Algérie

Violence dans les stades: Quand Omar Sikki raccompagnait les équipes adverses



La montée en puissance de la violence dans le milieu du football continue de susciter de vives inquiétudes. Plusieurs remèdes ont été proposés et expérimentés pour contenir le phénomène qui alimente chaque week-end les chroniques de la presse. La balle ronde a envahi le petit écran et les plateaux de télévision sans exception, surfant sur cet envoûtement du siècle en multipliant les émissions sportives qui dopent la publicité tout en permettant aux nouveaux sorciers du sport roi que sont les consultants, et autres «experts ou expertes» journalistes, de lire entre les lignes du terrain, de recadrer les entraîneurs et de fustiger dirigeants, arbitres et joueurs comme s'ils possédaient la science infuse. Le ton y est péremptoire et docte à la limite du délire. Une overdose de football qui participe, elle aussi, à sa manière, à stimuler la violence qui a atteint un niveau à nul autre pareil. Tribunes saccagées, voitures brûlées, forces de police attaquées, joueurs agressés, arbitres escortés, voisinage terrorisé et des présidents de clubs discrédités. Des enceintes sportives-traquenards qu'il n'est pas bon de fréquenter par les temps qui courent.Comment expliquer cette incapacité des pouvoirs publics à trouver des solutions à un problème de société qui s'apparente à la quadrature du cercle ' Pourquoi les différentes mesures prises pour juguler la violence et notamment la mise en place -depuis 2009- du comité national intersectoriel de lutte contre la violence n'ont pas eu les effets escomptés ' Sous d'autres cieux, certains pays ont réussi à faire oublier les redoutables Hooligans qui sévissaient dans les stades européens. Le cas «algérien» est-il si désespérant au point où des voix se sont élevées pour demander la fermeture des stades ' Mais de quel que côté où l'on se place, l'analyse ne résiste pas au fait que la situation s'est davantage compliquée en raison du manque de stratégie et le recours au bricolage qui ont marqué le passage de plusieurs ministres du secteur. Et l'actuel locataire de la maison de la place du 1er-Mai, Mr Mohamed Hattab, semble suivre la même voie. Par delà l'alibi qui consiste à imputer les origines du mal à la dégradation des m'urs sociales et à se défausser pour cause de fatalisme, on ne peut que regretter que la principale puissance publique, en l'occurrence le ministère de la Jeunesse et des Sports, n'ait pu entamer une réflexion sérieuse en concertation avec tous les partenaires concernés par le fléau de la violence. Il faut croire que le choix des hommes ou des femmes qui ont pour fonction de conseiller le ministre en charge du secteur, ou à tout le moins lui tracer des programmes de développement en rapport avec les problèmes du terrain, n'obéit plus aux critères généralement admis. En plus du fait que la plupart des ministres qui se sont succédé au poste de la Jeunesse et des Sports viennent d'horizons divers (médecin, juriste, énarque…) ; ils ont tous eu cette manie de puiser dans leur carnet d'adresses ou dans leur entourage afin de s'entourer de fidèles placés aux postes clés de l'administration centrale. Quitte à ce que les affaires du secteur pâtissent de leur incompétence vu leur lointain rapport avec le monde sportif tout comme d'ailleurs leur parrain politique. Que M. Hattab procède à une étude de compatibilité sur les profils recrutés par ses prédécesseurs et il sera bien surpris. Du petit D.J.S. des confins du Sahara jusqu'à son propre cabinet. On a l'impression, s'agissant particulièrement du secteur de la Jeunesse et des Sports, que les titulaires à la fonction ministérielle sont choisis par défaut pour peu que l'on décèle chez le ministrable une vague passion de jeunesse pour un sport donné. Il lui suffit d'avoir tapé dans un ballon pour avoir des chances de se voir caser à la Jeunesse et les Sports. Cela dure depuis que les gouvernements existent en Algérie. Parce qu'elle touche des pans entiers de la population, parce qu'elle est devenue un phénomène de société et parce qu'elle se nourrit des sciences modernes, la dimension sportive appréhendée dans ses moindres manifestations est trop complexe pour être confiée à des apprentis sorciers. Et si aujourd'hui, nous y sommes, la violence a repris du poil de la bête, c'est précisément en raison de ce malentendu : l'encadrement des structures de gestion, de contrôle et d'animation du système sportif national n'est pas à la hauteur des exigences de la politique que l'Etat entend mener pour lutter contre les dangers qui menacent la jeunesse algérienne. A se demander à quoi servent et à quoi ont servi les centaines de promotions de professeurs d'EPS, conseillers sportifs, doctorants spécialistes issus des universités et autres techniciens formés dans les ITS.
Le football, cet enfant terrible, a pourtant engrangé de nombreuses lettres de noblesse par le passé. Il a autant conquis les coeurs que les titres grâce à une génération de seigneurs qui, sur les terrains comme dans la vie, incarnaient les valeurs d'amitié, de générosité dans l'effort, de respect et de fair-play. Ils se déplaçaient dans des cars poussifs, mangeaient des sandwiches, dormaient dans des hôtels sans étoiles et touchaient une prime, juste de quoi boucler le mois en attendant la paie. De grands joueurs, pétris de qualités sont ainsi partis. Dans le dénuement, victimes de l'ingratitude. L'avènement du professionnalisme et la manne d'argent qui le porta à bout de bras finira par pervertir tout le capital moral laissé par les anciens. Dirigeants, présidents de club, joueurs, arbitres et supporters défrayent la chronique à chaque compétition et les divisions inférieurs, avec leurs équipes de village, n'échappent pas à la contagion. La corruption, cette gangrène qui mine toutes nos ressources ataviques bâties sur la dignité et la probité fait, selon beaucoup d'aveux, des ravages dans le milieu du football. Elle participe à la recrudescence des actes de vandalisme que connaissent nos stades.
