Algérie

Vu en Mauritanie, vécu partout ailleurs



La Mauritanie vient de vivre un autre coup d'Etat. Ce petit pays enarrive donc à résumer, dans son microcosme nu et lunaire, ce qui se passe dansles pays pauvres et féroces depuis les premiers jours de la décolonisation : dictaturepopuliste, messianisme, culte du Père fondateur puis parricide, coup d'Etat, démocratieet, enfin, émeutes de la faim et retour au coup d'Etat. La Mauritanie, étant cepays format poche, résumant les autres géographies siamoises où la démocratiene peut qu'être brève, le coup d'Etat militaire trop tentant et le peuple tropfutile et trop faible pour peser sur le choix des casernes et leur lutteintestine. Et si en Mauritanie l'exercice en est venu à la caricature, c'est seulementparce que ce pays n'a pas le pétrole qui lui aurait permis de s'acheter desalliances fortes, une belle devanture et un peu plus de sérieux dans lamascarade autour des Pouvoirs.

Ce petit pays avait même fait illusion en laissant croireque, finalement, on peut opter pour de la démocratie sans passer par lesclauses du GMO, ni par un débarquement US, ni par un soulèvement sanglant : unesorte de petite démocratisation née de la conscience que l'on peut vivreéquitablement, avec plus d'efficacité, une plus grande « ouverture », sans sesentir menacé, et en expliquant à tout le monde que tout le monde pourra ytrouver ses intérêts juste avec la politesse de la file d'attente et le soucide laisser l'adversaire dire ce qu'il a à dire. Le pays avait même réussi àaccréditer cette petite utopie très faisable et s'offrait en modèle pourillustrer la possibilité d'une démocratisation sans condition d'opulencecapable de stabiliser les classes sociales. La parenthèse est donc close et la Mauritanie en estrevenue à ce penchant du vote par les chars et du choix par les obus. Laperspective s'assombrit et pas seulement pour ce coin du Maghreb : on yretrouve une sorte de fatalisme proposé comme unique lecture de l'avenir. Celavous pousse à croire que trop proche de la géographie de l'Occident, on ne peutpas échapper aux formules stabilisatrices des régimes durs soutenus par lesOccidentaux pour des raisons de sécurité et d'approvisionnement et que, loin decet Occident, on ne peut pas échapper au mouvement de la débandade et des pirateries pour des raisons endogènes. La « démocratie »participative est impossible par le « haut » comme le prouve la Mauritanie, impossibleà imposer comme le prouve l'Irak, impossible par « le bas » comme l'a prouvé laparenthèse des années 90 de l'Algérie. Pire encore, là où on craignait lescourants forts du populisme religieux, la menace et les « légitimités » desputschistes puisent désormais leurs arguments dans la radicalisation du «populisme alimentaire ». Il suffit de la baisse d'un soutien pour deux kilos desemoule ou la disparition du litre de lait de sur les étalages pour voir naîtreces grands mouvements de houle qui vont servir à renégocier le partage despouvoirs. On croyait nos géographies divisées entre islamistes, démocrates etconservateurs nationalistes, il n'en est rien : un mouvement pan-tiers-mondistes est né depuis peu : celui des révoltésde l'assiette et certains en prennent déjà prétexte pour des correctifsrévolutionnaires, comme au bon vieux temps. Que faire alors entre desislamistes qui n'apportent que la solution de leur barbe ou de leurs bombes, desnationalistes devenus trop gros pour être honnêtes et crédibles et desdémocratisations qui ne font que prêter le flanc au coup d'Etat dans des pays tropfaibles pour être raisonnables ?

A l'époque du tsarisme russe finissant, la question desintellectuels prolétaires était de savoir que choisir entre une bonne paire debottes et un livre de Shakespeare lorsqu'on est très pauvres. La réponse étaitmauvaise dans les deux cas car la plus grande misère était d'en être arrivé là,à devoir faire ce genre de choix.




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