Algérie

«Vous êtes le seul à comprendre notre peine et le malheur de nos enfants» Les familles Antri Bouzar, Sator et Djaïdir à Monsieur le président de la République



«Vous êtes le seul à comprendre notre peine et le malheur de nos enfants»                                    Les familles Antri Bouzar, Sator et Djaïdir à Monsieur le président de la République
A la fin de ce mois de Ramadhan mémorable et à la veille de l'Aïd, nous, mamans et s'urs de nos chers fils et frères détenus à Serkadji, venons implorer votre miséricorde pour leur permettre, Monsieur le Président, en votre qualité de Premier magistrat et père de la nation, de nous rejoindre enfin, nous, parents profondément blessés et leurs jeunes enfants orphelins de père depuis dix-huit mois.
Monsieur le Président, nos familles et toutes les personnalités qui ont compati à notre douleur ont été bouleversées par la détention horriblement injuste de nos enfants, tous les trois des citoyens exemplaires tant par leur parcours universitaire et professionnel que par leurs qualités humaines de générosité et de solidarité, leur action sociale, leur participation à la formation bénévole de jeunes Algériens dans le secteur innovant de l'informatique. Nos fils et nos frères n'ont jamais eu maille à partir avec la justice et ont tous les trois un casier judiciaire vierge qui aurait dû les protéger au nom du respect absolu de la présomption d'innocence d'un mandat de dépôt hâtif d'un juge d'instruction qui n'instruit malheureusement qu'à charge en violation de la loi et qui s'est permis de leur déclarer, dès leur première comparution, qu'il était convaincu de leur culpabilité : préambule qui ne laissait aucun doute sur leur mise sous mandat de dépôt de la manière la plus expéditive, sans même les entendre pour la justifier. Personne ne peut imaginer la douleur d'un homme convaincu de son innocence et perdant à la seconde par la volonté d'un juge au pouvoir exorbitant son statut d'homme libre, de citoyen honorable, de père de famille : c'est un traumatisme à vie pour lui et son entourage.
Cette décision surprenante du juge, conforme aux réquisitions du parquet, sans le moindre souci de recherche de la vérité, est intervenue après une année d'interdiction de sortie du territoire, mesure respectée scrupuleusement par nos enfants et frères, sans aucune velléité de fuite du pays, étant certains de leur innocence. Mais aujourd'hui, nos juges ont exclu la présomption d'innocence et ne s'attachent qu'à l'accusation, de même que les juges du siège qui condamnent à tour de bras sans le moindre intérêt aux explications avérées qui leur sont données, soit par les avocats qu'ils traitent avec mépris, soit par les prévenus eux-mêmes. Leur innocence n'a pas suffi à les mettre à l'abri d'une affaire dramatique à laquelle ils sont totalement étrangers : le drame s'est passé entre deux personnes réputées avoir des liens très forts d'amitié et d'estime réciproque, et qu'à ce jour, nos enfants s'interrogent en vain sur les raisons qui ont motivé leur inculpation, alors qu'ils n'ont d'évidence aucun lien avec cette tragédie.
Certes, la société ABM a signé en 2007 un premier marché avec la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) dans la stricte légalité, appliquant les mêmes principes drastiques de régularité ainsi qu'à tous ses marchés avec les autres institutions étatiques, sans aucun contact privilégié préalable. Mohamed Antri Bouzar, n'ayant jamais eu de relation avec les deux hommes pour faciliter l'octroi du marché qui ne représentait qu'une même partie de sa culture d'affaires et qu'il avait répondu à un appel d'offres de la DGSN, une institution aussi prestigieuse, pour compter parmi ses clients, et confirmer la fiabilité de sa société à l'intérieur du pays.
Ce premier marché, qui serait à l'origine de leurs déboires avec la justice portant sur la vente de matériel informatique, n'aurait jamais été formalisé sans l'aval de l'organisme de contrôle de la DGSN qui n'a émis aucune réserve sur la légalité parfaitement transparente du contrat. Sans cette validation, le projet de marché aurait échoué, et nos enfants et frères ne seraient pas enfermés et victimes d'une grande injustice incarcérés dans des conditions extrêmement difficiles et un désespoir tel qui a généré une grève de la faim s'apparentant à un vrai suicide collectif et dont ils ont gardé les séquelles : angoisses, insomnies, céphalées.
