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En Algérie, le
regain d'intérêt pour la question de la société civile se manifeste de plus en
plus face à l'arbitraire qui a caractérisé les tenants du pouvoir depuis
l'indépendance, sans doute davantage depuis ce qu'il a été convenu d'appeler
«les événements» d'octobre 88 et la déferlante liberté d'expression savamment
distillée et contrôlée.
Ainsi, depuis la
vague d'attentats individuels et de masse depuis 1992 préfigurant une guerre
civile larvée, cette question redouble de pertinence puisque, en dernière
instance, la société civile se retrouve comme principale victime alors même
qu'elle pourvoit au personnel politique, syndical, associatif, administratif, judiciaire…
Aussi, l'interrogation demeure de savoir qui sont les véritables commanditaires
de ces crimes et assassinats commis contre la société civile, et singulièrement
ceux dont les intérêts névralgiques -calculés en milliards- risquent d'être
sérieusement remis en cause ? En tout état e cause, l'analyse des faits depuis
octobre 88 montre au moins le recul notable de la peur des Algériens cantonnés
pour beaucoup jusqu'alors à la défensive. De façon tragique, ces faits n'ont
cessé de révéler la résolution d'une fraction du pouvoir qui cherche à s'y
maintenir au prix de n'importe quelle compromission et prête à sacrifier la vie
de milliers de citoyens. D'où l'interrogation sur cet intérêt subit pour la
société civile.
Il est de
notoriété publique que ni les tenants du pouvoir actuel, ni les islamistes ne
sont monolithiques en ce sens qu'ils recèlent en leur sein des tendances
désignées sous les vocables de «conservateurs» et de «modernistes», de «durs»
et de «modérés», d' «éradicateurs» et de «réconciliateurs» ... Toujours est-il
qu'une frange de l'une ou l'autre de ces tendances est tentée de jouer la carte
de la société civile. Ce scénario est d'autant plus évident que les uns, comme
les autres, ont intérêt à stopper toute initiative de nature à susciter un
projet différent du leur. La société civile se révèle, lors des diverses
manifestations à travers le pays, comme un acteur pouvant générer son propre
projet au détriment des appareils classiques constitués tant par l'Etat que par
les partis politiques. Y aurait-il ainsi une conjonction d'intérêts communs et
une alliance objective entre ces appareils et la société civile pour cibler le
même enjeu, c'est-à-dire le pouvoir ?
En Algérie, il
est manifeste que la société civile (société réelle) vit sous le joug de la
société légale (la société au pouvoir), cette dernière continuant de gouverner
vaille que vaille sous le signe de l'illégitimité et le sceau du monopole de la
violence. Or, si la société civile aspire naturellement à la paix, peut-elle se
permettre de se lier avec la fraction du pouvoir qui a tiré sur le «chahut »
des gamins algériens (voire qui a ouvert la voie à la «décennie noire») ou
encore avec la fraction armée de la tendance jusqu'au boutiste
de la mouvance islamique ? Il est vraisemblable que l'Algérie réelle est pour
un Islam modéré et pour un pouvoir assaini de ses éléments corrupteurs.
En effet, il y a
lieu de tenir compte de deux paradigmes importants : la vision séculaire de la
société algérienne (au moins en partie), suite à la conquête du Maghreb à
l'Islam avec comme but suprême l'édification de la cité idéale -El madina el fadhila- (héritage
hellénique de la République ?) et la conception de la modernité depuis la
colonisation française avec ses attributs relatifs à l'idéal démocratique et le
respect des droits fondamentaux de l'homme qui a néanmoins abouti en cent
trente ans d'occupation à la tentative de déstructuration culturelle, mentale
et spirituelle et, en définitive, de l'identité algérienne.
De ce point de
vue, force est de souligner la permanence de l'ethnie arabo-berbère,
des langues parlées -l'arabe dialectal et le kabyle, pour l'essentiel-, de
l'esprit communautaire et de solidarité, du patriotisme comme nouvelle donne
issue du mouvement national algérien, des essais de structuration étatique et
de développement socio-économique enregistrés par la mémoire collective comme
échecs et intégrés au moi national de façon critique. L'assimilation par
l'intelligentsia algérienne de l'ensemble de ces éléments aboutit à l'idée de
la nécessité d'une synthèse à opérer par des femmes et hommes intègres, techniciens
avérés et politiquement neutres en vue de l'émergence de la société civile
comme acteur politique hors des sphères officielles.
