Les choses
étaient bien plus simples pour tout le monde. Les analphabètes avaient
toujours, au départ, cinquante pour cent de chance de tomber sur leur choix.
Ils étaient surtout certains de figurer dans le résultat final, étant donné que
le «oui» et le «non» signifiaient la même chose. On concluait toujours avec un
pourcentage maximum de «oui». Les comptes finaux étaient faciles.
Les résultats
plaçaient toujours les mêmes personnes aux commandes. Cela n'empêchait pas les
choses de faire quelques pas en avant. Aujourd'hui, avec beaucoup de travail et
des dépenses énormes, nous avons les mêmes résultats. Pour le citoyen
ordinaire, la médiocrité de gestion n'a pas changé. D'un coté l'état dépense
des fortunes, signe de bonne volonté de progresser, mais d'un autre, nous avons
des émeutes presque tous les jours et dans toutes les régions. Le
mécontentement populaire a pris des dimensions effrayantes. Bien sûr, des
projets immenses ont vu le jour. Nous avons de jolies routes, le métro, le
tramway, de grandes cités et bien d'autres infrastructures en projets, mais
tout cela semble ne pas suffire en cette époque des grandes attentes. Il est
bien clair aujourd'hui, que les grands moyens sans grande intelligence dans la
gestion, ne peuvent suffire pour satisfaire des exigences de plus en plus
pressantes. Est-il donc nécessaire d'attendre des discours et des statistiques
pour comprendre que l'incompétence et la négligence ont trop duré ? C'est le
temps des vérités. Nos enfants ne sont plus comme nous. Ils savent tout et ne
sont pas prêts à fermer les yeux et patienter, comme on l'a fait, lorsque le «
oui » et le « non » avaient le même sens. Ce qui nous a
conduit à notre état actuel. Celui qui votait « non » n'était pas
nécessairement moins nationaliste, il avait tout simplement une vision
différente des choses. Une vision qui, si on avait pris la peine de l'étudier,
on aurait peut être épargné bien des dégâts. Et des retards. Un jeune collégien
de treize ans a récemment demandé à son père, un voisin : « Parce que le wali
est un homme actif, notre village a changé de visage, c'est très bien. Mais
comment expliquer que dans notre école il y a toujours des salles sans
étanchéité, sans lumière adéquate, parfois sans chauffage,… ? ». Bien sûr, en
se rappelant qu'autrefois, sans gaz naturel et avec peu de moyens, les classes
étaient chauffées avant même l'arrivée des écoliers, on comprend que la
question n'est pas seulement une affaire de choix binaire, « oui » ou « non »,
ou multiple, entre partis multicolores.
Aujourd'hui, ils
sont plus d'une vingtaine de partis censés nous représenter, mais on n'entend
aucun. Ils sont là pour ne représenter qu'eux-mêmes. Les affaires locales sont
gérées par des personnes désignées à notre insu et nous n'avons ni le pouvoir,
ni les moyens de les contrôler. Les élus locaux ne sont là que pour un rôle
secondaire, pour servir de décor, pour tromper on ne sait qui.
La désignation
des responsables, souvent selon de faux critères, est une chose courante chez
nous, et on la trouve dans tous les secteurs.
A titre
d'exemple, un directeur central, fraichement nommé à
la tête d'un grand institut de formation, arrive pour la première fois à une
école à Oran. Pour une première rencontre, le personnel ne s'attendait pas à
entendre : « j'ai tout juste trente minutes pour vous écouter ». Et
effectivement, le premier intervenant était arrêté avant même de terminer ce
qu'il avait à dire, et le reste des présents a compris que le nouveau chef était
vraiment pressé de clôturer la séance. Et ce n'était pas l'avion pour Alger qui
l'attendait, parce qu'il est resté l'après midi visiter les lieux. Un
responsable qui n'a pas la patience d'écouter ses subordonnés est un mauvais
gestionnaire. Il n'a pu être désigné que par un autre pire que lui. Lorsque les
bases élémentaires de la bonne gestion ne sont pas respectées, il est illusoire
de parler de bons résultats. La qualité du travail est fortement liée au moral
de ceux qui le produisent. L'injustice, quelles que soient ses formes et ses
sources se traduira toujours par de mauvaises
performances.
