Sans aucune aide des pouvoirs publics, des villageois réalisent ce que les collectivités n’ont pu faire avec des milliards de centimes. Une leçon de rationalisation de la dépense.
C’est le branle-bas de combat dans la wilaya de Tizi Ouzou. Les citoyens se mobilisent pour la protection de l’environnement et l’amélioration du cadre de vie des populations. Des jeunes se mettent, notamment, chaque week-end, à nettoyer et embellir leurs bourgades. C’est le cas de Tizi Tamelelt, ce village d’Iflissen, où le comité de village est très actif.
Sans aucune aide des pouvoirs publics, les villageois prennent leur courage à deux mains afin de réaliser ce que les collectivités n’ont pu faire avec des milliards de centimes. Il est 8 heures, un vendredi ensoleillé, le lieu de rendez-vous est déjà submergé de jeunes. Cette fois-ci, c’est l’opération de finalisation du plancher en béton de la plateforme réalisée au lieudit «Takharoubt El Djamaâ» (Le caroubier de la mosquée), un endroit qui surplombe la grande bleue.
«C’est vraiment très important de voir les jeunes de notre village se mobiliser pour des actions d’intérêt général. Cette dynamique citoyenne ressuscite, d’ailleurs, l’esprit de solidarité et d’entraide d’antan, ces pratiques ancestrales inévitables dans les villages kabyles pour maintenir la cohésion sociale. Nous œuvrons toujours en faveur de ces valeurs. Nous avons une jeunesse très dynamique. En peu de temps, nous avons, grâce à sa volonté, réalisé plusieurs projets», déclare Moh Arezki Guemlal, un père de famille qui immortalise toujours ces actions de volontariat par des vidéos mises en ligne afin de rendre le travail plus visible surtout pour ces concitoyens établis à l’étrangers.
«Nous avons travaillé chaque vendredi sans répit mais dans une bonne ambiance. Le mouvement a, d’ailleurs, un effet rassembleur et positif puisque tous les villageois y participent et avec beaucoup d’enthousiasme. Les fonds nécessaires pour toutes ces opérations ont été collectés auprès des villageois sous forme de cotisations», confie-t-il tout en ajoutant que les jeunes travaillent jusqu’à 11 heures, avant de rallier Tizi Ouzou afin de prendre part à la marche hebdomadaire.
«Oui, on commence un peu tôt pour pouvoir se libérer à 11 heures afin de partir participer à la marche du mouvement populaire car, on est aussi concerné par l’action populaire pour le changement du système», ajout-il.
Oui, effectivement, la nature même du volontariat en fait un vecteur pour la mobilisation. Dans le village voisin, Tifra, qui relève administrativement de la municipalité de Tigzirt, «la jeunesse s’engage». Il s’agit, en effet, du slogan mis en avant par les initiateurs d’une action de nettoyage organisée récemment sur le tronçon routier reliant le chef-lieu de la commune à leur village.
Nettoyage et embellissement des bourgades
Ce n’est pas l’unique action enregistrée à l’actif des citoyens de Tifra puisque ceux d’Azra ont mené aussi d’intenses travaux pour l’embellissement de leur bourgade. Celle-ci a participé, cette année, au concours de la protection de l’environnement «Rabah Aïssat» qu’organise l’APW de Tizi Ouzou, en décrochant la 10e place.
Les rues et ruelles du village sont entretenues, tout comme les fontaines, qui sont préservées par les riverains. Ces derniers ont réalisé également des fresques, planté des arbres et nettoyé tous les coins et recoins de leur localité afin de lui donner l’image d’un lieu féerique. Même les femmes participent dans ces actions de volontariat.
La gestion des déchets est aussi l’un des projets de ces villageois dont la mobilisation et la solidarité tendent à s’imposer comme une réelle alternative pour la redynamisation de la protection de l’environnement et l’instauration de l’esprit d’autogestion. Ainsi, pour sensibiliser sur l’importance de ces actions de salubrité publique, des universitaires ont été invités par le comité de village pour donner une conférence sur le tri sélectif des déchets ménagers.
«Les villageois ont apprécié la démarche qui sera appliquée au quotidien afin de réduire l’impact de nos déchets sur l’environnement, mais aussi pour avoir un village plus propre et plus harmonieux. Le but de cette opération est d’initier les jeunes au tri sélectif et de les sensibiliser à la protection de l’environnement et de la biodiversité», estime-t-on.
L’apport des émigrés a insufflé un élan prometteur à cette dynamique. Amazigh Sprit-Tigzirt, une association qui œuvre pour la protection de l’environnement, est également à pied d’ouvre, notamment dans le flanc nord de la wilaya de Tizi Ouzou.
De jeunes bénévoles ont entrepris des actions de volontariat dans les plages, la ville et même le nettoyage de l’îlot, surface et fond marin, à l’occasion de la journée méditerranéenne de la côte, et ce, en collaboration avec le Commissariat du littoral, le Club de plongée Djzeera Tigzirt, les forestiers, les autorités locales, la direction des travaux publics, la protection civile, Tizi-Plongée et les pêcheurs de la région.
