Algérie

Yacef Saâdi, le gentleman révolutionnaire



Il n'appartient pas encore à la légende mais tout le monde se rappelle cette image, les menottes aux poignets en compagnie de la jeune Zohra Drif, militante de la Zone autonome d'Alger. Entourés de parachutistes français dans une extrême vigilance, la sérénité qu'il dégage n'a qu'une seule explication : la foi dans la lutte pour l'indépendance. Yacef Saâdi est un urbain et plus précisément, un natif de La Casbah, le quartier arabe surplombant la ville européenne. Il découvrira la séparation des deux mondes par un système d'apartheid qui ne dit pas son nom.La Révolution du 1er Novembre 1954 entame sa troisième année et gagne de plus en plus de popularité dans un pays insurgé. Elle démontrera aux yeux du monde qu'il s'agit là du soulèvement de tout un peuple en lutte pour la récupération de sa souveraineté spoliée et son indépendance. Du coup, c'est la thèse d'une affaire interne, âprement défendue par l'administration coloniale, qui vole en éclat.
Le groupe de Yacef Saâdi inaugure la guérilla urbaine qui sème le désarroi parmi les populations européennes d'Alger mais aussi dans les autres grandes agglomérations comme Oran, Constantine, Annaba, etc. Commandant de la Zone autonome d'Alger qui a ses règles et ses codes de conduite contre l'armée coloniale, Yacef Saâdi est l'archétype de la jeunesse algérienne des villes qui veut être au diapason de sa génération. L'Europe, d'après la Seconde Guerre mondiale, veut absolument tourner la page des drames et des atrocités qui ont fauché des millions de gens. La jeunesse en particulier tente de se créer un monde nouveau fait de liberté et dans tout ce qu'elle implique comme mode vestimentaire, les loisirs. Yacef Saâdi, a 29 ans, il s'inscrit dans cette mouvance. En smoking et papillon, moustache à la Clark Gable, il a tout d'un dandy mais il apprend à ses dépends que ce monde-là est un domaine réservé pour l'autre communauté. C'est pour lui une situation d'injustice et de discrimination insupportables. Son engagement sous les ordres du Front de libération national (FLN) va donc de soi. La Casbah est le secteur qu'il connaît le mieux, il va sonner la mobilisation des troupes où se révèlent Ali La Pointe, Zohra Drif (toujours en vie), le petit Omar et tant d'autres. Dans la bataille inégale qui s'annonce, ces moudjahidine sont loin d'imaginer le degré de cruauté des paras, la torture systématique érigée en institution. Ils sont repérés dans une es-cachette à l'intérieur d'une habitation. Ils choisiront de ne pas se rendre à l'ennemi et mourront dans leur abri.
Yacef Saâdi, lui, se rend, c'était le 28 septembre 1957. Cet épisode s'avèrera meurtrier pour sa réputation après l'indépendance. Accusé d'avoir trahi, il se défendra bec et ongles contre ses détracteurs. Cinquante-neuf ans après, une grosse polémique le rattrape quant aux conditions de sa reddition surtout que le tortionnaire, le général Paul Aussares, l'assassin de Larbi Ben M'hidi, l'enfonce. Il reste que Yacef Saâdi restera l'homme de la bataille d'Alger, un pan de l'histoire qui sera mis en film. En 1966, en tant que producteur du réalisateur italien Gille Pontecorvo, il sort La bataille d'Alger. Le réalisateur ne se doutait pas qu'il allait signer un film épique qui allait rencontrer un succès fulgurant et durable. Au banc des accusés, la France coloniale bien sûr, où le film sera interdit de projection dans les salles jusqu'en 2004. Il faut reconnaître à Yacef Saâdi qu'il ne s'est pas contenté de son statut d'ancien moudjahid à la retraite. D'abord on lui doit, outre le film, réalisé presque sur fonds propres, mais aussi ses précieux témoignages à travers trois volumes, en 1982, justement sur la bataille d'Alger. Il sera aussi derrière d'autres contributions qui raviront certainement professeurs, étudiants et chercheurs des universités. Il aura survécu à la polémique de 2016 quant à sa responsabilité dans la traque d'Ali La Pointe et ses compagnons, car elle menaçait de ternir sa légende.
Brahim Taouchichet


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