Algérie

VOYAGE CULINAIRE


A 62 ans, Ferroudja a gard? toute sa jeunesse et sa beaut?. Le teint clair, les traits r?guliers, les yeux rieurs... lui donnent toute cette joie de vivre mais surtout de travailler : une passion qui est devenue sa raison d??tre. Son lieu de travail : son petit trois-pi?ces ? la cit? les Eucalyptus ? Bachdjarrah ; ses outils de travail : ses mains ; ses moyens de production : la semoule, l?huile. Ses produits, vous l?avez devin? : ma?rek, mhadjeb, sfendj, matloue...Par Na?ma Yachir
En p?n?trant dans la modeste demeure de Ferroudja, une odeur d?huile de friture nous chatouille les narines, c?est un jour de labeur qui recommence pour elle comme les autres jours de la semaine, sans interruption. C?est une petite industrie qu?elle a cr??e chez elle. Ses filles, qu?elle ?embauche occasionnellement?, lui viennent en aide pour r?pondre ? la forte demande lors des f?tes religieuses ou autres. M?me si elle n?a pas eu la chance de fr?quenter longtemps les bancs de l??cole, son esprit vif la guide dans son entreprise qu?elle dirige avec intelligence. Son autonomie, elle l?a acquise par la force des choses. Son ?poux travaillant au Sud, elle s?est retrouv?e seule avec sa belle-m?re, ses belles-s?urs qui lui faisaient subir une pression qu?elle essayait de surmonter en travaillant. ?Pendant plus de vingt ans, je confectionnais des pulls en laine. Mon mari qui, je le reconnais, m?a toujours soutenue, m?a achet? une machine ? tricoter. Cela m?occupait et m?aidait ? oublier mes soucis. Mon ?poux mettait la main ? la p?te en ramenant des commandes de ses coll?gues du Sud. La machine ?tait bien huil?e, et le travail marchait ? merveille. Cela a dur? pr?s de trente ann?es, jusqu?au jour o? mes os commen?aient ? se ?rouiller?, le diagnostic est tomb?, je souffrais d?arthrose et mon m?decin traitant m?a d?fendue de toucher ? ma machine.? C??tait une v?ritable punition, un supplice qu?on lui a inflig?. ?J??tais tr?s malheureuse, je n?avais plus d?occupation, j?avais donc du mal ? supporter les sarcasmes de ma belle-famille et surtout l?absence de mon ?poux. J?angoissais et pleurais en cachette. Cela a dur? une ann?e. Je me r?fugiais chez une amie ? qui je me confiais. Elle m?a propos? de faire des mhadjeb. J?ai saut? sur l'occasion sans la moindre h?sitation.? Depuis, c?est parti pour une nouvelle aventure. Ainsi, Ferroudja devra organiser sa vie comme une chef d?entreprise. Son petit trois pi?ces se transformera en une fabrique de ma?rek, sfendj, bradj, chekhchoukha et matloue.
Ferroudja a organis? sa vie comme une chef d?entreprise. Son appartement transform? en une v?ritable fabrique. Ses clients potentiels : les cafetiers et le march? du quartier.
Ses clients potentiels : les cafetiers et le march? de son quartier, en plus des commandes de particuliers auxquels elle devrait faire face tous les jours. Ferroudja s?accommodera des moyens du bord vu l?espace r?duit qu?elle partage avec ses deux fils et ses deux filles qui viennent ? son secours en p?riode de forte demande. Elle r?am?nagera sa loggia en un espace o? elle stocke sa marchandise. Sur des ?tag?res sont entrepos?s des sacs de semoule et des bidons d?huile de 5 litres. ?Bient?t je n?aurai plus de place pour d?poser tout cela, je pense d?j? ? un autre plan, sinon je ne pourrais plus bouger.? Ce sont 50 ? 70 kg de semoule que Ferroudja p?trit quotidiennement, 7 jours sur 7. Elle tient ? le faire ? la main car personne ne conna?t mieux qu?elle les caprices de la semoule. ?Il faut que je la touche, la malaxe avec l?eau pour savoir si la p?te a une bonne texture. De plus, la chaleur du p?trin peut l?alt?rer et g?cher mes produits. La constance pour moi c?est tr?s important. Les clients avec lesquels je travaille depuis dix ans sont exigeants, d?autant que tout ce que je produis se vend tr?s bien. Cela y va de mon image de marque, surtout qu?aujourd?hui la concurrence est rude.? Une image de marque qu?elle doit soigner chaque jour en sacrifiant ses heures de sommeil et de d?tente. ?Les 50 kg de semoule que j?utilise au quotidien, je les partage entre la chekhchoukha (30) et les 20 autres pour les msemen. Mon temps est tr?s pr?cieux je dois m?organiser d?une mani?re rationnelle. Mon travail commence en fait la veille. A 17h, je mouille la p?te de la chekhchoukha et des msemen que je laisse reposer au r?frig?rateur. Le lendemain, je forme des boules que je dispose dans un plateau et je laisse reposer une heure environ. A 18 h j?attaque la cuisson des sfendj que me commande des familles pour accompagner leur caf? de l?apr?s-midi. A partir de cette heure-ci, la cuisine est r?quisitionn?e, et plus personne n?a le droit d?y p?n?trer. Bien s?r, je m?arrange pour que mon d?ner soit pr?t avant ; je ne vais pas laisser mes enfants mourir de faim ! Quand ma commande est pr?te, je commence ? cuire mes feuilles pour la chekhchoura jusqu?? 22h.
