Algérie

Ville de ZEBOUDJA ex HANOTEAU '' Souvenirs d'un Chef de la SAS en 1957/1958 ''



Ville de ZEBOUDJA ex HANOTEAU   ''  Souvenirs d'un Chef de la SAS en 1957/1958  ''
SAS d'HANOTEAU (OrléansVille) : Témoignage et Souvenirs du Commandant Edouard. de MONTALEMBERT Chef de la SAS. ( Section Administrative Spécialisée) du 17/09/1957 au 24/08/1958.


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Commandant Edouard de MONTALEMBERT Saint-cyrien de la Promo 39/40, officier des troupes de Marine, le Commandant de MONTALEMBERT a d'abord 'supervisé' les S.A.S de la commune Mixte d'Aumale, puis commandé les S.A.S de Francis Garnier et d'Hanoteau dans le secteur d'Orléansville et de Ténès.

CHEF DE SAS A HANOTEAU.

C'est la dernière étape de mon séjour en Algérie, la plus longue mais la plus intéressante et attachante et j'en garde un souvenir inoubliable, avec cependant une pointe de déception, car ce travail admirable de nous tous, Armée et S.A.S. semble n'avoir servi à rien !..

HANOTEAU
Hanoteau est un petit centre de colons agricoles européens avec son église, sa mairie, son café, quelques notables et commerçants arabes et tout autour sur les collines les gourbis des populations arabes ou plutôt berbères, diraient les ethnologues. Au centre, un grand terrain vague, c'est le marché du mardi ; toute la population d'alentour s'y rend pour acheter, écouterles nouvelles, régler les problèmes familiaux ; c'est le baromètre pour nous de la situation politique du moment.

Pour l'instant il est au plus bas ; un mois auparavant un incident fâcheux avait compromis le marché : l'assassinat d'un partisan suivi d'une action militaire un peu brutale ; les mardis suivants le marché avait alors été déserté, puis il avait repris très lentement ; il a fait un bond ce mardi 24 septembre : six cents personnes présentes, c'est le résultat d'une action de persuasion que la SAS a entreprise.

Je n'ai pas chômé à distribuer les cartes d'identité, recevoir les notables, discourir au micro sur notre action : j'ai ainsi affirmé : 'du côté fellagha, c'est la famine et la mort, nous c'est la vérité et la vie', l'atmosphère était assez détendue et les visages souriants ; les vieux m'ont chaleureusement remercié en me serrant la main avec émotion. La partie était presque gagnée malgré la pression rebelle sur les douars environnants, mais c'est très subtil comme jeu car il faut noyauter les organisations rebelles tout en les détruisant en même temps ; c'est bien la guerre révolutionnaire en plein, et une guerre des nerfs. Les colons souffrent assez de cette situation, il n'y a pas une ferme qui n'ait été saccagée, pas une ligne téléphonique qui ait résistée ; les vignes sont à moitié détruites et les meules de paille sont incendiées.

24 septembre 1957. J'ai à faire à un jeune Sous Lieutenant fort sympathique du nom de Pêne, fils d'un officier de Marine ; je l'ai déjà vu aux mines de Breira où son action a été très efficace ; ici c'est la même chose et nous nous entendons à merveille ; il m'a appris que sa sœur est fiancée avec le frère de B. de R.

26 septembre 1957. J'ai reçu ce matin un notable important qui sort de l'hôpital, blessé par une patrouille de l'Armée, il m'a promis le ralliement de toute une fraction ; cet après midi, trois autres notables sont spécialement venus pour me connaître, le contact marche très bien.

29 Septembre 1957. J'ai acheté deux magnifiques bureaux en fer et je me pavane sur une chaise molletonnée. Je photographie mes administrés et leur délivre des papiers en masse, et je leur parle en arabe : je suis noyé dans les papiers administratifs et dans ce langage aussi incompréhensible que le chinois, témoin cette phrase : 'en foi de quoi nous délivrons ce présent certificat pour valoir ce que de droit'.

1er Octobre 1957. Convocation de toute une fraction : c'est-à-dire deux cents habitants en gros : il n'en est venu que cent avec l'aide d'une patrouille militaire ; recensement des habitants pour savoir les noms dans toutes les familles.

3 Octobre 1957. Je ne sais pas où j'en suis à Hanoteau au point de vue local, tout le monde veut sortir de la forêt et revenir et aux yeux de cette population, je suis l'homme qui composera, qui sortira les gens de prison et qui pardonnera ; l'engrenage est dangereux ; tout le monde veut me voir et je ne sais pas où donner de la tête ? Demain je serai à Alger dans les bureaux du Gouvernement Général pour batailler et obtenir des crédits de construction.