A cette synthèse
doit faire face la société civile elle-même comme principal pourvoyeur du
personnel politique appelée à gouverner l'Algérie. Tel doit être l'objectif
prioritaire, en vue d'éliminer tout esprit extrémiste ayant pour credo la
violence ou la torture comme mode d'orientation de la conscience nationale, ainsi
qu'il en a été en Algérie durant une longue période. La société civile doit
conquérir ses lettres de noblesse en supplantant toute velléité de dictature
militaire ou spirituelle, loin de la gérontocratie gouvernante dès lors que la
jeunesse constitue sa composante première. Ce faisant, elle aura à négocier
avec détermination avec la société légale -c'est à dire le pouvoir qui légifère
en son nom- et la société partisane (les différentes formations politiques
toutes tendances confondues) qui sollicitent ses voix. C'est à ce prix que la
société civile aura procédé à la rupture d'avec la stratégie défensive qui l'a
jusqu'ici caractérisée. Ce d'autant plus que la violence, devenue une donnée
quotidienne, a eu pour résultat entre autres de marginaliser (voire de faire
faire fuir) la matière grise du pays.
En conséquence, la
situation d'impasse politique que connaît l'Algérie (que
ne sauraient compenser les consultations officielles visant des réformes à base
constitutionnelle) et le mal développement économique et culturel peuvent-ils
faire l'économie d'une solution radicale, cette solution étant la résultante de
changements intervenus sur la sphère mondiale. Ainsi, entre autres éléments, deux
sont importants : d'une part, les transformations des relations internationales
par la dislocation du bloc de l'Est et le réveil des nationalismes (sanglant
dans le cas de la
Yougoslavie notamment), la fin du monde bipolaire Est-Ouest, la montée en puissance des mouvements
écologiques dans les pays industrialisés et la paupérisation de plus en plus
grande des nations prolétarisées avec l'émergence en leur sein d'une lumpen-intelligentsia gommant les germes des classes
moyennes et, d'autre part, la faillite de l'économie rentière tirant ses
principaux dividendes des hydrocarbures que certaines franges du pouvoir se
sont réparties à travers la construction d'usines par prête-noms interposés, villas
cossues, comptes bien garnis en Suisse ou ailleurs, mode de vie ostentatoire et
attentatoire à l'ordre public algérien en ce qu'il viole les mentalités par la
frustration qu'il y installe.
Une synthèse en
vue d'un projet politique, culturel, social et économique constitue sans doute
la première étape pour la société civile afin de mettre en place une approche à
même d'asseoir une solution durable aux maux qui rongent l'Algérie post-indépendance
depuis bientôt une cinquantaine d'années. Cette synthèse, qui ne saurait être
l'Å“uvre ni d'un homme providentiel ni encore moins d'une gérontocratie gouvernante,
peut permettre la naissance d'une pensée politique expurgée de toutes les
scories du passé. Une nouvelle doctrine pour la nation algérienne à travers sa
société civile. Il reste évident que cette dernière ne s'oppose ni à la société
militaire (sauf en ce qu'elle a de répressif et lorsqu'elle est
instrumentalisée par des politiciens véreux à des fins de pouvoir) ni à la
société spirituelle (excepté lorsque celle-ci cherche à lui imposer un mode de
pensée et de comportement dont elle n'a nullement besoin). Il est d'ailleurs
clair que la société militaire, comme celle spirituelle, est traversée par les
mêmes contradictions.
Au surplus, s'il
est naturel de bénéficier de l'expérience d'hommes politiques sages et assagis
par l'âge, vouloir instaurer un système politique où les principaux rouages de
l'Etat (gouvernement, assemblée, armée, partis …) sont exclusivement aux mains
de la gérontocratie est suicidaire. Une partie de cette dernière serait bien
inspirée si elle faisait valoir son droit à la retraite, sans attendre son
congédiement, signifié au demeurant par la jeunesse du pays depuis au moins
octobre 88. La ritournelle opposée à ce jour selon laquelle les jeunes
n'auraient aucune expérience est largement dépassée car, d'une part, pour la «
quadra » (après dix à quinze ans de pratique universitaire, administrative, judiciaire,
politique, journalistique…) s'est largement affranchie de cette critique
utilisée comme ruse factice et, d'autre part, une partie du personnel politique
n'a plus rien à dire ni à apporter à l'Algérie si ce n'est de répondre pour
certains de leurs actes délictueux -voire criminels- ayant mené l'Algérie à la
situation actuelle. Cette situation se caractérise par le fait notable que la
société civile a été privée de son droit légitime à l'expression sous toutes
ses formes ; ce, alors même qu'elle doit être par essence le vivier naturel du
personnel politique effectivement décideur.
*(Avocat – Auteur
Algérien)
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Posté Le : 16/06/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ammar KOROGHLI
Source : www.lequotidien-oran.com