‘’ W E L G O ‘’
( ou l’esprit du scoutisme )
Par Djillali Hadjebi*
Qui se souvient du belvédère de Rivet ? Ou de l’esplanade de ‘Notre Dame du Mont’ comme l’appelaient à l’époque certains des européens d’Algérie qui venaient y passer leur dimanche ? Situé à une demi-lieue environ au dessus du sanatorium du village du même nom, aujourd’hui baptisé Meftah, il permettait d’embrasser d’un seul regard une bonne partie de la Mitidja, particulièrement dans sa partie centrale, là où se trouvaient les immenses domaines coloniaux avec leurs vignobles, leurs orangeraies, leurs vastes vergers, leurs majestueux châteaux et leurs somptueuses villas ; des merveilles d’architecture du genre. Par beau temps la vue panoramique que les visiteurs pouvaient s’offrir à partir de ce magnifique promontoire était imprenable, incomparable. La nouvelle ville du ‘Rocher Noir’, aujourd’hui Boumerdes, au levant, Alger la ‘Blanche’ et sa célèbre baie au centre, Le Tombeau de la Chrétienne et le mont ‘Chenoua’, véritable rempart pour protéger Tipasa et ses importants vestiges romains, au couchant, étaient des repères essentiels à ceux qui n’avaient pas le sens de l’orientation. Au premier plan, dans la plaine et le long de la côte, d’innombrables villages typiquement coloniaux avec au centre l’aéroport d’Alger. Juste au dessus de la vieille ’Casbah’ et ses terrasses en escalier, dominant toute la ville, la cathédrale de ‘Notre Dame d’Afrique’ se détachait dans l’azur. Comme alignées sur une même ligne, les deux ‘Dames’ se faisaient face et semblaient veiller sur la quiétude d’Alger et de sa grande plaine. En arrière plan la grande bleue et l’horizon, à peine perceptibles tant la mer et le ciel se confondaient, complétaient le tableau.
La toute première fois où j’avais mis les pieds au belvédère, un endroit remarquable qui aurait sans doute mérité d’être classé et protégé, c’était juste après l’indépendance, en juin/juillet 1963. C’était à l’occasion d’un Rassemblement National Scout en vue de sélectionner une douzaine d’Eclaireurs parmi les meilleurs des Scouts Musulmans Algériens appelés à constituer la délégation algérienne devant participer au 11° Jamborée Scout Mondial qui s’était ouvert le 1° Août 1963 à Skinias, près de la plaine de Marathon, en Grèce. Avec d’autres scouts du groupe En Nasr de Baraki nous nous étions rendus à Rivet la veille du jour fixé pour le début du Rassemblement, avant de gagner à partir de là notre point de ralliement. La route montait en serpentant à travers le village, petits jardins et maisons basses à toitures rouges. Parfois elle s’infléchissait mais c’était pour remonter de plus belle sous nos godasses qui martelaient gaiement le macadam. Après le sanatorium son bitume devenait disparate mais elle montait toujours en suivant les ondulations d’une ravine. Au détour d’un tournant en lacet, la route qui avait finalement laissé place à un chemin caillouteux finissait une centaine de mètres plus loin. Les restes désarticulés d’un portail en ferronnerie d’art, un panneau au sol recouvert d’herbes folles et l’autre à moitié arraché, limitaient ce qui semblait être un espace clos. Loin devant, entre une dense forêt de chênes-lièges et un terrain vague, accroché à un arbre, flottait l’emblème des Scouts Musulmans Algériens : ’’ Fleur de jasmin à cinq pétales blanches et croissant vert sur fond rouge ’’. L’endroit, appelé à devenir pendant une dizaine de jours un immense camp de toile, grouillait déjà d’un nombre impressionnant de scouts venus des quatre coins d’Algérie et affairés à dresser leurs tentes sur les espaces réservés à chaque groupe. Dès notre arrivée et durant toute la durée de ce ‘ Rassemblement’ je n’avais pu m’empêcher, avec cet ‘esprit scout’ qui accompagne tout bon Eclaireur, de consacrer une bonne partie de mon temps libre, avec perspicacité, à l’exploration et à la découverte.