4 Octobre 1957. Alger, j'ai vu mon ancien patron au SLNA, un peu dans l'ombre maintenant, mais il est admirable d'ascétisme et de spiritualité. J'ai vu aussi le nouveau patron des SAS : Colonel de Vul-pillière ; il est sympathique, il a été Colonel d'Aviation de Aimery ; dans six mois il veut me voir 'dans mon bordj construit et bien installé avec tout le pays pacifié autour de moi' m'a-t-il dit.

19 Octobre 1957. Tout à l'heure je vais dîner chez mon goumier dans son gourbi avec sa famille ; je serai aussi bien qu'à la maison ! En ce moment le pays se transforme à vue d'œil ; ce n'est pas une fraction qui s'est ralliée mais quatre ! C'est-à-dire tout le douar ; il reste encore le plus gros morceau, le 'Sinfita' où se trouve ce massif du Bissa forestier et montagneux et l'on y arrivera qu'en partie ; tout cela grâce à l'action du Lieutenant Pêne, de la SAS et de tous nos subordonnés qui en mettent un coup ; cela va quand on n'est pas gêné par des ordres supérieurs ; l'autre jour, Pêne, déguisé en fellagha avec une djellaba, a passé la nuit avec son escorte auprès d'une médina ; comme il tambourinait à la porte pour se faire ouvrir et qu'un partisan simulait qu'il était un moudjahidine (FLN), une femme de l'intérieur à répondu : 'Si vous défoncez la porte je vous dénoncerai au Capitaine de la SAS !'. Voilà donc le revirement des esprits maintenant contre les fellaghas.


8 Décembre 1957. Retour à Hanoteau après une permission d'un mois ; je suis à nouveau dans le bain et en pleine opération militaire depuis trois jours et dont l'aboutissement se trouve justement ici ; il s'agit de rassembler toute la population après leur poursuite dans les djebels; je dois alors haranguer cette foule debout sur une jeep, puis c'est au tour du Capitaine Pigeaud, le nouveau Commandant de Compagnie du 22èmeR.I. à Hanoteau : le thème de ce discours psychologique est toujours le même : la France c'est la liberté, les fellaghas l'esclavage ; la France parle à votre cœur, à votre tête comme à des hommes ; les fellaghas vous traitent comme le bétail et vous égorgent ; la France c'est vous, c'est nous tous qui voulons le bien ! Puis la foule est divisée par lot : les jeunes, les Anciens Combattants, les notables, les femmes (4ème lot) ; maintenant ces catégories doivent extérioriser leurs sentiments et parler ; il faut dire que ce travail psychologique a été préparé après deux jours où ce L-action-psychologique.jpgmonde a été parqué, nourri, logé sans qu'un mot ait été prononcé. Ce sont des méthodes nouvelles, mais dira le Colonel Rieutord, commandant le 22èmeR.I. c'est la réponse de l'Occident à la soviétisation du monde ! Le résultat des opérations est assez bon ; plusieurs chefs politiques et militaires saisis, beaucoup de documents, une quarantaine d'armes, une trentaine de fellaghas au tapis. La nuit dernière, trois fellaghas, réfugiés dans une grotte ont résisté deux jours ; ils ont été dénichés par les chiens de l'armée spécialement dressés pour ce combat.

9 Décembre 1957. Après ce raz de marée de l'Armée, tout est redevenu calme comme avant, mais cette épuration a fait beaucoup de bien au pays : j'ai eu pour la première fois des renseignements qui sont venus tout seuls : je me suis aperçu que tous ces gens qui venaient me voir si aimablement au bureau étaient du camp rebelle et jouaient double jeu avec beaucoup de dextérité ; mais tout ceci est un peu dépassé par la nouvelle politique qui est d'engager la population de notre côté et de lui faire prendre connaissance de ses responsabilités.

Au marché nous voyons arriver le petit Frère Louis du BISSA ; il nous dit entre autres, que les officiers sont très corrects ; cela nous réjouit, mais il a tort d'ajouter qu'il parle des officiers fellagha, cela jette un froid.

11 Décembre 1957. Voici la composition de mon bureau SAS : le secrétaire s'appelle David, il est le fils d'un colon, son adjointe Melle Pierre, fille du Maire d'Hanoteau, un commis, Mekaouche, une dame Mme Harrault, femme de mon excellent adjoint de SAS, l'Adjudant Harrault.

