Algérie

Violences coloniales en Palestine occupée (Suite et fin)



Publié le 03.06.2024 dans le Quotidien d’Oran
par Mazouzi Mohamed*

Il est essentiel de préciser que l'Etat d'Israël n'aurait jamais vu le jour sans l'indéfectible intervention de certaines institutions mises en place avant la naissance même de l'Etat d'Israël : « The Palestine Land Development Company » ( 1909) , « The Jewish National Fund » (1901), « The Keren Hayessod » (1920), « The Palestine Jewish Coloniatior Association » (1924).

Ces institutions se répartiront les tâches essentielles qui serviront à fabriquer Israël : Acheter les terres, organiser et financer l'opération d'immigration et d'installation des juifs, créer des colonies et avec le temps, comme ce sera le cas pour l'indétrônable « Fonds National Juif », devenir une organisation maffieuse qui se chargera des spéculations foncières les plus répréhensibles.

On constatera une similitude frappante entre la politique coloniale de l'occupant français en Algérie et celui israélien, notamment dans la légalisation des opérations de dépossession et d'extermination, il s'agira toujours d'invoquer les mêmes motifs qui serviront d'alibis à leurs crimes : Sécurité, Développement, Utilité publique, Terres mortes et incultes, Absence de titre de propriété, Séquestre comme punition collective pour avoir participé à des actes insurrectionnels.

Sur les décombres des centaines de villages et sites séculaires complètement rasés en Palestine occupée, Israël utilisera comme procédé final la technique de l'Afforestation à outrance. On plantera des millions d'arbres, on fera pousser des forêts, on installera des parcs, on essayera piteusement d'hébraïser les lieux et les sites en mobilisant archéologues et cartographes gagnés pour la cause. La Palestine sera désormais méconnaissable, invisible et retranchée de toutes les mémoires, de l'historiographie sioniste, des programmes scolaires. On mettra sur place une structure appelée « Comité des noms de lieux d'Israël » qui se chargera de cette opération de relookage. Le Mémoricide se mettra en place pour une durée indéterminée. Le sociologue israélien Baruch Kimmerling, professeur à l'université hébraïque de Jérusalem, publiera un livre remarquable 1 à travers lequel il décrira le processus de ce « Politicide » «qui a pour but ultime la disparition du peuple palestinien en tant qu'entité sociale, politique et économique légitime. » Les principaux instruments de ce que l'auteur qualifie de « Politicide » auront pour fonction la destruction physique des institutions et des infrastructures publiques, la colonisation des terres, l'isolation sociale et politique, les transferts de population, les meurtres, les massacres localisés, l'élimination de la tête de l'élite. Un processus machiavélique et méthodique que l'auteur n'hésitera pas, lui aussi, à qualifier, à juste titre, de purification ethnique. La militarisation des territoires (guerre des 6 jours) et la fragmentation de la Cisjordanie en zones (Accords d'Oslo 93) créeront une confusion telle que l'Etat d'Israël au pouvoir décisionnaire majoritaire, opérationnel, sur les plans militaire et administratif, grignotera imperceptiblement chaque jour une portion de la Cisjordanie occupée. Le sociologue Alain Dieckhoff 2 expliquera de manière exhaustive l'ingénierie sioniste en matière de «Stratégie territoriale » .3 Israël construira son mur d'Apartheid , transgressera la ligne d'Armistice de 1949 , construira un lacis de 700 km de routes , fragmentera les terres palestiniennes de la Cisjordanie si bien qu'il deviendra littéralement impossible pour les Palestiniens de communiquer entre eux, dans le cadre d'une continuité territoriale rationnelle et susceptible de former un Etat. Israël laissera pousser des colonies illégales dont l'extrémisme de la plupart, au moyen de leurs milices, essayent chaque jour de reproduire la Nakba de 1948 : terroriser, agresser, démolir et expulser. L'Exécutif israélien instrumentalise une Cour Suprême qui refuse systématiquement de rendre justice à toutes les victimes palestiniennes dépossédées. L'Exécutif israélien utilise un système judiciaire d'exception avec des tribunaux militaires où les accusés palestiniens n'ont pas la moindre chance d'avoir un procès équitable. Une Justice identique à celle utilisée par la France coloniale en Algérie, sujet qui sera amplement étudié par les Historiens français Sylvie Thénault et Olivier Le Cour Grandmaison4. Les tortures et mauvais traitements sont la règle dans ces lieux de détentions inhumains. Avec la Loi du 19 juillet 2018, Israël parachèvera, (ceci étant l'acte le plus important mais néanmoins éminemment dangereux, ségrégationniste, raciste et totalement antinomique avec l'esprit d'une démocratie 5), son armature juridique et idéologique. Au sein de cette bulle juive hermétique, les minorités arabes qui vivent en Israël comme citoyens de seconde zone seront condamnées à résider ad vitam aeternam sur leurs anciennes terres, presque comme des touristes constamment menacés de reconduction aux frontières et d'expulsion à la moindre crise israélo-palestinienne.