(1963/Premier à partir de la droite : Avec des Eclaireurs du Groupe En Nasr de Baraki)
Au bord du chemin, dans un enfoncement de la forêt de chênes-lièges, une grande maison en ruine, détruite par un incendie. Des débris de murs effondrés, des tuiles, des carreaux de céramiques cassés, des vitraux brisés, des portes et des poutrelles à demi-calcinées, jonchaient le sol. Par endroits, le sol recouvert d’une fort jolie mosaïque laissait croire qu’il s’agissait-là d’une ancienne et belle demeure ou d’un important édifice. Quelques chambres sans toit étaient encore debout. Au centre du bâtiment une grande salle à deux niveaux, toute en longueur comme s’il s’agissait d’une nef et du chœur d’une église. Sur le pan de tout un mur, miraculeusement encore intact, visible malgré le temps et les intempéries, un tableau fait à grands traits de charbon de bois laissait perplexe : ‘’ A côté d’une grande bâtisse ravagée par des flammes qui sortaient par les fenêtres et les toits, d’un petit feu de camp encore fumant, deux longues colonnes de soldats, en tenue et chapeau de brousse, sac à dos et fusil à l’épaule, montaient vers le sommet d’une lointaine colline. A l’arrière d’une colonne, aux pieds d’une éolienne, le visage souriant nous faisant face, un soldat a la main levée comme dans un au revoir, un adieu… ‘’
De l‘autre côté du chemin, un terre- plein entouré de maquis servait sans doute autrefois d’aire de stationnement pour les voitures des visiteurs. En son milieu un sentier dallé de pierres taillées, toutes recouvertes de mousse et de lichen, s’enfonçait dans les buissons touffus. A moins d’un jet de pierre de là, après un petit parcours sinueux, le sentier débouchait au moment où on ne l’y attendait point sur une belle esplanade en demi-lune, un promontoire à partir duquel le regard pouvait embrasser toute la Mitidja. Ici et là, des restes de bancs en granit. Au centre, un socle en marbre encore debout sur un sol entièrement pavé de larges dalles de pierres blanches aux joints recouverts d’herbes, complétait le tableau qui faisait penser à un jeu d’échec, brusquement interrompu, sur un damier vert et blanc. Un parapet en fer forgé, complètement rouillé avec des bouts tordus ou manquants par endroits, servait de garde-fou. En contrebas, une profonde falaise rocheuse était toute recouverte d’arbrisseaux buissonneux et de quelques figuiers nains. Les longues tiges sarmenteuses des muriers sauvages, telles des tentacules de pieuvre, s’agrippaient à chaque branche et à la moindre aspérité de la roche et montaient à l’assaut du belvédère.
Dès nos activités scoutes de la journée terminées je venais avec quelques autres éclaireurs sur l’esplanade, en courant presque, pour admirer le soleil encore suspendu à l’horizon virer au rouge et inonder de ses derniers rayons crépusculaires toute la Mitidja avant de disparaître dans une féerie de couleurs. Accoudés au parapet, silencieux, admiratifs, l’imagination fertile, on se laissait griser pendant de longs moments encore, tandis que l’astre du jour transformait peu à peu la grande plaine en un océan de verdure, ses derniers et magnifiques rayons flamboyant comme sur des vagues et scintillant comme des myriades de petits poissons. Quand la grande plaine, tel un immense champ de blé s’étendant à perte de vue et ondulant sous des brises printanières, se laissait finalement conquérir par l’ombre clair du crépuscule, on savait qu’il était temps pour nous de regagner les bivouacs afin d’allumer les feux de camp pour nos joyeuses et longues veillées.
