Algérie

«Voilà pourquoi Aqmi continue à assassiner des Algériens» Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le terrorisme (CF2R), au Temps d'Algérie :



«Voilà pourquoi Aqmi continue à assassiner des Algériens» Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le terrorisme (CF2R), au Temps d'Algérie :
Le Temps d'Algérie : Quelle évaluation faites-vous, aujourd'hui, de la capacité de nuisance du terrorisme en Algérie 'Eric Denécé : Après avoir connu de nombreux revers face aux forces de sécurité algériennes, mais aussi en raison du rejet de l'Islam salafiste radical par la population, excédée par 10 années «noires» de terrorisme, le GSPC (groupe salafiste pour la prédication et le combat) a été encore un peu affaibli par la politique de réconciliation nationale décrétée par le président Bouteflika. Aussi, il s'est trouvé réduit à la portion congrue au début des années 2000, ses effectifs et ses zones d'opération ont fondu comme neige au soleil.
L'annonce, en 2007, de l'allégeance du GSPC à Al Qaïda a-t-elle changé les donnes '
Le GSPC a malheureusement retrouvé un peu de dynamisme grâce à l'action terroriste internationale impulsée par Ben Laden et Al-Zawahiri. Afin de survivre, il n'a eu d'autre choix que de faire allégeance à Al Qaïda, perdant ainsi un peu de son caractère national, en devenant Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), mais retrouvant, auprès de certains jeunes, l'aura qui lui faisait défaut pour continuer à exister et à recruter.
Toutefois, cette évolution n'a pas eu les effets escomptés, car les terroristes de l'ex-GSPC n'ont pas réussi à attirer autant d'étrangers qu'ils le souhaitaient au sein de leur groupe, qui reste à forte dominante algérienne. Surtout, Aqmi s'est trouvé en concurrence (et parfois dépassé) par d'autres groupes opérant au Sahel (Mujao, Ansar Dine, etc.), dont les leaders ou une partie des éléments étaient parfois issus de ses rangs. Enfin, les dissidences ont fragmenté le mouvement, à l'exemple de Belmokhtar, qui a voulu «devenir calife à la place du calife» et a fait directement allégeance à Al Qaïda
Il y a eu, d'un côté, l'offensive militaire française contre les organisations terroristes au nord du Mali, et de l'autre côté la déstabilisation de la Libye'
Une nouvelle évolution est en cours actuellement, sans que l'on puisse encore véritablement en mesurer les effets concrets pour Aqmi. D'une part, l'intervention française de début 2013 au Mali a porté des coups considérables aux mouvements terroristes opérant au Sahel et a contribué à affaiblir encore Aqmi et ses affidés locaux. En revanche, la déstabilisation de la Libye (et l'incapacité du gouvernement de Tripoli d'assurer le contrôle de son territoire) en fait un nouveau sanctuaire des djihadistes aux frontières mêmes de l'Algérie, ce dont ce groupe pourrait chercher à tirer parti.
Le terrorisme avait failli, dans les années 1990, accaparer le pouvoir en Algérie. Aujourd' hui, le terrorisme sait qu'il ne peut pas accéder au pouvoir. Pourquoi, donc,
continue-t-il à sévir, d'après vous '
Tant qu'il y aura une poignée d'individus fanatisés, un mouvement ne disparaîtra pas, d'autant que les idéologues radicaux de ces groupes savent toujours cibler et convaincre des esprits faibles se laissant endoctriner facilement. C'est la base de leur recrutement.
Par ailleurs, tant qu'il y existera quelques frustrations socio-politiques, aussi infimes soient-elles, un groupe contestataire ou terroriste conservera une certaine capacité à se renouveler. Nous en avons l'exemple, dans un registre différent, en Espagne avec l'ETA (qui continue à recruter quelques jeunes malgré sa considérable perte de vitesse), et en Italie, où les Nouvelles Brigades Rouges sont en train de renaître, certes modestement, à partir d'effectifs jeunes, alors que le contexte politique n'a rien à voir avec celui des années 1980. Dans tous ces cas de figure, nous sommes confrontés à une frange minime de la population, qui n'existe que pour s'opposer (plus ou moins violemment) aux institutions existantes.
Elle ne sait que critiquer, condamner, détruire, assassiner' mais en aucun cas apporter des solutions réalistes et viables aux situations qu'elle dénonce. Malheureusement, une nation produira toujours des individus insatisfaits, frustrés, exaltés, haineux, déterminés à poursuivre leur «lutte», aussi infondée soit-elle.
C'est ainsi qu'Aqmi continue à assassiner des Algériens. Aujourd'hui, le terrorisme est devenu un business pour les dirigeants des groupes armés (ce qui est valable pour Aqmi comme pour beaucoup d'autres) qui soit reçoivent des fonds d'Al Qaïda, ou cette activité leur sert de paravent pour développer des activités criminelles de toute nature.
Nous en avons l'exemple parfait avec Mokhtar Belmokthar. La poursuite de la lutte leur permet aussi de conserver un pouvoir personnel, ce qui est un des ressorts psychologiques de leur action. Ainsi, le cas d'Aqmi est particulièrement révélateur de l'évolution que connaissent les groupes agissant au nom du «djihad».
D'une part, il est devenu autant une organisation criminelle qu'un mouvement terroriste, se livrant à des trafics de toute nature et à des enlèvements crapuleux. D'autre part, à travers ses méthodes de recrutement coercitives, ses pratiques internes et l'adhésion à un Islam totalement déviant, il revêt un véritable caractère de secte. Alors, est-ce qu'Aqmi est un groupe terroriste, criminel ou sectaire ' Les trois à la fois'


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