Ce sont 50 ? 70 kg de semoule qu?elle p?trit quotidiennement, 7 jours sur 7. Elle tient ? le faire ? la main car personne ne conna?t mieux qu?elle les caprices de la semoule.
Ainsi, j?aurais termin? mes 30 kg de semoule. L?, je peux souffler. Je fais ensuite ma toilette, et je pr?pare mon rituel du coucher : je branche ma radio qui me berce que je n??teins qu'? mon r?veil le lendemain. Je vais vous raconter une petite histoire ? ce propos : un jour alors que je dormais profond?ment, ma fille a cru bien faire d??teindre le poste. Eh bien je me suis r?veill?e instinctivement, je l?ai rallum?e. Je r?gle ensuite mon t?l?phone portable ? 2h du matin, l?heure ? laquelle commence ma journ?e. Trois heures de sommeil me suffisent pour attaquer un nouveau jour. Je me r?veille, d?branche la radio, la remet dans la cuisine, je mets un chewingum dans la bouche, il faut que ma m?choire travaille, et je commence la friture de mes 200 msemen que je termine ? 5h. Apr?s la derni?re pi?ce, je jette mon chewingum, me lave les mains, emballe ma commande, place mes msemen dans mon chariot, enfile mon hidjab et sors les livrer aux caf?s du quartier. Une de mes voisines en me voyant sortir le matin m?a dit : ?Tu n?as pas peur de sortir seule le matin dans le noir '? ?Tu sais, ils ne trouveront rien sur moi, sauf des msemen !? lui ai-je r?pondu. Apr?s la livraison, je retourne ? la maison, je fais mes ablutions, fais ma pri?re et je dors jusqu?? 8h. Apr?s ce petit somme, je prends mon caf?, jette un coup d??il ? mes commandes. Si je vois que je suis d?pass?e, je p?tris la p?te de la chekhchoukha, sinon pour souffler un peu et me d?gourdir les jambes, je sors faire mon march? et livrer ma chekhchoukha. Il m?arrive aussi de ranger ma maison car le matin mon appartement est sens dessus dessous : de la semoule partout, des bidons d?huile vides... Enfin il vaut mieux ne pas me rendre visite la matin?e ! Et c?est une seconde journ?e qui commence pour moi. Je v?rifie mon stock de semoule, mon huile, je ne veux en aucun cas ?tre prise au d?pourvu. Il me faut toujours un bidon d?huile de c?t?. J?en consomme en moyenne 3 bidons de 5 litres par semaine et trois quintaux de semoule. Il faut g?rer le stock de toute cette marchandise.? Ferroudja regrette deux choses dans sa vie : ne pas avoir eu la chance de faire des ?tudes et n?avoir pas pass? son permis de conduire. ?Conduire une voiture m?aurait facilit? beaucoup la vie, j?aurais eu plus de perspectives et surtout ?a m?aurait garanti l?autonomie. Mais ? mon ?poque, il ne fallait m?me pas y penser. Ma belle-famille avait beaucoup d?ascendance aussi bien sur leur fils que sur moi. Ma seule mission c'?tait de m?occuper du m?nage et de la popote. Aujourd?hui, c?est trop tard ; de plus, je n?ai plus le temps. En plus de la chekhchoukha, m?semen, sfendj, j?ai mes commandes de g?teaux de f?te.? Infatigable, toujours souriante, Ferroudja se repose une fois l?an, durant le mois de Ramadan. Elle fait une tr?ve sur toutes les commandes. Mais ne pouvant demeurer inactive, ce mois sacr? elle le consacre ? la fabrication des diouls. ?Si je ne fais rien, je suis malade. Pour l?anecdote : je suis all?e au bled, pour quelques jours, donc je n?avais pas grand-chose ? faire sauf me reposer. Je commen?ais ? me plaindre de maux de t?te, de dos et je dormais tr?s mal. Mon fils constatant le changement me dit avec une pointe d?ironie : ?Ah ! je sais ce qu?il te manque : ta drogue, l?odeur de l?huile, Bachdjarrah, tes m?semen et ta chekhchoukha !? ?Eh bien, il ne croit pas si bien dire, je ne peux pas rester plus de 15 jours loin de mes fourneaux. Cela s?est accentu? depuis la mort de mon ?poux, il y a trois ans. Mon travail, c?est une passion, ce n?est pas tellement l?argent qui m?int?resse en premier lieu, mais l?important c?est de demeurer active tr?s longtemps, car c?est de cette mani?re que je garde la forme !?
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