Ces bénévoles ont également entrepris des opérations d’embellissement dans les écoles et les jardins publics, entre autres. Cette dynamique ne cesse de se propager à travers plusieurs régions de la wilaya de Tizi Ouzou où la question de l’amélioration du cadre de vie est devenue l’affaire de tous. Dans la commune de Boudjima, la même mobilisation est constatée.
Les citoyens de Tarihant ont orné leur école primaire de belles fresques, comme ils organisent régulièrement des actions d’entraide pour l’entretien des ruelles du village.
«Les travaux d’intérêt général ont eu lieu dans une ambiance de fraternité. Les citoyens sont mobilisés et contribuent, tous, à la réussite de ces actions. Ce grand nettoyage doit devenir permanent et durable pour le bien-être de nos familles. Nous avons tous compris que pour la propreté nous ne devons compter que sur nous-mêmes. Chaque vendredi, il y a aussi un villageois qui se propose d’offrir un déjeuner aux participants au volontariat. Il y a ceux qui mettent aussi à notre disposition leur matériel. Chacun, à sa manière, apporte sa pierre à l’édification du village», nous dit-on.
Leçon de rationalisation de la dépense
La même ambiance à Zirouda, dans la municipalité de Tirmitine, qui a remporté le 3e prix du concours du village le plus propre. La population prend l’initiative de s’engager dans un important chantier. Sous la coupe de l’association «Les amis de la nature» et celle des parents d’élèves, le village tend à devenir une citadelle attractive.
Les places publiques sont embellies et bien entretenues, les ruelles sont nettoyées. Des bancs en bois, parfois sculptés, sont installés. Des lampions lumineux ornent aussi l’accès principal, où des bacs à ordures sont mis en place avec des indications accompagnées de textes de sensibilisation. La route est bordée d’une clôture réalisée à partir des palettes récupérées pour en faire un décor attrayant. Des arbres longent le trottoir. Le tri des déchets se fait à la source.
Il y a un endroit réservé pour le compostage, histoire de veiller, en permanence, à la propreté de ce bourg qui tend à devenir, soutiennent-on, comme un modèle pour la protection de l’environnement.
«C’est le fruit de la persévérance et des efforts des villageois, qui en ont fait l’un des villages les plus beaux et les plus propres», commente-t-on sur les réseaux sociaux.
L’impact de ces réalisations consiste dans la sensibilisation des populations et surtout aussi la rationalisation de la dépense.
«Nous avons constaté, à travers ce genre d’actions, le renforcement de la solidarité», nous a souligné Mohamed, un enseignant universitaire qui nous a ajouté que le travail fait par les habitants de Zerouda peut se réaliser aussi dans d’autres villages pour peu que les citoyens manifestent un engouement pour ce genre d’actions.
Selon le même chercheur, ces dynamiques peuvent participer à la rationalisation de la dépense publique.
L’autogestion est ainsi un moyen très efficace adopté par plusieurs associations et comités de village en Kabylie pour se prendre en charge. C’est le cas, d’ailleurs, des habitants d’Ath Koufi, daïra de Boghni, au sud de la wilaya de Tizi Ouzou, qui connaît d’importants travaux engagés à l’initiative des villageois. Ces derniers nettoient et embellissent aussi bien les ruelles que les placettes du villageois. Un travail de longue haleine, nous confie Zouhir Mammeri, l’un des initiateurs du projet et qui est également vice-président à l’APC de Boghni.
La même dynamique citoyenne est au rendez-vous à travers d’autres localités comme Yakouren, Ouadhias, Aïn El Hammam, Azazga, Mekla et Bouzeguène où Houra et Sahel, entre autres, sont parés de leurs plus beaux atours pour participer au concours Rabah Aïssat du village le plus propre qu’organise l’APW de Tizi Ouzou. Et c’est Sahel, d’ailleurs, qui s’est distingué, cette année, comme le village le plus propre de la wilaya de Tizi Ouzou.
«Les villages bien structurés, qui organisent régulièrement des journées de volontariat, donnent le meilleur exemple en matière d’édification d’un nouvel ordre citoyen où chaque individu s’implique pour le bien commun de tous. Il faut bien saluer et encourager ce genre d’initiatives ô combien utiles et bénéfiques, et travailler davantage dans le sens de les élargir à grande échelle. Si, dans le passé, on se limitait à quelques actions sporadiques et occasionnelles, aujourd’hui le village, comme aussi le quartier dans une ville, constitue le noyau central dans l’émergence d’une citoyenneté utile et responsable. En répartissant bien les tâches, chacun s’occupant d’un domaine bien précis: environnement, culture et éducation social et solidarité…, les résultats ne pourront qu’être satisfaisants, surtout quand le cœur sera mis à l’ouvrage. Une nation ne peut avancer qu’en faisant bon usage de toute son intelligence», estime Moh Sadoun, un fervent militant des causes justes.
En Kabylie, l’heure est à la mobilisation pour la propreté. Ainsi, plusieurs villages sont sur les traces d’Azemour Oumeriem, Tiferdoud, Iguersafene…
Hafid Azzouzi
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Posté Le : 08/12/2019
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Hafid Azzouzi
Source : elwatan.com du samedi 7 décembre 2019