Algérie

VIOLENCE À L’ÉCOLEÀ qui la faute '



VIOLENCE À L’ÉCOLEÀ qui la faute '
Publié le 02.03.2023 dans le Quotidien Le Soir d’Algérie

Par Ahmed Tessa, pédagogue-auteur



N’est-ce pas paradoxal que de poser une telle question au sujet d’une institution qualifiée, à juste titre, de temple du savoir et de la connaissance ? Une institution qui porte en son fronton la généreuse profession de foi : «Eduquer et instruire».

Pourtant, des décès sont enregistrés chaque année ici et là dans notre vaste monde. Dans des enceintes éducatives, les coups portés pour faire mal sont monnaie courante — la plupart du temps sans l’intention de tuer. Ils peuvent provenir aussi bien de l’élève que de l’enseignant. Les violences verbales telles que les humiliations, les moqueries, les menaces et les injures sont quasi quotidiennes dans les salles de classe de nombreux pays. Ce gravissime phénomène prend de l’ampleur. Il est aggravé par l’usage abusif des réseaux sociaux, des films vidéo vantant la violence. Alerte mondiale est donnée : des psychologues, des sociologues et autres spécialistes se mobilisent au sein de commissions, de groupes d’étude. Parfois même des politiques. Ces spécialistes se penchent souvent sur le vécu familial et scannent le caractère des auteurs de ces actes. Des conclusions et des recommandations pertinentes émanent de ces conclaves. En vain ! La machine à violenter continue son dramatique chemin. Comment l’arrêter ?

La «dictature de la note»

Il y a lieu de signaler que tous ces spécialistes ont rarement abordé la question du vécu scolaire et du fonctionnement global de l’institution éducative. À la lumière d’une cartographie de la violence en milieu scolaire, on peut aisément deviner la nature des systèmes scolaires contaminés par ce phénomène. Et à l’opposé, apprécier la qualité des prestations éducatives des pays qui en sont indemnes. Ces derniers jours, l’actualité dans le monde scolaire est secouée par un événement tragique. C’est le drame dans un lycée privé en France où un élève a poignardé sa professeure d’espagnol devant toute la classe. La malheureuse en décède sur le coup. Émoi et tristesse dans le pays, voire au-delà. Comme réponse avancée par la classe politique, toutes tendances confondues, la nécessité de renforcer la sécurité et la prévention. Il est vrai que cet adolescent devait être dans un état second au moment du passage à l’acte fatal. Mais la vraie raison pourrait se trouver dans le témoignage de son avocat : «Il est bon dans toutes les disciplines, seulement il a des difficultés en espagnol.» Quand on sait le climat de concurrence (entre écoles, entre familles et entre élèves) que produit le système scolaire français – surtout dans les établissements de statut privé –, il est certain que l’assassin a accumulé des tonnes de frustrations en cours d’espagnol. Or, dans un climat de compétition/concurrence, la frustration mène souvent à la violence multiforme, verbale, physique, fatale ou suicidaire. C’est là le quotidien des pays qui ont sacralisé l’école/arène de «combat» entre élèves. En France, les récentes statistiques affichent qu’en 30 ans, la violence en milieu scolaire a augmenté de 25% chez les lycéens et de 44% chez les collégiens. Dans les pays asiatiques, ce sont les suicides d’élèves des trois cycles et de l’université qui font la une des journaux. Aux USA, c’est l’arme à feu qui engendre des morts par dizaines dans les établissements scolaires. Leurs auteurs sont des adolescents en situation de décrochage scolaire ou des anciens élèves qui ont nourri de l’animosité envers l’école. Certes, on ne peut passer sous silence le motif idéologique de drames vécus dans les écoles de certains pays (USA, France) — motif raciste ou religieux.

Tous ces pays ont un point commun : l’école fonctionne sur le même logiciel pédagogique, celui de la compétition entre élèves et entre établissements. Dans les salles de classe, on assiste à la «dictature de la note» qui vous pousse à décrocher la bonne note et, ainsi, éviter le purgatoire de l’échec. À cette course, il y a forcément des vainqueurs et des vaincus. Et tous les moyens sont bons pour «sauver sa peau» : la triche est devenue un sport favori chez une catégorie d’élèves. Et pas uniquement ceux en difficulté ; parfois les bons élèves s’y mettent aussi pour atteindre le graal de la première place de la compétition.