14 Décembre 1957. La situation politique est la suivante : au nord le fameux Bissa où les routes auto sont coupées ; on y va bien sûr mais on y voit rien les fellaghas sont dans les grottes avec la population du douar Sinfita dont je suis théoriquement le maire ! Au sud le Béni Derdjine avec une population que l'on voit, qui vient tout le temps au bureau, qui semble très malheureuse mais qui ne s'engage pas pour nous et joue le double jeu. L'Armée a fait des ratissages souvent fructueux ; la dernière opération a révélée toute l'infrastructure rebelle du coin.

16 Décembre 1957. Mon conseil municipal devient très actif ; c'est demain la 2èmeséance, on va parler travaux, chômage, impôts. Aujourd'hui j'étais à Oued Hamelil, à 8 km à l'ouest d'Hanoteau. Il pleut à verse et la montagne risque de glisser. Le Capitaine Pigeaud doit ramener à Hanoteau quelques femmes de Sinfita montrerque la vie est meilleure ici et elles retourneront ensuite pour dire à leurs maris de quitter la montagne des fellaghas (action psychologique).

1er Janvier 1958. J'ai offert un vin d'honneur à la population européenne et musulmane réunie très cordialement ; je leur ai montré leur dignité d'hommes que les fellaghas suppriment comme les communistes, le temps des épreuves est révolu, les deux communautés doivent s'unir plus étroitement.

Ils m'écoutaient avec attention, c'était très bien réussi. Hier, jour de marché, mon conseil municipal s'est réuni au grand complet malgré l'enlèvement d'un membre quelques jours plus tôt ; j'admire ce courage héroïque car ces pauvres gens sont tous visés. Il est arrivé un incident à la fin du marché : l'ancien maire européen, un vieillard de 76 ans qui se promenant par habitude et assez imprudemment à cinq cents mètres du lieu du marché, a reçu un coup de pistolet dans le dos heureusement sans gravité : c'est un gamin de dix sept ans qui aurait fait le coup : c'est ignoble

9 Janvier1958. Les gens se pressent à mon bureau pour payer l'impôt ; c'est un signe heureux ; je l'ai déjà vu à Bir Rabalou autrefois.

10 janvier 1958. L'impôt rentre toujours : 120.000 francs en trois jours mais une partie a été raflée par une patrouille militaire étrangère à ma commune ; cela est dû a un manque de coordination entre l'Administration et l'Armée. Toute la Compagnie Pigeaud est en opération au Bissa et moi avec eux ; on a beaucoup marché et surtout monté sur des collines ; j'ai donc pu voir les habitants du Sinfita ; du moins les femmes, les enfants et les vieillards car les hommes se sauvent devant l'Armée ; la population est belle dans son ensemble, ce sont des Berbères plus ouverts et moins séquestrés que les Arabes ; la région est très différente, boisée sur vingt kilomètres à vol d'oiseau avec des chemins muletiers.

14 Janvier 1958. Non sans mal nous avons récupéré la famille de notre goumier Ferkaoui ; d'abord le Lieutenant Dubois depuis Flatters à pu récupérer sa femme et quatre enfants, mais il en manquait deux partis chez leur grand-mère ; celle-ci les a cachés et elle a été menacée d'un couteau par un fellagha. Mon adjoint a tenté de les ramener mais tout le monde s'est sauvé par les ravins ; c'est finalement Dubois qui a réussi en contournant les maisons par les ravins et par la suite les hommes de ce petit hameau ont rejoint Hanoteau; c'est une victoire sur les fellaghas ! L'impôt rentre toujours : deux millions en six jours ; les gens se pressent, je dois donner des tickets d'ordre à l'entrée de la SAS.

9 Février 1958. Il y a eu un accrochage au Bissa entre les militaires appuyés par un Groupe Mobile de Police Rurale (GMPR) de Flatters et une bande rebelle ; un tué, cinq blessés chez nous, six tués, quatorze blessés chez eux. Grâce à cette action bénéfique une fraction des Béni Madoun, située à un kilomètre au nord de Hanoteau est revenue sur son territoire alors que un mois auparavant elle l'avait quitté.

16 Février 1958. Grande réunion chez le Préfet à Orléansville : il a parlé de la loi cadre pour l'organisation future de l'Algérie : cinq territoires autonomes avec l'assemblée élue au suffrage unique qui se fédèreront entre elles et s'uniront à la Métropole, étant entendu que l'Algérie restera toujours avec la France pour la Défense, les Finances et les grands services techniques.