Monsieur le Président, il faut que vous sachiez que tous les membres de la commission qui ont validé le marché ont été également poursuivis, mais ont été laissés en liberté, ont repris leurs activités au sein de la DGSN et certains ont même eu des promotions : cette différence de traitement accable nos enfants qui se demandent pourquoi cette discrimination envers eux, alors qu'ils ne sont poursuivis que de chef de complicité de dilapidation de deniers publics ' A ces personnes qui sont certes compétentes et dignes d'intérêt, on a appliqué le droit de rester en liberté et c'est heureux qu'ils puissent poursuivre leurs activités. Mais pourquoi la prison pour les nôtres ' Nos enfants et nos frères n'ont jamais volé ni tué et sont révoltés au fond de leur cellule.
Tous les membres de cette commission n'ont eu de cesse de louer la qualité de service et la fiabilité de la société ABM. Merci à eux. Dans la réalité, il n'y a de la part d'ABM aucune dilapidation de deniers publics : ils ont vendu et livré un matériel informatique dont une partie n'a jamais été réglée à ce jour ; il n'y a eu aucun dommage ni aucun préjudice de leur part et encore moins un préjudice moral imaginaire.
Monsieur le Président, vous êtes en mesure de comprendre la douleur et la souffrance des mères et s'urs qui sont révoltées par l'injustice qui sévit dans notre pays. La prison de Serkadji, symbole des martyrs de notre révolution, est devenue le symbole de malheur de milliers de familles algériennes honorables. Qui supporterait de voir enfermé des mois durant un proche, sans pouvoir lui assurer une vraie défense et un procès équitable ' Nos enfants et nos frères n'ont eu ni l'un ni l'autre. Leurs enfants souffrent de cette absence. Ces dernières années, les juges de notre pays terrorisent les citoyens qui ont le malheur de croire en la justice de notre pays et de comparaître devant eux : leur pouvoir les rend arrogants et inhumains.
Tout citoyen peut subir la même injustice et être mis sous mandat de dépôt ; la justice dans notre pays est devenue un mythe et une terreur. Nous avons énormément souffert, pour la plupart d'entre nous, des années de guerre, encore souffert des premières années de l'indépendance, sans parler de ces vingt dernières années où nous avons mis un point d'honneur à demeurer dans notre pays ensanglanté et à donner le meilleur de nous-mêmes, tout en sachant les menaces qui planaient sur nos vies dans notre quartier de Kouba.
Nos enfants ont travaillé durement pour réussir leurs études, puis créer des entreprises, donner du travail et enseigner pour transmettre aux jeunes les éléments permettant l'accès à l'informatique, et se retrouvent brusquement traités comme des êtres indignes, jugés à l'emporte-pièce par des magistrats dépourvus d'humanité et le plus souvent sans expérience qui ont meurtri notre société avec leurs décisions consternantes. Aujourd'hui, Monsieur le président de la République, vous êtes le seul à comprendre notre peine et le malheur de nos enfants qui ont tant espéré de l'année du cinquantenaire et de votre attachement à votre mère, que vous n'auriez jamais supporté de voir souffrir comme nous. Nous savons l'amour que vous lui portez toujours, votre attachement à vos frères et s'urs qui ne peut être que le signe d'une grande sensibilité, et c'est la raison qui nous conduit vers vous, loin des juges qui ont accablé, sans preuves, les nôtres et dont le mandat de dépôt est la règle et non l'exception, comme le dit la loi.
Les prisons sont surpeuplées et c'est le lieu de toutes les espérances à votre égard en votre qualité de président de la République, garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. En ces jours sacrés, libérez nos enfants et nos frères, Monsieur le Président, et illuminez enfin notre vie et celle de nos enfants injustement traités en ces jours symboliques de réconciliation et de pardon. Veuillez croire, Monsieur le président de la République, à nos sentiments sincères et à notre haute considération.
Fait à Alger, le 14 août 2012


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