulence de ses montagnes, de la palmeraie. On peut y voir les vestiges de la bataille de Sidi Thameur. Plus loin, au niveau de Zaâtcha, dans laquelle cheikh Bouziane et son fils furent décapités, mais aussi 10 000 palmiers qui ont été “décapités” au sens propre. En faisant le voyage, j’ai réalisé que les paysages c’est aussi des résistants. L’Algérie a de tout temps été envahie. Les seules victoires dont on parle ne sont pas celles des conquêtes, mais des résistances. On n’a fait que riposter. C’est un peu dramatique aujourd’hui parce qu’on dit que l’Algérien est violent. Alors qu’à travers les millénaires, il n’a jamais agressé un autre peuple. Comment se fait-il aujourd’hui, paradoxalement, qu’on dise ceci alors qu’il n’a fait que subir cette violence. Chaque lieu, chaque beau paysage qu’on voit, renvoie à une douleur. Cette beauté ne serait peut-être pas ainsi s’il n’y avait pas cette violence derrière. C’est ce que je voulais traduire en fin de compte. Je ne sais pas si j’ai réussi. Je voulais traduire cette Algérie résistante, d’humilité et cette blessure qu’on porte tous en nous, qui peut être tapie, mais dont on souffre tous.

Votre ouvrage est moins le récit d’un voyage que celui du passé et présent de tout un pays…

C’est mon Algérie à moi telle qu’elle se dégage à travers mes voyages, c’est l’Algérie de chacun. Une Algérie blessée, et cela émane de chaque lieu. Quand vous allez à Arris, que vous voyez une vieille avec un fardeau de bois sur le dos. Quand elle vous regarde dans les yeux vous lisez l’Algérie. Elle n’a rien, mais si vous lui parlez de son pays, elle résistera autant que vous. Même si sur le plan matériel elle n’a rien, elle porte l’Algérie en elle. C’est une Algérie d’humilité et de générosité que je voulais traduire par des mots. J’ai l’impression que toutes les régions d’Algérie que j’ai visitées sont rattachées entre elle, pas seulement sur le plan territorial, mais aussi par le fil de la résistance. C’est-à-dire qu’on ne peut pas dire aujourd’hui qu’il y a une région qui a résisté ou souffert plus qu’une autre. Que ce soit à Tizi Ouzou, à Batna, les Touareg à Djanet, à Tamanrasset, chez les Mzab…, tous ont souffert. Je pense qu’aujourd’hui il y a une perte de repères quelque part. Nous sommes différents des autres, personne n’osera nous envahir. En 1954 et 1962, les Algériens ont été les premiers à prendre les armes et combattre les forces de l’Otan. Cette résistance et ce rattachement à ce pays sont nos points forts.

Les lieux mais aussi les personnes sont les éléments-clés de votre livre. Dans la grande Histoire se mêle celle de chaque personne que vous rencontrez…

Oui, il y a un rapprochement entre les êtres vivants, les lieux et mêmes les végétaux. Il y a une symbiose. Tous ont résisté. Notre rapport à la nature est particulier. Quand on parle d’environnement, l’Occident le défend après l’avoir détruit. Nous, c’est différent, nous ne l’avons pas détruit, au contraire nous avons un rapport sacré avec la nature.

On ne la défend pas parce qu’on l’a détruite, mais parce qu’on la respecte. Les montagnes ont été les premiers remparts contre la colonisation. Les végétaux ont souffert, les pierres à Reggane ont souffert des essais nucléaires, de même que les montagnes brûlées au napalm. Ce qui est certain, c’est que l’Algérie historique est supérieure à l’Algérie géographique et cartographique. Il y a quelque chose qui n’est pas mesurable, et qui fait que nous sommes uniques. L’équipe nationale aujourd’hui a les meilleurs supporters au monde. Ça exprime une blessure ; on a soif de victoire.

Quand vous visitez des villes et villages, quel regard portez-vous sur l’Algérien d’aujourd’hui ?

Il y a une perte de repères aujourd’hui, parce que cette identité historique n’a pas été convenablement prise en charge. Le trait de résistance pour moi est identitaire. Au même titre que l’Algérien est amazigh par excellence, il est résistant par excellence aussi. Je pense qu’il y a une mauvaise prise en charge de l’aspect identitaire de l’Algérien depuis l’indépendance. On finira par retrouver nos repères. On a raté beaucoup de virages, quoi qu’on ait dit sur l’Algérien, je pense que sa vraie identité finira par s’imposer.
Les Romains, les Byzantins, qui nous ont envahis, ont tous été chassés. L’Algérien est ce qu’il est aujourd’hui. Moi je suis kabyle, mais si vous me demandez de le prouver, je ne pourrai pas. Quelqu’un de Chlef porte le même nom et prénom que moi, il ne connaît pourtant pas un traître mot en kabyle. Mais ce qui est certain, c’est que je suis algérien. Chaoui, targui, m’zabi, kabyle..., on reste algérien. On est très complexe. On a certes été malmenés par l’histoire, mais ce qui m’intéresse désormais est d’en faire ressortir les points forts, de retrouver la vraie identité de l’Algérie. Elle est là et elle existe, mais il faut la rehausser, la promouvoir, de telle façon qu’on puisse aller de l’avant, au lieu de se lancer dans des batailles, parfois idéologiques, qui n’ont aucun sens.

Quelle est la rencontre qui vous a le plus marqué durant votre périple ?

Il y a un petit café à M’sila qui est pour moi le meilleur café du monde. À quatre heures du matin, il faisait très froid, et puis j’ai vu le propriétaire qui servait le café. Une authenticité se dégageait de lui. Une autre fois, pour aller à Biskra, alors en plein confinement, je l’ai aperçu en train de servir du café gratuitement aux routiers. C’est ça l’Algérien, la générosité, l’hospitalité, le courage et l’audace.

Ce trait de caractère, nous le trouvons où que nous allions. C’est ça qu’il faut faire remonter à la surface. Je ne suis pas un spécialiste, j’ai juste apporté une contribution, mais je pense que les sociologues et historiens devraient se mettre au travail. Ça ne veut pas dire qu’ils ne le font pas, mais je pense qu’il faut faire ressortir ce trait de caractère qui est différent. On dit toujours que l’Algérien est différent, sans jamais chercher à comprendre pourquoi. Si on arrive à le comprendre, ce sera peut-être ça notre déclic. Pourquoi on n’arrive pas à se développer ? Il y a un problème quelque part, et c’est un problème sociologique.

On sent que vous avez été très marqué par l’histoire du pays. D’où vient cet attachement ?

C’est un rattachement naturel. Si on part à Bou-Sâada, Sidi Thameur, je pense qu’on peut ressentir ce que j’ai ressenti. Parce que cette douleur-là n’est pas ma douleur, elle est ancrée. L’année passée, je suis parti à Djanet, je sentais qu’elle était habitée. J’ai senti dans l’air l’esprit de la ville qui se propageait.




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