5 Mars 1958. Coup dur pour l'Armée : des militaires appartenant à deux sections d'une Compagnie du 22èmeR.I. (pas celle de Pigeaud) ont été pris dans une embuscade près de Francis Garnier. Ils revenaient d'une corvée de bois et se trouvaient engagés dans un défilé où les fellaghas les attendaient et les ont cloués au sol sous le feu de deux fusils mitrailleurs, vingt quatre soldats ont été tués et seize ont réchappé ; depuis il y a des opérations pour retrouver la bande mais sans guère de résultats.

6 Mars 1958. Il y a des choses curieuses qui se passent : pas très loin d'ici toute une bande est organisée comme le FLN mais elle est de notre côté ; elle a son territoire de chasse, ses chefs sont musulmans, les mêmes insignes que le FLN, et presque les mêmes uniformes : elle fait payer l'impôt officieux comme le FLN et recrute chez les anciens du FLN, elle est soutenue par des politiciens locaux ; elle fait du contrôle routier et certains ont même arrêté la voiture d'un Général, cela a fait toute une histoire !

26 Mars 1958. Je suis à Orléansville, il commence à faire très chaud dans la journée, signe que l'été approche. Il y a des cigognes partout sur leurs nids qui claquent du bec à chaque instant. Cela fait penser à l'Alsace. L'Algérie est encore verte mais cela ne tardera pas à blondir puis à jaunir ; c'est le plus beau moment avec des fleurs partout et de l'eau qui coule. Au marché, j'ai parlé du résultat des batailles sur la frontière de Tunisie et de la destruction systématique des bandes qui la traversent. J'ai senti un certain soulagement. Les derniers rebelles se sentent traqués ou plutôt haïs mais ils sont d'autant plus dangereux.

30 Mars 1958. Je suis à l'Oued Hamelil pour trois jours avec les troupes en opérations ; le chef des opérations, le Colonel Lallemand, il m'a pris par les épaules et m'a secoué comme un prunier (c'est sa manière), il m'a dit en me tutoyant (c'est aussi sa manière) 'mon petit, tu vas me compter les terres qui se trouvent disponibles pour les distribuer à tous ces gens qui nous ont suivis et je compte sur toi pour faire une nouvelle Algérie'. Je suis maintenant tout gonflé par mon rôle.

6 Avril 1958. Nous avons un nouveau Général à Orléansville : le Général Gracieux, un as de la Coloniale. Il est venu aujourd'hui à Hanoteau en Hélicoptère : tenue de parachutiste et béret rouge, avec le Colonel Lallemand et le Colonel de Belnay : j'ai à répondre à des tas de questions sur la situation locale.

8 Avril 1958. La rébellion me semble changer de visage : la lutte devient moins militaire que politique, le FLN recrute de façon intensive, mais ne désire pas s'engager dans des opérations où il a le dessous ; les Katibas ont des zones refuges où elles n'aiment pas être dérangées ; le FLN pourra dire par la suite qu'il a des effectifs et des armes en abondance et se présentera comme un puissant parti au moment des élections.

18 Avril 1958. Ici tout est tranquille sauf que le Capitaine Pigeaud a désamorcé hier deux bombes d'avion non explosées qui avaient été piégées et devaient sauter sous mon véhicule. J'admire son courage et sa conscience parce qu'il a voulu faire lui-même ce désamorçage sans exposer ses soldats.

5 Mai 1958. Monseigneur Duval Archevêque d'Alger, est venu me faire une visite pastorale à Hanoteau ; il a été très simple et doux et a développé le sens de la lutte contre le communisme dans le monde…. Il m'a parlé du grand oncle Montalembert. Je l'ai conduit en ville auprès de mes administrés musulmans et il a été heureux de s'entretenir avec eux ; le maire européen s'est excusé de l'absence de ses concitoyens soi disant retenus aux champs mais cela ne les empêchait pas d'être chrétiens….

14 Mai 1958. Il n'y a pas eu de coup d'Etat le 13 mai mais le brusque sentiment qu'on avait gagné la partie contre les fellaghas et que seul le gouvernement était en train de la gâcher par son attitude équivoque permettant la relance perpétuelle du FLN.

Donc, dès que Massu a apparu au balcon du Gouvernement Général à Alger en proclamant 'l'Algérie' Française devant une foule immense avec Salan à ses côtés, on a senti qu'il y avait quelque chose de changée. Alors voilà, on est en pleine insurrection ; à Hanoteau, nous sommes au courant par radio. Aujourd'hui mercredi, on diffusait les télégrammes de tous les comités de Salut Public Locaux qui adhéraient au mouvement général. Je crois que c'est un feu de paille qui indique un état d'esprit tendu ; en tous cas, le Président du Conseil tiendra compte de la situation dans son programme. L'Armée se sent brimé parce que les Pouvoirs ne réagissent pas ; il faut ajouter les menées subversives d'un tas de partis politiques s'opposant à son action et les Européens d'Algérie qui sont tenus à l'écart.

