La décision du
Conseil des ministres, objet d'un communiqué en date du 21 juillet 2009,
organisant le repos hebdomadaire les vendredi et samedi, au lieu des jeudi et
vendredi, a fait l'actualité au cours de ces derniers mois. Alors même qu'il
n'y a pas de changement du jour de repos hebdomadaire qui reste fixé, par un
texte de loi, au vendredi, cette décision est jugée pourtant importante pour se
rapprocher de la formule de week-end la plus répandue dans le monde.
Il convient
d'observer à ce sujet qu'il n'y a aucun sens à parler, comme le font la plupart
de ceux qui interviennent dans ce débat, de »week-end universel» ou
»semi-universel». Même si le samedi/dimanche est le modèle de week-end le plus
pratiqué dans le monde, il est d'abord le modèle du monde chrétien fondé sur le
principe du repos dominical, le dimanche. Le fait qu'il soit, pour des raisons
historiques, le modèle dominant ne lui confère pas l'universalité. Il n'est ni
le produit d'un ordre naturel des choses, ni celui d'une décision ou même d'une
recommandation d'une institution internationale.
Ainsi, l'Organisation internationale du
travail (OIT), elle-même, se limite à prescrire au bénéfice des travailleurs,
au cours de chaque période de sept jours, un repos comprenant au minimum vingt-quatre
heures consécutives. Sans fixer un jour en particulier, la convention
internationale sur le repos hebdomadaire précise que ce jour « coïncidera,
autant que possible, avec les jours consacrés par la tradition ou les usages du
pays ou de la région» (1). Ainsi, les membres de cette organisation
internationale n'ont pas privilégié un jour de repos déterminé dans la semaine
avec l'idée d'instituer un «week-end universel».
Un changement
limité au secteur de la Fonction publique
En application de
cette décision du Conseil des ministres, un seul texte réglementaire est
intervenu et son champ d'application se limite au secteur de la Fonction
publique. Il s'agit du décret exécutif du 22 juillet 2009 (2) qui procède à un
nouvel aménagement et une nouvelle répartition des horaires hebdomadaires de
travail dans le secteur des institutions et administrations publiques. Cet
aménagement préserve le vendredi comme jour de repos légal et substitue le
samedi au jeudi comme deuxième jour de repos possible. En conséquence, toutes
les discussions sur un aménagement des horaires de travail qui permettrait de
travailler une demi-journée le vendredi (ou même une journée entière), pour se
reposer le samedi, sont sans fondement juridique. Même dans le secteur de la
Fonction publique, la nouvelle réglementation ne substitue pas le samedi au
vendredi, ni donc le vendredi au jeudi.
Dans sa forme actuelle, la décision du
Conseil des ministres ne s'impose ni aux entreprises du secteur privé, ni à
celles du secteur public. D'un point de vue légal, les entreprises ne sont
nullement tenues de suivre le régime du temps de travail et de repos institué,
par la voie réglementaire, dans le secteur de la Fonction publique. La décision
du Conseil des ministres ne constitue pour celles-ci, tout au plus, qu'une
recommandation qu'elles sont libres de suivre ou non. Ainsi, dans le secteur
économique, aucun nouvel aménagement du temps de travail et de repos n'a eu
lieu. Pour les entreprises, le seul texte de référence en la matière reste
aujourd'hui encore, depuis 1990, la loi n° 90-11 du 31 avril 1990. En
application des prescriptions de cette loi, les entreprises sont tenues à deux
obligations : accorder à leur personnel une journée de repos hebdomadaire et
veiller à ce qu'il en bénéficie, en principe (mais pas dans tous les cas), le
vendredi. L'entreprise reste libre, aujourd'hui encore, d'organiser le travail
sur six jours, du samedi au jeudi inclus, et de n'accorder que le jour de repos
légal fixé au vendredi, ou encore d'organiser les horaires de travail sur cinq
jours en accordant une journée ou une demi-journée supplémentaire de repos
précédant le vendredi (soit jeudi), ou suivant le vendredi (soit samedi).
Toutes ces hypothèses d'aménagement du temps
de travail et de repos ont toujours été parfaitement envisageables depuis que
le vendredi a été institué comme jour de repos hebdomadaire en 1976. Il n'y a
absolument rien de nouveau. Il faut donc comprendre que dans le secteur
économique, l'option pour un repos le vendredi et le samedi (qu'on semble
découvrir aujourd'hui !) est légalement possible depuis cette époque. On ne la
doit pas à la récente « décision» du Conseil des ministres. Et l'on peut
vraiment s'étonner que les responsables de certaines organisations patronales
se disent satisfaits de cette mesure, comme s'il s'agissait d'une avancée,
alors qu'ils avaient depuis 1976 la possibilité de procéder en toute légalité à
un aménagement du temps de travail qui permet de mettre leur personnel au repos
le vendredi et le samedi (ce que certaines entreprises n'ont pas manqué de
faire depuis longtemps). Ont-ils été à ce point ignorants, durant toutes ces
années, des possibilités offertes par la législation du travail en cette
matière ?!
