WikiLeaks voulait une transparence totale dans la gestion des affaires du
monde. Il s'est retrouvé partenaire, ou otage, des instruments les plus
crédibles du système.
Aucune affaire révélée jusque-là par WikiLeaks ne risque de bouleverser
le monde. Par contre, les journaux se sont délectés de détails souvent
croustillants, parfois gênants ou humiliants pour certains pays et leurs
dirigeants. Et chacun y est allé de sa recherche personnelle, essayant de
dénicher comment les Américains parlaient, entre eux, de son pays, quelles
appréciations ils avaient de ses dirigeants, et comment ils voyaient l'avenir
de son pays.
Pour le cas de l'Algérie, ces
questions se résumaient à quelques traits caricaturaux de la vie politique du
pays : qu'en est-il du président Abdelaziz Bouteflika et de sa santé, quels
rapports entretient-il avec l'appareil sécuritaire et de défense, et quel est
le successeur le plus probable au chef de l'Etat aux yeux des Américains.
Sur tous ces points, et malgré la
curiosité suscitée et la fébrilité qui a accompagné la divulgation des notes
confidentielles ou secrètes de la diplomatie américaine, les révélations de
WikiLeaks n'ont strictement rien apporté de nouveau en termes d'informations.
Elles ont, par contre, donné une certaine consistance à des rumeurs, ajouté un
peu de crédit à des analyses en vogue, et donné de la consistance à des
hypothèses banales. Ce qui est valable pour l'Algérie l'est aussi pour la
plupart des pays arabes, dont aucun ne sort glorifié par ces révélations. A un
tel point qu'un journal israélien en a tiré une conclusion qui s'imposait : si
WikiLeaks n'existait pas, Israël se devait de l'inventer, tant les révélations
rendues publiques jusque-là confortent les thèses, les positions et la
politique israélienne.
Les Américains tirent eux aussi
un immense avantage de ces révélations. « Voilà votre réalité, voilà la réalité
de vos dirigeants ; regardez à quel point vous faibles et dominés, et à quel
point vos dirigeants sont fourbes et faux ; et regardez à quel point nous avons
agi pour vous protéger, et cacher les tares de vos dirigeants », nous disent
les Etats-Unis à travers les révélations de WikiLeaks.
A ce stade, il n'y a plus qu'à
trancher, et tirer un trait définitif sur cette affaire : WikiLeaks est devenue
une superbe opération de communication américaine. Elle a légitimé la politique
des Etats-Unis dans le monde, en la présentant comme une réponse aux doléances
du monde entier, face à des dirigeants arrogants, colériques, mégalomanes ou
ridicules.
Il reste toutefois à tirer au
clair deux détails avant de tirer une conclusion définitive sur WikiLeaks.
D'une part, les révélations n'en sont qu'à leur début. Beaucoup reste à
découvrir sur les 250.000 notes dévoilées par WikiLeaks. Il faudra des
semaines, voire des mois, pour que tout le travail soit effectué, et avoir
ainsi une vision complète de cette face cachée de la diplomatie américaine.
D'autre part, il faudra bien
admettre que l'opération transparence lancée par WikiLeaks a été détournée par
les grands journaux choisis par le site internet pour l'accompagner dans
l'analyse des documents dévoilés. Les journaux en question ont fait un tri de
ce qu'il fallait rendre public. Ils ont affirmé qu'ils se voulaient «
responsables », et ne pas mettre en danger la vie de certaines personnes
mentionnées dans les rapports et ne pas mettre en danger les intérêts de leurs
pays.
Là est précisément le problème :
sur quelle base décide-t-on que telle déclaration d'un chef d'Etat n'est pas
dangereuse, alors que telle autre peut menacer la vie d'un homme ? Cette
protection concerne-t-elle des hommes de toutes les nationalités, ou bien
seulement les ressortissants des pays de la même nationalité que ces journaux ?
Les journaux choisis pour cette opération
sont de véritables institutions dans leurs pays respectifs, où ils disposent
d'un pouvoir immense. Ils ont choisi d'informer les autorités de leurs pays
respectifs pour protéger leurs intérêts et leurs ressortissants. Que font-ils
des intérêts des autres pays et de leurs ressortissants ? Pour parler crûment,
ils peuvent décider, par exemple, d'occulter une note qui évoque un mercenaire
américain ou un agent des services spéciaux britanniques ou israéliens, pour
éviter de révéler son identité et l'exposer ainsi à un vrai danger. Mais s'il
s'agit d'un agent d'un pays arabe, prendra-t-on les mêmes précautions ?
Fera-t-on preuve de la même prudence ?
De manière plus générale, rien
dans les notes publiées ne met en cause les intérêts des grands pays occidentaux.
Le tri a été fait de manière à ce que l'anecdotique et le sulfureux dominent
lorsqu'il s'agit des pays occidentaux et Israël, alors que ce qui est révélé
des pays arabes et musulmans concerne les questions les plus graves.
Faut-il dès lors conclure à
l'échec de WikiLeaks, du moment que des filtres se sont imposés pour faire le
tri dans ses révélations, et imposer une lecture des notes publiées par le site
internet, alors que l'objectif de WikiLeaks était précisément d'imposer une
transparence absolue dans la gestion des affaires du monde ? WikiLeaks a pris
une telle envergure qu'il a été contraint de sous-traiter le travail avec de
grands journaux, dont il attendait qu'ils relaient son action. Il s'est
retrouvé prisonnier des instruments les plus crédibles du système en place. Qui
mieux que le New York Times peut en effet se montrer aussi critique du système
en place, tout en constituant un des fondements les plus puissants de ce même
système ?
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Posté Le : 11/12/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com