Dans l’organisation pédagogique des établissements scolaires de certains de ces pays, rares sont les opportunités pour que l’élève puisse décompresser après une charge de travail intellectuel intense. Du matin au soir, seuls les quatre murs de la classe lui offrent une 0hospitalité contraignante. Et voici l’élève bouillonnant d’impatience, avide de respirer, de se détendre. Squelettiques, les séances d’EPS et des activités artistiques ! Inexistantes, les sorties pédagogiques ou les leçons en plein air !

Dans un tel contexte, il est impossible de résister à l’ennui, à la nervosité et à l’irritabilité. Pressé par le diktat administratif, l’enseignant s’acharne à boucler le programme : il est redevable d’un nombre de leçons calculé à l’avance et qu’il doit impérativement faire avaler à ses élèves à la date-butoir fixée par l’administration. Une course contre la montre ! C’est une poursuite effrénée derrière le temps pour ne pas recevoir les foudres de son inspecteur ou de son directeur. Sa hantise ? Ce sont les élèves en difficulté qui le freinent dans sa course. Il s’énerve, devient irritable. Et hop ! Voilà qu’il passe à l’acte : cris de colère, paroles humiliantes à l’encontre de ses élèves. Et parfois, c’est la main qui dégaine la gifle ou le coup de règle sur les petits doigts innocents.

De son côté, l’élève se sent fatigué de la position assise entre les quatre murs de la classe. La course au programme de son professeur le désarçonne : il ne peut plus suivre. Il ne comprend rien, surtout quand les leçons sont trop abstraites et difficilement assimilables. Face au tableau, il ne peut échapper au regard inquisiteur du professeur qui cherche l’intrus, l’élève en perdition. Celui-ci a peur. Il panique devant l’éventualité d’une question à laquelle il doit répondre. Il sait le prix à payer : une humiliation verbale, un zéro pointé ou la douleur du coup de bâton sur ses doigts fragiles. C’est ainsi que naissent les situations conflictuelles, les haines et l’animosité. En éducation, toute action violente, aussi minime soit-elle, est un drame. Penser le contraire et justifier les coups de bâton revient à cautionner les drames à venir.

Jusque-là contenue dans les limites acceptées par tous, la violence dérape vers l’inconnu. L’élève humilié réagit. Il se surprend à agir à l’identique de son enseignant. La boucle est bouclée. La relation pédagogique est rompue et sa pierre angulaire – à savoir le respect mutuel — disparaît. L’échec éducatif est consommé et la faute n’est point imputable aux seuls acteurs du drame. Le vrai coupable ? Le système scolaire arc-bouté sur des vérités farfelues et convaincu que les mauvais élèves existent par nature et qu’ils sont à l’origine des cas d’indiscipline. Mais existe-t-il au monde un enfant poussé par une pulsion masochiste qui lui fait endosser un état inné de mauvais élève ? Aucun ! Toutefois, le système de compétition et sa gestion au quotidien incrustent dans l’esprit des élèves en difficulté un sentiment culpabilisant. Ils se sentent faibles comparés aux autres camarades choyés par de belles notes.

À l’opposé des pays contaminés par la violence scolaire, d’autres systèmes scolaires sont frappés par un virus insolite, celui du bonheur à l’école. Les pays scandinaves et la Finlande donnent la preuve qu’il est possible d’éliminer le virus de la violence en milieu scolaire. Un seul indice pour comparer : dans ces pays, ce n’est que vers la fin du collège que les élèves découvrent le système de notation. Des stimulants autres qu’artificiels (notes/sanction et examens de fin de cycle) sont mis en place et qui créent de la coopération, de l’empathie, de la bienveillance et de la convivialité. Le tout mis au service d’un leitmotiv : «L’élève est co-artisan de son éducation.» À chaque fois qu’on évoque la Finlande, les sceptiques et les partisans de l’immobilisme vous rétorquent, défaitistes : «Nous n’avons pas la même culture qu’eux.» Pourtant, ces pays ont utilisé pendant des décennies le système de la compétition/concurrence et des examens. Vers la fin des années 1970 et début 1980, les politiques se sont rendu compte des dérives d’une telle approche. Ils ont donné carte blanche aux spécialistes novateurs. Et de là débuta la révolution du «bonheur à l’école».

