Le majestueux Illimani, pic de 6400 m enneigé toute l'année, est symbole de la ville. A ses pieds, il pleut des trombes. Puis il fait beau, puis froid, puis encore chaud et ainsi de suite à La Paz, ville au c?ur des Andes et au climat très instable.«Vous prendrez bien un f?tus delama '»Quartiers hauts, près de la grande église San Fransisco, à côté du Musée de la coca, c'est le marché des sorcières, calla de las brujas, où une vieille Aymara au visage strié par les intempéries, mais bien droite dans son chapeau de Cholas, fait brûler herbes et autres ingrédients dans sa boutique à touristes. «Todas las enfermemades», répète-t-elle, «toutes», elle soigne toutes les maladies du monde, qui sont, comme leur nom l'indique, un enfermement, y compris les maladies de l'âme.A côté, autour d'un plat de choclo (maïs) et quinoa (céréale des hautes altitudes), dont les graines ancestrales se gardent jalousement à l'abri des producteurs mondiaux de semence, des hommes devisent. Mouvement perpétuel, le Pachamamisme(1) est une histoire de cycle, à travers l'offrande (challa) on redonne à la terre un peu de ce qu'elle a donné pour qu'elle en donne encore, jusqu'à la fin des temps. Crise post-industrielle, le Pachamamisme est revenu à la mode avec l'écologie mondiale et connaît une seconde jeunesse.Religion à part entière, à la seule différence qu'elle n'a pas de temple, étant elle-même son propre temple, la nature, on la célèbre dehors à travers de complexes rituels masqués par un syncrétisme qui a dû intégrer la Vierge Marie de force. Si la Pachamama et Marie sont toutes deux des femmes, parfois le Pachamamisme, sponsorisé par l'Etat lui-même, peut entrer en conflit avec le christianisme. «Il ne s'agit pas de mettre des bombes dans des églises», m'explique tranquillement Felix Gardénas, le vice-ministre de la Décolonisation.Car, au-delà de l'exotisme, le Pachamamisme est un pilier identitaire rassembleur, Pacha signifiant aussi bien en Quechua qu'en Aymara l'univers, le temps et la terre, fourre-tout cosmique qui inclut aussi bien la médecine traditionnelle des guérisseurs Yatiris, la lutte contre les laboratoires américains, le collectivisme, l'anti-individualisme et l'anti-consumérisme pour le seul pays d'Amérique du Sud sans MacDonald's. Trêve de débats, la vieille Aymara a repéré un groupe de touristes et sorti le grand jeu, pierres, incantations et accessoires de torture.Mais que faire d'un f?tus de lama ' A enterrer sous une maison à construire ou un champ à fertiliser, l'équivalent du pneu en Algérie. Bien que la pratique soit formellement interdite, on dit même que dans les campagnes reculées à l'abri des regards on enterre encore des êtres vivants, la vraie tradition d'avant les f?tus de lamas.Des bébés ' Le Pachamamisme est une cosmogonie complexe, où même la pomme de terre, patata, bien connue des Algériens, mais qui vient des Andes, possède un dieu. Axumama, il s'appelle. C'est en fait une déesse.La feuille qui cache la forêtDu Pachamamisme, on ne connaît généralement que le culte de la coca aux 1000 vertus mais dont seules 4 variétés sur 200, dont la bolivienne, contiennent l'alcaloïde euphorisant. C'est évidemment plus large et le Pachamisme a été décliné en politique comme à La Paz au ministère de la Culture, où à l'angle de deux petites rues une conférence sur la question réunit plusieurs intervenants.Assiettes de coca posées devant, les conférenciers dégustent ce pur produit de la terre mère, résistant aux pressions américaines visant à interdire sa culture et sa vente. Mais si l'on peut acheter de la coca au marché du coin, on peut alors faire de la cocaïne ' Le sujet est tabou et officiellement il n'y a pas de laboratoires en Bolivie. Renseignements pris au Musée de la coca, il faut 500 kg de feuilles et tout un processus à base de produits chimiques, dont le kérosène, pour tirer un seul kilo de la célèbre poudre blanche.Ce n'est pas du Pachamamisme, qui n'aime pas la chimie, même si cette religion ancestrale a aussi été déclinée économiquement. Comme pour cette conférence à La Paz où des hauts cadres de l'Etat vantent l'idée du retour à la terre nourricière sans la surexploiter, mais aussi d'autres experts qui devisent sur le sens du monde, dont Rafaël Bautista qui développe un sujet étrange sur la relation entre le Pachamamisme et la mécanique quantique.C'est après, autour d'un café (colombien), qu'il accepte d'en dire plus. Cheveux blancs et tête de physicien atomiste, il explique calmement : «Nos peuples ont toujours eu une vision holistique de la vie, non fragmentée en individus, ils savaient que quelque chose qui se passe dans un endroit de la réalité interagit dans un autre endroit de cette même réalité.Ils développèrent donc une théorie où la nature n'est pas une machine comme le conçurent Galilée ou Descartes, mais un sujet, une personne, une mère et on ne peut se permettre une production qui détruise sa capacité reproductive. C'est une des choses que la physique quantique démontre en disant que ce qui paraît réel, solide, stable dans la matière ne l'est pas.» On l'aura compris, tous ces adeptes du Pachamamisme sont fans du président Morales qui a avancé «dix commandements pour sauver le monde», en commençant par la fin du capitalisme et colonialisme.Tout comme le fils de Patrice Lumumba, l'ex-président congolais assassiné par la CIA, participant aussi à ces études, venu du Congo «où l'on n'enseigne toujours pas à l'école qui était Lumumba». Il n'y va pas par quatre chemins, affirmant que «l'ennemi commun entre l'Amérique du Sud et l'Afrique est l'impérialisme avec ses bases militaires US installées sur les deux continents». C'est le maître-mot, la décolonisation. Une dernière feuille de coca pour la route et un rappel, la Bolivie est indépendante de l'Espagne depuis 1825 mais travaille encore sur les effets de la décolonisation. Que dire de l'Afrique, y compris l'Algérie ' Coca ou Sélecto ' 1) Le Pachamamisme, un concept andin d'espace et de temps, de Atuq Eusebio Manga Qespi (en espagnol)http://revistas.ucm.es/index.php/REAA/article/view/REAA9494110155A/24310
Posté Le : 22/02/2015
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Chawki Amari
Source : www.elwatan.com