L'incompétence,
on la sent, on la voit, on la vit et on est souvent forcé de la supporter. On
ne peut pas la cacher. Lorsqu'on doit parcourir, par exemple, des centaines de
kilomètres et passer des mois pour compléter des dossiers, tout juste pour
corriger, ajouter ou enlever une lettre de son nom, il est bien évident que
cela n'est pas normal. L'identification d'un individu se fait à la base de
dizaines de paramètres, déjà inscrits sur le même document. Trouver deux
individus avec les mêmes noms et prénoms, les mêmes lieux de naissance, les
mêmes dates de naissance, les mêmes noms et prénoms des parents, etc., est une
chose purement impossible. Alors pourquoi punir un citoyen en l'obligeant à
courir pour changer une lettre dans son acte de naissance, lorsque cette lettre
arabe, par exemple, peut avoir plusieurs traductions en français ? On punit le
citoyen pour une erreur qu'il n'a pas commise. L'administration ne peut-elle
pas corriger ce genre de fautes, par simple demande écrite ? Surtout lorsqu'on
sait que cela concerne un grand nombre de citoyens. Faut-il avoir des génies
pour résoudre ce genre de problèmes élémentaires, qui dérangent inutilement et
au quotidien, des milliers de citoyens ? Avec le téléphone et le réseau
informatique, un simple agent de l'administration peut facilement rassembler
tous les documents nécessaires et épargner le citoyen une punition inutile. Un
lycéen né à l'étranger, raconte qu'au lieu de se concentrer sur la préparation
de son bac, il passe son temps à rédiger des lettres, à droite et à gauche,
pour la correction de son nom comportant des lettres ayant la même
prononciation en français et des sons différents en arabe, « gh » et « r », pour l'obtention d'une carte d'identité,
obligatoire, le jour de son examen.
Lorsque le sens
des priorités est absolument absent, on ne peut pas parler de gestion. Gérer le
hasard demande beaucoup de moyens, d'efforts, d'énergie et d'intelligence. Cela
ne doit pas hasarder la gestion pour arriver à des résultats incertains et
entrer dans une spirale infinie, telle une suite divergente de complications.
On n'en finira jamais. Pourtant, c'est apparemment ce qui se passe chez nous.
On a l'impression que nous vivons une éternelle crise. On cherche à moderniser
sans l'adhésion efficace du citoyen, qui de nos jours, se sent absolument à
l'écart. A quoi bon voter si tous les programmes politiques se ressemblent ?
Tous les partis promettront des emplois, des logements, de la justice sociale,
etc.…Et les billets de banque qui sont toujours sales et déchirés ? Depuis
quand les citoyens souffrent de cette situation ? Ce qui se passe chez nous, ne
se trouve nulle part ailleurs. Dans une banque, j'ai assisté à une querelle
entre un client et le caissier : « Je ne prends pas ces billets de deux cent
dinars déchirés, la dernière fois j'ai passé mon temps à les scotcher et prier
les commerçants pour les accepter ».
Et les queues
d'attente, au quotidien, dans les bureaux de postes, les tribunaux, les APC,
les hôpitaux ? Et la mauvaise gestion locale ?
On nous trouvera
toujours des arguments pour justifier les multiples erreurs de gestion et la
négligence exagérée, mais personne n'est convaincu lorsque ce sont les mêmes erreurs
qui se répètent alors que les moyens ne manquent pas pour mettre fin à cette
situation.
En 2012, on
croyait qu'après tout ce qui a été dit et écrit, on n'allait plus revoir les
mêmes modes de fonctionnement archaïque. Malheureusement, rien n'a changé. On
continue, par exemple, de voir dans la même wilaya, une route en assez bon état
en train d'être refaite à zéro, avec tous les dérangements connus, alors qu'à
côté, une route nécessitant une intervention urgente, tout simplement négligée.