La question de la détermination des journées
de repos hebdomadaire est en débat depuis l'indépendance du pays en 1962 et le
semblant de réforme, limitée à la Fonction publique qui vient d'avoir lieu,
indique qu'elle n'a pas encore reçu de réponse définitive.
En droit du travail algérien, le repos
hebdomadaire est une institution fondée sur deux principes essentiels : le
principe d'une journée de repos par semaine et le principe que cette journée
soit accordée un jour déterminé dans la semaine. Le principe du repos
hebdomadaire a été consacré par toutes les législations qui se sont succédé
depuis l'indépendance de l'Algérie et n'est pas sujet à discussion. Par contre,
le choix du jour pour jouir du repos a toujours été matière à débat plutôt
passionné et polémique. Le débat, voire la dispute, opposent, d'une part, ceux
qui plaident pour que cette journée soit le dimanche, précédé éventuellement
par une demi-journée ou une journée de repos supplémentaire, le samedi, et ce
pour des raisons tenant aux échanges économiques et financiers avec le reste du
monde ; d'autre part, ceux qui soutiennent que cette journée soit le vendredi,
pour des motifs religieux tenant à l'accomplissement de la grande prière ce
jour par les musulmans.
Le repos hebdomadaire
: principe et flexibilité
C'est par la voie
légale qu'il est garanti à tout travailleur le droit à une journée entière de
repos par semaine (3). La faculté de déroger au repos hebdomadaire est
cependant prévue. Les circonstances pouvant justifier cette dérogation sont
indiquées en des termes généraux qui confèrent, finalement, à l'employeur un
large pouvoir pour décider de l'opportunité d'une suspension du repos
hebdomadaire : c'est lorsque les impératifs économiques ou ceux de l'organisation
de la production l'exigent (4). Bien qu'il s'agisse de déroger à une règle
d'ordre public, la décision de l'employeur n'est soumise à aucun formalisme. Il
n'est tenu ni de solliciter une autorisation de l'inspecteur du travail ou de
l'informer, ni de consulter les représentants du personnel. Cependant, les
heures de travail accomplies, par dérogation, le jour du repos hebdomadaire
sont considérées comme des heures supplémentaires ; elles ouvrent droit pour
les salariés concernés à la majoration des heures supplémentaires. Les
travailleurs bénéficient en outre d'un repos compensateur d'égale durée qui
sera pris un autre jour. Il s'agit là d'une flexibilité appréciable pour les
employeurs qui sont seuls juges des impératifs économiques justifiant une suspension
du repos hebdomadaire.
Le principe du repos hebdomadaire permet
seulement d'affirmer que l'employeur est tenu de mettre son personnel habituel
au repos un jour déterminé. Il ne lui est pas fait obligation de fermer et de
cesser toute activité durant ce jour. Aucune réglementation ne prévoit la
fermeture obligatoire d'un établissement à titre de garantie d'exécution du
principe du repos hebdomadaire. Le droit actuel ne permet pas d'exclure la
possibilité pour un employeur de faire travailler le vendredi un autre
personnel que celui habituellement employé. Mais l'usage le plus répandu est
l'arrêt de la plupart des activités le vendredi. La situation en Algérie n'est
pas comparable à celle de certains pays d'Europe où la fermeture est
obligatoire le jour de repos hebdomadaire. C'est là un autre exemple de
flexibilité en faveur de la continuité de l'activité de l'entreprise. En
réalité, la majorité des travailleurs jouissent de deux journées de repos
hebdomadaire, et non d'une seule comme le prévoit la loi. En effet, la
répartition de la durée du travail sur cinq jours, au lieu de six, permet
d'atteindre ce résultat. Dans ces conditions, la journée de repos légalement
déterminée est précédée, ou au contraire suivie, d'une autre journée ou
demi-journée de repos. Ainsi, il convient d'observer qu'en Algérie ou ailleurs,
la loi n'intervient jamais pour organiser un week-end de deux jours, mais
seulement pour décider d'un jour de repos hebdomadaire. L'octroi éventuel au
personnel d'une demi-journée ou d'une journée supplémentaire de repos n'est que
la conséquence d'un aménagement du temps de travail décidé librement par
l'employeur en vertu de son pouvoir de gestion.