C'est enfin le rêve inespéré de tous les Sionistes fêlés et du nouveau courant hybride néo-sioniste mystique qui fantasme sur la réinstallation de l'Israël biblique « Eretz Israel » où aucun arabe n'aura le droit d'y séjourner. Ce qui restera des opérations de dépossessions et d'épuration ethnique (1948/1967) et des Accords d'Oslo de 1993 (Le «Versailles palestinien » pour reprendre les termes d'Edward.W.Saïd), Israël est en train de l'achever en 2024, face aux cameras du monde entier, par le génocide de Gaza et l'effacement de la présence palestinienne en Cisjordanie. Depuis le 07 Octobre 2023, avec ses tanks , ses bulldozers et sa logistique militaire sophistiquée , Israël extermine aveuglement, indistinctement, quasiment toute créature humaine (Vieillards , femmes , enfants , personnels de santé publique, membres d'organisations humanitaires , journalistes ) 6 . Depuis le 07 Octobre 2023 , Israël détruit toutes les infrastructures de base à Gaza , renvoyant les Palestiniens à la préhistoire, errant avec leurs bivouacs , leurs guenilles , leurs gamelles , leurs blessures béantes, leur deuil abyssal et soumis au plus grand désespoir qu'un peuple puisse supporter. L'entité sioniste espère lâchement mettre en place la stratégie de 1948 ; détruire compétemment les lieux de vie, les rendre irrécupérables et empêcher quelque hypothétique retour des Palestiniens. Israël reproduira en Palestine la même stratégie coloniale française mis en œuvre en Algérie : Refouler, resserrer, cantonner, pousser vers les voisins, vers la mer ou vers le néant, peu importe. Depuis Février 2013, fort de sa longue expérience en matière de sécurisation de l'espace par la destruction totale des infrastructures, par le déploiement et le réaménagement à des fins sécuritaires l'ensemble du territoire, Israël s'attèlera à reconfigurer complètement la bande de Gaza7.

Agissant dans l'opacité et l'im-punité la plus totale sur l'enclave de Gaza qui lui appartient depuis 1948, elle prive la population gazaouie des besoins les plus élémentaires pour sa survie (eau, gaz, électricité, soins, nourriture). Cet état de siège qui dure depuis des années 8 avec son blocus inhumain, tournera rapidement à la catastrophe humanitaire, aux crimes de guerre, au génocide lorsqu'Israël interdira aux organisations humanitaires de sauver Gaza de l'extinction, des épidémies, de la famine, du chaos destructeur. En essayant de discréditer le travail de l'Unraw et autres missions analogues, Israël met en place la disparition programmée de la population gazaouie. Face à ce génocide que plus personne ne peut nier, avec des vidéos et des images d'apocalypse qui tournent en boucle depuis 7 mois, l'indignation submerge la planète, dans les grandes avenues, à l'intérieur des campus universitaires, face aux ambassades, sur les débats télévisés.

En décembre 2023, une plainte sera déposée par l'Afrique du Sud à la Cour internationale de justice (CIJ), accusant Israël de génocide. Depuis 2024, on verra s'élargir la liste des pays qui reconnaissent la Palestine comme un État souverain. Le lundi 20 mai 2024, Le procureur général de la Cour pénale internationale a requis des mandats d'arrêt internationaux à l'encontre de Benyamin Netanyahou, le chef du gouvernement israélien, et de son ministre de la Défense Yoav Gallant, pour «crimes de guerre» à Gaza. En octobre 2021, L'ambassadeur israélien auprès de l'ONU déchire le rapport du Conseil des Droits de l'homme qu'il juge comme « un parti pris anti-israélien obsessionnel ». Il y a quelques semaines, suite au vote massif par l'Assemblée générale de l'ONU en faveur d'une adhésion pleine et entière d'un État palestinien aux Nations unies, le même ambassadeur israélien Gilad Erdan déchirera, à la tribune, un exemplaire de la Charte des Nations unies. Israël fulmine et se met à menacer tout le monde. On est face à un scenario inédit dans l'histoire de ces démocraties, de leur civilisation, de leur Justice : les résolutions de l'ONU jamais respectées 9, le soutien indéfectible des Etats-Unis qui imposent systématiquement et invariablement leurs vétos au bénéfice d'Israël et au mépris du Droit et du bon sens les plus élémentaires, les condamnations des organisations des Droits de l'homme, les ruptures diplomatiques engagées par certains pays. En dépit de cet anathème mondial, Israël continue d'exercer ses menaces et intimidations, adressées quasiment au monde entier, là où le lobby juif peut intervenir et sévir. Israël impose l'omerta et l'inquisition intellectuelle, depuis le début du conflit au moyen de pressions sur les medias, les recteurs universitaires.

