Le projet de la nouvelle Constitution n'est pas encore rendu public qu'il est déjà appliqué dans certains de ses articles essentiels ? comme celui relatif aux prérogatives élargies accordées au Premier ministre ? avant même qu'il ne soit déposé devant les parlementaires. C'est dire que chez nous on ne s'embarrasse vraiment pas de la convenance (et de la rigueur) législative pour passer à l'action quand les nécessités de la gouvernance «sur mesure» se font sentir.Et tant pis pour tous ces hommes de loi si scrupuleux dans leur persistance à vouloir se référer à la raison pour crier à la violation des textes. On a déjà eu une idée de cette fantaisie discrétionnaire qui avait, pour les besoins de la campagne électorale du Président sortant, transposé en un tour de main le Premier ministre en poste, en l'occurrence Sellal, en directeur de campagne juste pour la durée de celle-ci, avant de le remettre à sa place sitôt la mission accomplie. Il est vrai qu'il y avait eu une lettre de démission de ce dernier, mais tout le monde savait que ce transfert était purement formel compte tenu de la lourde procédure institutionnelle par laquelle il fallait d'abord passer.Cela étant, celui qui avait assuré entre-temps l'intérim de la plus haute marche de l'exécutif n'avait visiblement rien compris à ce tour de magie, mais il n'avait apparemment pas d'autre choix que de faire semblant pour donner l'illusion que nos institutions fonctionnent bien, même avec un Président malade. Youcef Yousfi qui avait lui aussi délégué (comme dans une chaîne de distribution) son pouvoir à un responsable alternatif qui avait toute la confiance du giron, a eu donc l'illustre privilège de diriger le gouvernement pour un temps qui trouvera sûrement une bonne place dans sa future carte de visite.Mais a-t-il vraiment eu conscience que dans ce chassé-croisé improvisé pour ne pas déjuger la haute autorité dirigeante, il a été un simple pion dans une partie d'échecs jouée ailleurs ' Ce serait moins grave si cela relevait seulement de l'anecdote. Il se trouve que ce genre de coup de force institutionnel maquillé en «mission express» pour raison d'Etat montre à quel point les gens du système se soucient de l'impartialité des lois qu'ils n'hésitent pas à piétiner sans scrupules en même tant qu'ils s'efforcent de faire la morale au peuple dans son comportement civique. Moralité donc : plus on est en haut de l'échelle, et plus on se donne le droit de transgresser les mécanismes institutionnels les plus élémentaires, souvent sans se donner la peine d'apporter au public des explications même les plus farfelues, histoire de montrer qu'on n'a rien à se reprocher vis-à-vis de la loi.Tout est fait en catimini, et c'est ce qui rend plausible et en même temps étrange cette nouvelle «fonction présidentielle» qu'endosse depuis quelque temps notre Premier ministre, alors que selon la Constitution en vigueur cette fonction sacrée incombe totalement au premier magistrat toujours en place et dont on nous dit depuis sa réélection qu'il possède toutes les capacités et toute la lucidité pour diriger le pays en tant que suprême et incontestable autorité. Que n'a-t-on pas disserté, côté clan présidentiel, sur ces capacités physiques et intellectuelles du Président-candidat pour contrer de la manière la plus violente tous les opposants au quatrième mandat qui voyaient en la maladie du chef de l'Etat un handicap sérieux pour assurer une gouvernance convenable.Que n'a-t-on pas renchéri sur le capital expérience du Président, allant jusqu'à faire admettre que l'Algérie, tout compte fait, a besoin d'un homme qui dirige avec sa tête et non avec ses pieds (dixit Benyounes). Reprendre toute la plaidoirie des hommes du Président pour nous convaincre que Bouteflika est parfaitement capable, en dépit de sa maladie, d'assumer sans exception toutes les charges de l'Etat, toutes les charges qui relèvent directement de sa compétence, ressemble à une litanie aux effets de somnifère.Car, que voyons-nous après un premier bilan des cent jours de ce quatrième mandat fortement contesté ' Un Président élu de plus en plus effacé face aux importants événements qui dominent une actualité souvent brûlante, cédant presque toutes ses prérogatives à un Premier ministre qui, à force d'occuper la scène donne l'impression que c'est sur ses épaules que le fonctionnement du pays repose désormais. A part les quelques audiences qu'il honore et qui constituent l'essentiel de son activité officielle, et son image statique qui revient sur les écrans de télévision, Bouteflika ne semble visiblement pas en mesure d'être présent là où sa personnalité est souhaitée, voire demandée.Il ne peut plus se déplacer à l'intérieur du pays pour régler les problèmes locaux, ni à l'étranger pour porter lui-même la parole de l'Algérie. On voit, en revanche, Sellal partout. Il dirige le gouvernement, mais avec une casquette plus large qui lui donne une dimension présidentielle sans que celle-ci ne lui soit attribuée. Ceci pour revenir à la nouvelle Constitution en phase d'élaboration après le travail de consultation et de défrichement effectué par Ouyahia, qui prévoit effectivement un rôle plus déterminant pour le locataire du Premier ministère mais que les circonstances ont rendu «applicable» avant l'heure par la grâce de la bonne formule du fait accompli.L'Algérie se retrouve ainsi dans une situation de gouvernance assez singulière caractérisée par un pouvoir bicéphale qui s'est imposé aux événements sans qu'il y ait officiellement passation de relais : un Président en poste, symbole de la stabilité qui donne des instructions et supervise, et un Premier ministre qui occupe le terrain se fondent presque dans un même moule pour relever le défi. L'un est le prolongement de l'autre dans un circuit fermé qui permet cependant à l'homme de confiance de Bouteflika d'engranger quelques dividendes qui pourront servir son avenir politique.
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Posté Le : 07/08/2014
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Abderezak Merad
Source : www.elwatan.com