Un gentleman nommé Sikki
Le jour où on est venu me demander une petite biographie de Omar Sikki en vue de formaliser le dossier de baptême du complexe omnisports d'Aïn Témouchent qui porte depuis 2006 le nom de l'illustre footballeur témouchentois, il y a une facette de la personnalité de ce joueur d'exception qui nous paraissait secondaire et qu'on a omis volontairement de mentionner s'agissant d'une procédure officielle qui devait se limiter à une «bio-express». L'esprit sportif, c'est de cela qu'il s'agit. En fait, j'avais fait sciemment l'impasse, à mon corps défendant, sur la dimension la plus éclatante et la plus caractéristique du personnage, car Sikki, par-delà ses qualités physiques et techniques, était surtout connu pour sa gentillesse, son fair-play et pour son côté fort attachant de «gentleman des stades». Toujours prêt à intervenir pour désamorcer une querelle, rabaisser la tension, sermonner ses propres co-équipiers et suprême élégance raccompagner à leur bus les adversaires du jour. Gagnant ou perdant, il donnait l'accolade, secourait le joueur à terre et serrait la main de son agresseur alors que dans la vie Omar ne passait pas pour un enfant de coeur. On dit même qu'il était bon bagarreur. Qui peut nous montrer par les temps qui courent un ou deux joueurs de la même trempe ' Et les footballeurs de sa génération encore de ce monde peuvent en témoigner. Ses camarades se souviennent du respect que lui portaient joueurs et supporteurs des équipes adverses. Lors d'un match contre le Mouloudia d'Alger (encore lui !) à la fin des années soixante, des échauffourées avaient éclaté et les visiteurs témouchentois pris à partie, sur le terrain par des énergumènes descendus des gradins prêter main forte à leur équipe, ne durent leur salut qu'à l'intervention des forces de l'ordre. Dans la cohue, un seul joueur avait été épargné, il s'appelait Omar Sikki. D'ailleurs, quand celui-ci décida de raccrocher les crampons, un beau jubilé eut lieu à son honneur en 1979, une fête à laquelle assistèrent des grands noms du football algérien, entre autres Lalmas, Achour, Tahar, Fréha, Beddiar, Aouedj, Khalem, Ounès, Berroudji, Serridi et consorts.
Au lieu, donc, de s'attarder, comme on a coutume de le faire, sur les prouesses techniques du défunt joueur, personnellement, j'aurais immensément apprécié que le mémorial, qui lui est consacré chaque année, fasse la part belle à ce comportement chevaleresque de Omar Sikki. Un hommage qui pourrait se décliner sous le signe du fair-play et de la lutte contre la violence dans les stades. Rien de mieux pour conjurer le mauvais sort qui semble s'abattre actuellement sur le football. Sikki «la gazelle noire» incarnait plus l'éthique sportive que le talent proprement dit. N'a-t-il pas refusé les offres de l'Olympique de Nîmes et de Marseille pour demeurer aux côtés de sa mère, inconsolable après la disparition prématurée et dramatique de son autre fils Saïd, boxeur de son état, le véritable Sikki du nom du célèbre Battling Siki, le premier champion du monde africain de boxe, lui aussi, mort tragiquement. Pourtant au début de sa carrière «Sikki» endossera le maillot de gardien de but, et comme il se risquait parfois à ‘'descendre» balle au pied pour aider ses coéquipiers, l'entraîneur de l'époque Sauveur Rodriguez, décela en lui des qualités incontestables d'attaquant. Le flair paya et quand il arrivait aux portiers du C.R.T. de se blesser en cours de match, c'était Sikki qui les remplaçait à la cage. Avec un tel talent les convoitises ne tardèrent pas à se manifester. Mais Omar a préféré la fidélité au club et la bénédiction de Khalti «TALAITMESS», sa maman, aux appels des sirènes. Peut-être que les «connaisseurs» et les nouveaux amis de Sikki qui sont conviés à la traditionnelle fête marquant l'anniversaire de son décès auront la pertinence de retenir en priorité ce parcours sportif bâti sur l'humilité et le don de soi dont la symbolique saura -nous osons le croire- réveiller certaines consciences qui assimilent aujourd'hui le club en général à une vache à traire. Lorsque Kader Firoud, l'entraîneur de Nîmes Olympique, le contacta pour l'intégrer dans les rangs du club de l'élite française, Sikki s'imposera un délai de réflexion. Il voulait connaître l'avis de Talaïtmess qui n'avait que lui pour veiller sur elle. Malgré toutes les assurances de son enfant prodige, la «vieille», qui ne s'est jamais remise de la disparition précoce de Saïd, l'aîné, refusa de laisser partir son, désormais, seul fils. Et Omar ne pouvait s'y opposer, même quand, un autre jour, les dirigeants de Marseille le relancèrent afin de le recruter dans leur grande équipe de football. Il était écrit quelque part que Sikki terminerait sa vie dan son bled natal au nom de l'amour maternel. Sans travail, il sera sapeur-pompier -n'avait-il pas après tout l'âme d'un grand seigneur '- afin de se ménager un salaire régulier. Devenu manager à la fin de sa carrière, le félin footballeur tombera malade et passera de longs mois à l'hôpital. Les nombreux amis qui se pressaient autour de lui lorsqu'il était au sommet de son art, se firent rares dans les moments difficiles et l'ex- star du football local, adulé par tout le monde, se sentit abandonné. Jusqu'au jour de sa mort le 17 février 1997.


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