Le choix du
vendredi, une imitation du monde judéo-chrétien
La loi ne se
limite pas à affirmer le principe du repos hebdomadaire. Elle en fixe a priori
le jour. Au lendemain de l'indépendance de l'Algérie, le principe du repos
hebdomadaire le dimanche, antérieurement établi par la législation de la
période coloniale, avait été maintenu. Il était raisonnablement admis que
l'essentiel était que soit accordée une journée de repos, et que celle-ci soit
commune à tous. Ce n'est qu'en 1976 que le vendredi est substitué au dimanche
comme jour légal du repos hebdomadaire. Ce changement donne au choix du jour du
repos un fondement religieux qu'il n'avait pas jusque-là. Il s'agit, dans un
pays où la population est majoritairement musulmane, de permettre aux personnes
qui ont des convictions religieuses d'accomplir la prière communautaire
exceptionnelle du vendredi. Aujourd'hui, ce sont les dispositions d'une loi qui
précisent que le vendredi est le jour normal de repos qui correspond aux
conditions de travail ordinaires (5).
En réalité, ce fondement religieux, invoqué
tardivement, est discutable. Paradoxalement, même si le propos peut étonner,
c'est en renonçant au dimanche, pour choisir le vendredi, qu'il y a,
contrairement à ce que prétendent ceux qui ont poussé à ce changement,
imitation du monde judéo-chrétien. En effet, dans la religion musulmane, il n'y
a pas l'équivalent de la religion juive où la semaine de sept jours est fondée
sur l'observation du Sabbat, ni l'équivalent dans le christianisme du jour du
Seigneur (repos dominical). Il n'est prescrit ni par le Coran ni par la Charia
que le vendredi, ou un autre jour, soit consacré au repos. Il est seulement
ordonné aux croyants de cesser toute activité, s'il n'en résulte pas un
dommage, le temps de participer aux cérémonies religieuses : prêche, suivi
d'une prière courte, se situant fort opportunément à la mi-journée (entre 12h45
et 13h45) ; ceci à l'évidence ne nécessite qu'un temps d'interruption du
travail équivalent, augmenté du temps nécessaire pour se déplacer entre le lieu
de travail et la Mosquée. Et de fait, l'accomplissement des rites religieux
n'était pas posé comme un problème lorsque, de 1962 à 1976, le vendredi faisait
partie des jours ouvrables. Ainsi, curieusement, ce n'est pas l'adoption du
dimanche comme jour de repos hebdomadaire qui constitue une imitation du monde
chrétien, mais plutôt le choix du vendredi qui reproduit une institution
étrangère aux musulmans, le repos pour motif religieux ! Ainsi, à condition
d'aménager la possibilité pour ceux qui ont des convictions religieuses de se
rendre à la prière du vendredi, il importe peu, du point de vue de la religion
musulmane, que le jour de repos hebdomadaire soit fixé le vendredi, le dimanche
ou un autre jour.
L'obligation du repos le vendredi n'est pas
inscrite par la loi dans des hypothèses d'interprétation stricte. En tout état
de cause, le chef d'entreprise est libre, en l'état actuel du droit, de décider
seul que la nature de l'activité justifie que le repos hebdomadaire ne soit pas
accordé simultanément à l'ensemble du personnel le vendredi, mais par
roulement. Le travail le vendredi est bien une option que la loi autorise
lorsque la « nature de l'activité le justifie». Là aussi, la législation
aménage de longue date une flexibilité appréciable qui permet aux entreprises
de poursuivre normalement leur activité le vendredi, lorsque des intérêts
économiques sont en jeu.
Finalement, les nouvelles dispositions
relatives à l'aménagement du temps de travail et de repos dans le secteur de la
Fonction publique n'apportent absolument rien de nouveau dans le secteur
économique. Les aménagements du week-end, dont on discute aujourd'hui, étaient
possibles depuis 1979 ; ils sont contenus dans les différentes formes de
flexibilité qu'offre la législation depuis cette époque déjà, pour prévoir
éventuellement un deuxième jour de repos hebdomadaire, soit le jeudi soit le
samedi, et pour déroger, en raison de la nature de l'activité de l'entreprise,
au vendredi comme jour de repos hebdomadaire. La prétendue réforme du week-end
n'a donc pas eu lieu.
*Université
d'Alger
1 - Convention de
l'OIT n° 14 sur le repos hebdomadaire (industrie), 1921 (ratifiée par
l'Algérie). Les mêmes prescriptions se retrouvent dans la convention de l'OIT
n°106 sur le repos hebdomadaire (commerce et bureaux), 1957 (non ratifiée par
l'Algérie).
2 - Décret
exécutif n° 09-244 du 22 juillet 2009 modifiant le décret exécutif n° 97-59 du
9 mars 1997 déterminant l'aménagement et la répartition des horaires de travail
à l'intérieur de la semaine dans le secteur des institutions et administrations
publiques, J.O. n° 44 du 26 juillet 2009.
3 - Loi n° 90-11
du 21 avril 1990, article 33.
4 - Op. cité,
article 97.
5 - Loi n° 90-11,
op. cité, article 33.
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Posté Le : 17/09/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mahammed Nasr-Eddine Koriche*
Source : www.lequotidien-oran.com