La route liant la zone industrielle d'Arzew à l'autoroute est-ouest, jonction
d'Oued Tlélat, et trop fréquentée par des camions
citernes provenant surtout du sud-ouest, est un bon exemple.
Nous avons encore
le problème des jeunes du pré-emploi qui sont encore
injustement exploités. Leur misérable paie est souvent en retard. Lorsqu'ils
commencent à se stabiliser et maitriser leur
fonction, ils sont renvoyés malgré le manque de personnel dans les unités.
Dans un grand et
joli bureau de poste, une vieille dame trop abimée et
apparemment malade, entre et se dirige vers la seule employée :
- Bonjour. Je
vois que tu es seule ma fille, j'espère que vous n'êtes pas en grève.
- Non, El Hadja,
seulement les deux collègues sont des pré-emploi,
et comme elles n'ont pas reçu leur paie pendant plus de deux mois, elles ont
décidé de partir.
- C'est triste.
Je suis venue pour retirer un chèque de cinq mille dinars.
- Désolée, El
Hadja, je n'ai pas un sou dans la caisse. Mais reviens cet après midi, il y
aura peut être de l'argent.
- On ne va pas le
fabriquer cet argent ? S'il est déjà disponible quelque part, est-il si
difficile de l'avoir maintenant ?
Un client arrive
et interrompt la discussion :
- Bonjour. J'ai
quinze mille dinars à verser au compte de CETELEM.
- Désolé Monsieur.
Je n'ai pas d'imprimé, je ne peux vous effectuer cette opération.
- La dernière
fois c'était l'imprimante en panne, et cette fois ci, c'est l'imprimé qui
manque. Mais comment est ce que vous travaillez ?
Nous vivons trop
de faux problèmes, et cela rend malade. Le laisser aller, telle une contagion
dangereuse, s'est propagé pour atteindre des proportions incroyables. Il ne
suffit pas d'avoir de jolis établissements pour prétendre au développement, il
faut surtout avoir des citoyens motivés, et donc prêts à plus d'efforts et de
sacrifices pour défendre l'intérêt commun.
Lorsqu'il y a
preuve de négligence et d'incompétence, un responsable qui se respecte
démissionne. Dans un système correct, ce responsable sera démis de ses
fonctions. Il ne sera pas appelé à d'autres fonctions, parfois à un poste
meilleur. En récompensant l'incompétence et la négligence, nous avons encouragé
le laisser aller et la médiocrité. On est arrivé à ce mode de fonctionnement
lorsqu'on a réussi à anéantir toute opposition et on a cru gérer une propriété
privée. Seule une opposition forte est en mesure d'assurer un avancement sain
et durable de la société. Ce qui est basé sur du faux ne dure jamais. En cette
période dangereuse de transformation du monde arabe, il est difficile de comprendre
comment on continue encore à ignorer les voix multiples qui appellent à plus de
transparence et de sérieux dans la gestion du pays.
On se demande
aujourd'hui, si l'arabe dans son état normal, n'est pas à moitié anormal,
sourd, muet et aveugle. Les Tunisiens disent qu'ils sont différents et qu'ils
ont leur spécificité, les Egyptiens disent la même chose, les Syriens, et tous
les autres. Les Algériens, le disent aussi. S'il est vrai que des
particularités existent dans les différentes sociétés, cela n'empêche pas les
peuples d'avoir tous, plus ou moins, les mêmes aspirations. Tous les peuples
sont nés libres et sont déterminés à le rester, quel que soit le prix à payer.
