Algérie

Voyage au bout de nous-mêmes



Voyage au bout de nous-mêmes
La réalisatrice et l'affiche du filmD'une durée de presque quatre heures, ce documentaire projeté en deux parties aux Rencontres cinématographiques de Béjaïa, lundi dernier, est sans aucun doute notre coup de coeur cette année.«Cette fresque est un cinéma en zigzag, à l'image des ramifications de l'éclair. Il décline son sujet dans plusieurs pays du monde et sur plusieurs siècles, simultanément, sous une forme documentaire et légendaire.» Ceci est le synopsis de cette expérience auditive, plastique des plus fantastiques. Comment parler de ce film qui, durant 3h50 mn, nous fait plonger dans l'univers de la foudre en l'abordant sous divers aperçus, organique, physiologique, naturelle et même mythologique et son impact sur le corps humain. Si la première partie se veut une longue succession de témoignages d'hommes et de femmes qui ont été touchés de plein fouet par la foudre et ont pu y survivre, plus tard, une autre partie va nous entraîner dans les méandres des atomes, du bing bang cosmique,tout en revenant aux origines de la réaction de l'amour, du coup de foudre en invoquant plein de sources dont littéraires comme Marivaux avec le texte Essai sur la dispute. Pêle-mêle, la foudre est déclinée dans ses différentes variables, nous déroutant un peu l'esprit et la perception. En fait, cette foudre-là est questionnée en forme de quatre saisons.En effet, à l'Automne un chasseur d'éclairs, identifié au dieu de la foudre syrien, Baal, projette 25 ans de ses archives vidéographiques sur la foudre, donne les clés scientifiques de ce phénomène fabuleux et dévastateur à la fois.Cinq victimes rejouent leur accident sur le lieu précis de leur foudroiement dont une touchante danseuse devenue handicapée des jambes, mais gardant néanmoins des sensations au niveau des doigts de pied.En somme, des miraculés qui n'ont cessé de revivre ce qui leur est arrivé sans croire s'ils sont encore en vie.La voix de Baal est incarnée par le chanteur et guitariste Rodolphe Burger.L'Hiver pour sa part, dérive vers le sentiment de mélancolie stade pathologique ultime de la dépression.Un médecin psychiatre incarne le dieu et la planète sombre de Saturne, se déplace en Afrique, en Syrie pour remonter aux sources de ses propres origines et celles de certaines pratiques ancestrales: un rituel pratiqué par des femmes au fin fond de la Guinée-Bissau, des derviches tourneurs et un poisson torpille qui, dans l'antique ville d'Alep guérissait les malades grâce à ses décharges électriques tout comme on soigne les malades aujourd'hui. Aussi, cinq patients témoignent de leur lente agonie mélancolique et leur gouffre atemporel.Le Printemps est la partie la plus énigmatique et ambigüe car elle matérialise sous la peau d'un archéologue, Syméon le Stylite, un fou de Dieu qui vécut 40 ans debout en haut de sa colonne en se refusant à tous les plaisirs, notamment de la chair. Syméon est mort foudroyé en Syrie, dans le désert de Cham près de Palmyre.Cet homme nous le verrons aussi fouiller la terre et raconter l'histoire véritable du savon d'Alep qui est un chaudron empli de mythologies. Puis nous glisserons vers l'histoire de cet enfant de la foudre, une sorte de truffe aphrodisiaque qui nait sous la foudre une fois par an, au printemps. Appelé Kama elle est connue aussi sous le nom de «Légume d'Allah» dans le récit des Mille et Une Nuits.L'Eté quant à lui met en scène, à partir du texte de La Dispute de Marivaux, le coup de foudre amoureux entre Azor et Eglé, isolés dans une île appelée Sutra. Là, le film bascule dans le temps et rejoue cette scène devant nous comme dans un théâtre solitaire sur la mer, après avoir mangé ce fruit défendu.Du XVIIIe siècle, le film, nous retournons à notre époque et refermons ce cercle dans l'explosion des sentiments. Comme des atomes destinés à se séparer à la fin.L'épilogue se veut des plus suggestifs et métaphoriques car il fait rassembler tout ce beau monde dans une boîte de nuit en lui faisant revivre une nuit de folie sous les airs de notes électroniques de la transe. Baal, Saturne, Syméon, les mélancoliques et les quelques foudroyés sont là tout comme les amants désunis pour une ultime tentative de foudroiement.Nous retrouvons aussi les danseuses de la Guinée-Bissau et à un étage au-dessus, les danseurs derwichs. Et cette image frénétique de ce danseur qui se fera planquer par cette jeune comédienne ex-dépressive auparavant, sauvée grâce aux vertus des planches. Orgasmique et d'autant plus atmosphérique, Foudre une légende en quatre saisons, nous fera bel et bien tanguer en nous-mêmes, transporter sur un bateau ivre flottant et plein de doutes que l'auteur a su projeter et incarner à l'écran par moult moyens esthétiques et sensoriels.Salvateur et gravement thérapeutique ce film hautement cinématographique par ses questionnements, sa richesse didactique et sa valeur formelle aura su débusquer notre petit déséquilibre enfoui en chacun de nous, remuer notre fibre sensible et tels frappés par la foudre, nous, spectateurs nous n'en sortirons pas indemnes. Mais sans doute est-ce le meilleur compliment qu'on pourra faire paradoxalement à ce film car pour un mal il nous en fera le plus grand bien au bout du voyage...Un voyage mystique savoureux et hypnotique par instant. Sortir de nos corps nous aussi nous l'avons tentée l'expérience car notre coeur, nos oreilles et nos yeux étaient pleinement acquis à cette aventure des plus «plastiques», voire «physique» qui malgré sa richesse de donnes scientifiques ou historiques a su nous toucher et nous interpeller comme une onde qui continue à voire défiler ses vibrations et défier ses continuums et nous faire méditer sur notre monde et notre propre rapport avec l'Autre.Un travail titanesque accompli par la réalisatrice Manuela Morgane (qui est aussi artiste-peintre et performeuse) et auquel elle a mis dix ans pour en venir à bout. Ce qui l'a grandi doublement. Un courage et une beauté des profondeurs à saluer pleinement. L'enfer de Dante ne peut que bien se tenir!


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