Appliquée aux choses de l?art et de l?esprit, la loi de la gravité prend un sens encore plus troublant que pour de simples objets lâchés dans le vide. Vertige assuré tant l?abîme impressionne. Bien sûr, les facteurs de découragement pullulent. Mais ce serait grand tort de ne pas voir ce qui peut les contredire. Tenez, cette scène vécue dans une galerie d?art de Kouba. Contemplation matinale des ?uvres dans le silence de cette ruelle. Soudain, trois enfants poussent la porte vitrée. Dans leurs uniformes d?écolier, tabliers bleus foncés débraillés, ils se tiennent sur le seuil, muets, visiblement intimidés. On les croirait cloués devant le sinistre tableau noir évoqué autant par Jacques Prévert dans l?émouvant poème le Cancre que par les Pink Floyd dans The Wall. L?un d?eux, d?une voix rauque d?émotion, demande à la galeriste affairée à son bureau : « Madame, avez-vous des tsaour de Baya ? » Elle sourit et leur demande d?entrer en refermant la porte. Ils gagnent un mètre en assurance, mais pas plus. Elle se lève alors et leur explique qu?il ne faut pas dire tsaour (photos) mais louhate (peintures). Et elle leur montre un authentique Baya laissé par un collectionneur pour estimation, comme nous l?apprendrons plus tard. Comment décrire le ravissement de ces enfants ? Il faudrait chercher dans la littérature, du côté de l?Île au trésor de Stevenson ou dans les Mille et Une Nuits. Leurs yeux brillants de bonheur. Et cette question : « Madame ! N?taâ sah (c?est un vrai) ? ». Emerveillement. Ils se mettent alors à parler tous à la fois, comme libérés. Peuvent-ils photographier l??uvre ? C?est pour la maîtresse ! On a fait une leçon sur Baya ! C?était une orpheline ! Etc. Comme par un fait exprès, quelques instants après le départ du trio, une dame se présente. C?est le censeur du lycée voisin à la recherche d?ouvrages d?art algériens pour les distributions de prix. L?art et la culture auraient-ils retrouvé place dans notre système scolaire ou s?agit-il de faits isolés ? Avant d?enquêter sur cette question, nous n?avons pu résister à l?envie de vous transmettre à chaud ces anecdotes, ne serait-ce que parce qu?en relisant nos dernières chroniques, nous nous sommes rendu compte de leur grisaille, hélas plus liée à la réalité qu?à un quelconque pessimisme. Ah oui ! Après être sortis avec ses deux complices, l?un des enfants est revenu précipitamment et, dans l?entrebâillement de la porte, a lancé : « Madame ! Et des louhate de Picasso, vous en avez ? »
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Posté Le : 24/05/2007
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ameziane Ferhani
Source : www.elwatan.com