Quid de l’Algérie ?

En Algérie, la lecture du bilan de l’année 2022 de la DGSN nous apprend que la violence en milieu scolaire a pris des proportions inquiétantes durant l’année scolaire 2021/2022 avec une hausse de près de 38%. Les actes de violence ont eu lieu à l’intérieur des établissements scolaires : 200 affaires ont été traitées mettant en cause 112 élèves et 92 employés, alors que 185 élèves et 15 employés ont été victimes de violence scolaire durant la même période. Ce n’est que la face visible de l’iceberg. Parmi tous ces actes de violence, la majeure partie a pour origine les modalités d’évaluation du travail des élèves et l’atmosphère tendue dans les salles de classe. Une ambiance anxiogène décrite dans le chapitre précédent.

À l’instar de nombreux pays touchés par la violence en milieu scolaire, l’Algérie est aussi contaminée par ce phénomène. Les mêmes causes engendrant les mêmes effets, ne partage-t-on pas avec ces pays (USA, France etc.) la même vision d’une école, temple de la compétition/concurrence ?

Un rappel historique est nécessaire. De nos jours encore, notre système scolaire garde intactes les traces laissées par les premières années de la réforme de 2002 : le logiciel pédagogique de la reforme étant toujours en action. Depuis la rentrée 2005/2006, les examens de 6e et du brevet/admission avaient été réintroduits en Algérie. À ces deux obstacles est venu s’ajouter un foisonnement d’épreuves de contrôle et de notation du travail des élèves. La pression est mise dès la première année du primaire. Qu'on en juge à la lecture des modalités arrêtées par le MEN, à l’époque. Les devoirs surveillés bimensuels, les compositions devenues mensuelles alors qu'elles étaient trimestrielles et qui sont majorées par des coefficients, les devoirs quotidiens – travaux pratiques ou dirigés, les interrogations écrites ou orales, les devoirs de maison – sont autant d'épreuves et d’activités couronnées par des notes/sanction. Au bas mot, sur l’année scolaire, c’est un total qui dépasse la centaine d'épreuves. Les notes de ces dernières sont comptabilisées par l'administration à des fins de sélection et de classement, de récompenses et de sanctions. Un rythme de travail démentiel que l'élève devait affronter dans un contexte d'extrême tension. Ces séances d’évaluation étaient trop rapprochées, trop fréquentes et surtout traumatisantes pour une certaine catégorie d’élèves, plus particulièrement ceux du primaire. Des enfants, bons élèves les années précédentes, avaient sombré. Des parents avaient relaté des cas de phobie scolaire suite à la pression exercée par cette évaluation. Souvenir : ce dispositif d’évaluation du travail des élèves avait soulevé une colère généralisée chez les parents, les élèves et les enseignants. Après deux années, le MEN décida de corriger sa feuille de route en allégeant ce dispositif d’évaluation. Décision prise suite à une réaction forte de l’opinion publique — articles de journaux, lettres de lecteurs, appels radiophoniques et une pétition forte de quelques milliers de signatures. Mais le mal était fait. De nos jours, si l’insoutenable cadence a diminué en intensité, l’esprit qui l’a générée demeure vivace.

En conclusion ouverte : la violence en milieu scolaire est liée au contexte dans lequel se déroule le processus éducatif, au sein de la classe surtout. L’école algérienne doit se remettre en question, notamment sur le plan pédagogique, si elle veut éliminer le virus de la violence. C’est de la sorte que nous réaliserons le rêve de tout enfant algérien : vivre «l’école du bonheur».

A. T.


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