De la Grèce, du 11° Jamborée Scout Mondial qui avait pour devise « Plus haut, Plus loin » et où l’idéal scout fut chanté dans toutes les langues par plus de 11.OOO Eclaireurs venus de 92 pays, j’en garde des souvenirs inaltérables. Et d’abord ce formidable ‘esprit scout philippin’ que nous ne cesserons jamais assez de saluer et de citer en exemple, car malgré un tragique accident aérien près de Bombay qui avait coûté la vie à toute la délégation, 21 Eclaireurs et 3 chefs scouts, la Fédération Scoute des Philippines n’avait pas hésité à recruter sur place 03 scouts pour que le pays soit quand même représenté à ce Jamborée. Après la cérémonie d’ouverture présidée par le prince héritier et au-delà des activités scoutes proprement dites, axées au cours de ce Jamborée sur le sport et les ‘douze travaux d’Hercule’, permettant à chacune et à chacun de nous de mesurer sa force, son agilité et son habilité, les autres meilleures images de cet évènement resteront sans aucun doute celles du défilé nocturne des délégations au stade mythique de Panathinaïkos (construit pour les jeux de 1896) devant plus de 85.OOO spectateurs et où sera organisée également l’exposition scoute mondiale. Puis viendront, tour à tour, la découverte de la Grèce avec ses célèbres ruines et ses héros de légende et le ‘’ Jour Grec’’ où nous avons pu découvrir également toute la culture grecque et apprécier l’hospitalité de son merveilleux peuple. Quant à l’émouvante cérémonie de clôture où tous les scouts présents ont renouvelé leurs promesses, elle fut marquée, autant par le passage de la torche, symboliquement, à trois Eclaireurs américains, pays où devait se tenir le prochain jamborée, que par le mémorable message d’Olave Baden Powell (1) adressé aux scouts du monde entier :
« Je veux inventer un nouveau mot pour que vous vous souveniez ; ce mot est ‘’ W E L G O ’’. Suis maintenant ton chemin, prends avec toi la Lumière du Scoutisme tout comme une Flamme Olympique, travaille bien et joue bien, et transmets l’esprit du scoutisme aussi loin que tu le peux. Nous avons confiance en vous, Scouts du Monde, pour aider à instaurer le règne de la paix et la volonté de Dieu à travers le monde. Welgo à vous tous !... »
Puis ce fut le début de la fin quand tous les présents se prirent par la main et entonnèrent dans toutes les langues, le cœur serré, l’émouvant chant d’adieu des scouts : ‘ Ce n’est qu’un au revoir, mes frères, ce n’est qu’un au revoir…’
Le grand départ pour tous.
X
(1) – Olave Baden Powell (1859-1977), Baronne et épouse de Lord Robert Baden Powell fondateur du mouvement scout à qui elle succéda et anima le mouvement à travers le monde pendant près de 35 années.
• H. D est Romancier et ancien scout ayant fait parti de la délégation des Scouts Musulmans Algériens au 11° Jamborée Scout Mondial tenu en Grèce en 1963.
Bonjour,
J'ai lu avec intérêt votre commentaire sur vos souvenirs autour de Notre-Dame du Mont à Meftah, anciennement Rivet.
Je suis à la recherche d'informations sur ce lieu.
Pourriez-vous me dire ce qu'est devenu le couvent de Notre-Dame du Mont.
Ce lieu était la résidence de moines bénédictins.
En 1943, suite à la victoire des alliés sur l'Afrika Korps de Rommel en Tunisie, les prisonniers allemands ont été transférés en Algérie. Certains d'entre eux qui étaient séminaristes ont été regroupés dans ce couvent pour y reprendre leurs cours de théologie pendant leur incarcération. Cette initiative a été impulsée par Dom Walzer, un bénédictin qui était alors aumônier militaire.
D'après ce que vous écrivez je crois comprendre que le couvent n'existe plus. Merci de me donner les informations sur les circonstances de sa destruction.
Qu'y a-t-il à la place aujourd'hui ?
Avec mes remerciements.
Cordialement
Philippe Fusellier
fusellierph@noos.fr
Fusellier Philippe - réalisateur - Paris, France
25/02/2015 - 243777
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Posté Le : 31/01/2012
Posté par : Hadjil
Ecrit par : Djillali Hadjebi
Source : Archives personnelles