Une gestion intelligente permet toujours d'atteindre un certain degré d'équilibre
entre les différentes forces pour garantir un développement stable de la
société et assurer l'avenir des générations futures. Et comme les dictatures ne
permettent généralement pas de changements progressifs des régimes, il est tout
à fait naturel, qu'à la longue, les peuples arrivent à la conclusion que la
seule alternative reste la force. Une transition sans grandes perturbations
nécessite une très grande intelligence. En effet, durant les longues périodes
des dictatures, se tissent des liaisons complexes qui font que la corruption se
généralise et la mafia se transforme en pouvoir parallèle. Pour mettre fin à de
telles situations, il faut l'adhésion du peuple qui doit d'abord être prêt à
écouter les discours. Un peuple qui n'a pas confiance en ses responsables, pour
être trop déçu, ne les écoutera peut-être pas les moments difficiles.
On peut tromper
une partie du peuple, une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le
monde, tout le temps. » Je crois que c'est Abraham Lincoln qui a dit quelque
chose comme ça. Les citoyens ne sont pas stupides, ils sont tout simplement
patients. Evidemment, comme il y a des niveaux et des degrés dans toute chose,
il y a également des degrés d'intelligence, de niveau d'éducation politique, de
conscience et bien d'autres caractéristiques entre les peuples. Nous pouvons
par exemple dire, que vers la fin des années quatre vingt, les Algériens
étaient les seuls dans le monde arabe à suivre les effets de la perestroïka
soviétique, en avance même de quelques pays de l'Est. Nous sommes le seul pays
arabe à avoir eu six leaders différents en moins de cinquante ans. L'expérience
des algériens dans le domaine politique est beaucoup plus riche que celle de
bien d'autres de la région et le peuple algérien le sait. Il sait également que
le pays ne manque pas d'experts et de moyens pour jouer les grands rôles dans
la scène politique.
Toutefois, le
citoyen ordinaire pourrait ne pas comprendre ou ne pas être intéressé par les
grandes questions politiques ou économiques. C'est une affaire des experts et
des élites politiques, et l'Algérie n'en manque pas. Ce qui l'intéresse, par
contre, c'est surtout son mode de vie au quotidien. Il peut ne pas être
intéressé par ce qui se passe dans notre région, mais les dirigeants intelligents
savent que nous en faisons partie et que nous devons être attentifs à ce qui se
prépare. Bien sûr, les dictatures sont partout pareilles et elles n'écoutent
personne. On ne comprend pas, par exemple, comment, un pays comme l'Iran avec
tous ses atouts économiques et géostratégiques, a
choisi le domaine de l'armement pour prouver sa capacité d'influence dans la
région ? Nous ne doutons pas du courage et de la détermination de nos frères
persans, mais quand les forces du mal déclarent la guerre loin de leurs
territoires, ce sont toujours nos terres et nos peuples qui souffrent. Les
mercenaires à la recherche de visas en occident seront utilisés comme
boucliers, et les dépenses seront payées en surplus par les valets arabes. Les
forces impérialistes ne perdent rien, et ne cherchent que des prétextes pour
renforcer leur présence dans les zones qui les intéressent. En trompant comme
d'habitude, avec la propagande qu'elles maitrisent
bien, les opinions internationales, elles cherchent l'occasion de tester leurs
équipements militaires modernes et, surtout, garder le monde musulman sous
surveillance. Si les Arabes ont prouvé leur ignorance et l'ont confirmé, on
croyait les Iraniens un peu plus intelligents pour éviter de tomber dans le
piège qui leur est tendu.
L'Algérie a les
moyens pour réussir une transition douce vers un système démocratique réel et
stable, avec plus de justice et de liberté. L'année 2012 doit être l'occasion à
ne pas rater pour se replacer une fois pour toute sur la bonne voie. Donc, «
oui » ou « non », les Algériens seront-ils au rendez-vous ? Et si tous les
partis agréés participeront aux élections futures, pourrions-nous dire qu'on a
réussi le pari ? Non. Car, ce qui compte réellement, c'est le taux de
participation des citoyens. Des partis sans poids réel, n'attirent personne et
ne changeront rien. Et pour rétablir la confiance des citoyens, il faut tout
d'abord commencer par résoudre les faux problèmes qui ont trop duré.
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Posté Le : 09/02/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ghris Djillali
Source : www.lequotidien-oran.com