On ira jusqu'à intimider et menacer La Cour pénale internationale et ses membres « Cette indépendance et cette impartialité sont toutefois mises à mal lorsque des individus menacent de prendre des mesures de représailles contre la Cour ou contre le personnel de la Cour » et constituent sérieusement une « atteinte à l'administration de la justice ».10 Cette pratique maffieuse s'est déjà déroulée en 2021 et à l'encontre de la même institution.11 En 2024, en pleine guerre, le terrible Fonds National Juif, créé en 1901, continue ses opérations d'achats, de dépossessions et de spéculations foncières ignominieuses, sordide tâche dont il s'acquitte religieusement depuis plus d'un siècle. Israël annoncera la saisie de 800 ha de terres en Cisjordanie occupée, la saisie de terres la plus importante en territoire palestinien depuis les Accords de paix d'Oslo en 1993. Avec cette démence de l'Etat sioniste conjuguée à l'incroyable léthargie du monde arabe, nul ne saura de quelle manière s'achèvera le génocide palestinien ni d'où viendra le salut.

*Universitaire

Notez

1- Baruch Kimmerling « Politicide: les guerres d'Ariel Sharon contre les Palestiniens »Ed. A. Viénot, 2003

2- Alain Dieckhoff , « Les espaces d'Israël , Essai sur la Stratégie territoriale israélienne » Fondation pour les études de défense nationale, Coll. « Les 7 épées , Paris, 1987.

-Alain Dieckhoff ,« Les trajectoires territoriales du sionisme »Vingtième siècle, n°21, janv-mars1989.

3- Mazouzi Mohamed , « Que restera-t-il de la Palestine ? », Le Quotidien d'Oran du 04/05/2024

4- Sylvie Thénault , «Une drôle de justice : Les Magistrats dans la guerre d'Algérie » Ed.La Découverte , Paris, 2001. – « Violence ordinaire dans l'Algérie coloniale : Camps, internements, assignations à résidence » , Odile Jacob, Paris, , 2012.

- Olivier Le Cour Grand Maison , « De l'indigénat ,Anatomie d'un « monstre « juridique : le droit colonial en Algérie et dans l'Empire français » , Ed.La Découverte , Paris, 2010

5- L'une des lois fondamentales adoptée le 19 juillet 2018 par la Knesset dispose que le droit à l'autodétermination en Israël et dans les territoires palestiniens occupés « est propre au peuple juif » et encourage la ségrégation raciale et la discrimination à l'encontre des Palestiniens. « L'État d'Israël est le foyer national du peuple juif dans lequel il satisfait son droit naturel, culturel, religieux et historique à l'autodétermination ; La capitale d'Israël est Jérusalem entière et unifiée » - « L'État voit le développement de l'implantation juive comme une valeur nationale, encouragera et promouvra son développement et sa consolidation »

6- Ce Génocide qui dure depuis plus de sept mois aura des incidences inimaginables :

Près de 200 humanitaires tués en 6 mois à Gaza, près d'une centaine de journalistes tués.

Selon l'UNICEF, 35 800 personnes auraient été tuées, dont plus de 14 100 enfants et 9 000 femmes. Plus de 80 000 personnes auraient été blessées, dont 12 300 enfants. Des milliers d'autres sont portées disparues et seraient probablement sous les décombres. Un enfant est blessé ou tué toutes les 10 minutes. Les femmes et les enfants représentent 70 % des victimes. La totalité des infrastructures de base sont détruites. Dans la bande de Gaza, les familles déplacées vivent un dénuement total. Sans eau, sans nourriture, sans médicaments : les conditions de vie sont indescriptibles. Selon l'IPC, organisme mondial d'analyse de l'insécurité alimentaire, 95% de la population est au bord de la famine. Plus de 220 jours après l'escalade des hostilités, la bande de Gaza est sans aucun doute un des endroits les plus dangereux au monde pour un enfant. https://www.unicef.fr/article/israel-palestine-les-enfants-paient-le-prix-de-la-guerre

« Israël-Palestine : des milliers d'enfants usés par la guerre », le 27 mai 2024.

7- Journal « Le Monde » du 03 mai 2024, « Comment Israël remodèle la bande de Gaza »

8- « Palestine : L'État de siège » , Noam Chomsky, Ilan Pappé, Frank Barat, Éd. Galaade – Collection Conversation, Février 2013.

9- Depuis 1947, Israël a fait l'objet de plus de 50 résolutions et condamnations de l'ONU, qui n'ont pas été respectées ni prises en compte. En 2022 seulement, Israël a battu tous les records en faisant l'objet de 15 résolutions de l'ONU, alors que seulement 6 concernaient la Russie, et ce, malgré la guerre entre cette dernière et l'Ukraine qui a commencé la même année.

10- Journal « Le Monde » du 03 mai 2024. « La Cour pénale internationale affirme faire l'objet de menaces » 11_ Journal « Le Parisien » du 28 mai 2024, « Israël : quand le chef du Mossad faisait pression sur la Cour pénale internationale pour éviter une enquête »




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