20 Mai 1958. Ici on vit la révolution, une révolution toute d'enthousiasme et sans casse. Le Préfet est parti, le Sous Préfet aussi, je crois ! On fait des Comités de Salut Public partout avec l'Armée dedans. C'est une explosion de joie ; les Français de souche ont repris courage ; les Musulmans se retrouvent à nos côtés dans une union totale ; le dynamisme de l'Algérie secoue toute la paralysie administrative.

Nous aussi nous avons notre comité de Salut Public et ce soir on fabrique des banderoles pour la manifestation de demain. J'ai lancé la consigne à tout le bled de descendre à Hanoteau ; on fera des discours et on se recueillera au monument aux morts.

La manifestation d'Hanoteaus'est passée encore mieux que je ne l'espérais ; il y a eu plus de mille personnes ; j'avais fait acheter des drapeaux à Orléansville le matin même, dans mon bureau on faisait des cocardes ; au camp militaire ; on faisait des calicots avec des inscriptions : Comité de Salut Public du Sinfita, du Main et d'Hanoteau ; un mât a été dressé sur le marché pour le drapeau tricolore ; on a enregistré une bande magnétique avec dessus le discours de Salan, les discours des notables, la musique, tout était parfait ; on a oublié une chose, il n'y a pas d'électricité sur le marché ; on s'est rattrapé heureusement en diffusant la bande au camp militaire où une gerbe a été déposée.

Il y avait unanimité avec les Musulmans venus en masse qui osaient se prononcer pour la France malgré la proximité du Bissa rebelle.

25 Mai 1958. Hier à Ténès il y a eu une grande manifestation : tous les chefs de SAS étaient en tête des Comités avec leurs banderoles, Européens et Musulmans mélangés, arrivant par centaine de voitures ou camions couverts de drapeaux ; à l'annonce de leur nom, chaque Comité défilait devant la tribune. Enfin par hélicoptère sont arrivés les Généraux Allard et Gracieux. Tous tambourinaient: 'Al-gé-rie Française, Sous-telle, Sa-lan' et cela a fini par la Marseillaise !

Quelques jours après ces manifestations sympathiques je suis parti en permission en France. Mon retour s'est fait le 15 juin 1958. A Alger j'ai retrouvé mon beau frère Armand de Vasselot en stage d'Ecole de guerre, et Solange de Cugnac qui débute comme petite sœur du Père de Foucauld. Alger n'est plus dans l'agitation, les drapeaux tricolores sont encore là, un peu défraîchis. On commente les grands évènements qui se sont déroulés et l'arrivée du Général de Gaulle accueilli par 500.000 personnes.

J'ai retrouvé Hanoteau sans grand changement ; je crois que tous les grands évènements politiques pourraient se produire, que la situation de l'Algérie sera toujours pareille, c'est-à-dire une misère physique latente sans remède et le sentiment d'être dans cette pauvreté et d'en jouir comme d'un bien précieux accordé aux ascètes ? Pêne et Pigeaud sont là en bonne forme et toujours en opérations. Du côté de l'Oued Hamelil, fait nouveau, cent familles ont été regroupées.

22 Juin 1958. Le renouveau en Algérie se marque par l'écrasement du Corps Préfectoral au profit de l'Armée qui se sent bien embarrassée de ce fardeau ; les SAS sont en principe sous les ordres de l'Armée ; on n'aura plus la belle initiative d'antan du temps des Préfets. Notre Sous Préfet a demandé sa mutation et le Comité de Salut Public de Ténès a voté une motion pour son renvoi !

10 juillet 1958. J'ai un remplaçant pour la SAS, il s'appelle Lorsin, il est Lorrain de St Mihiel, il vient de Kabylie où la vie est beaucoup plus dure et la rébellion sérieuse ; ancien scout, dynamique, bien élevé, enfin le type parfait !

12 Juillet 1958. J'étais en opération et en fouillant un bosquet de lentisque, mes goumiers ont débusqué un jeune homme qui a fui devant nous ; ils ont voulu l'arrêter, pas moyen, on a tiré, il a été tué. Tous les hommes des mechtas avaient fui, il restait les femmes et les vieillards ; je les ai harangués du mieux que j'ai pu. Le soir, j'ai été à Flatters pour ramener des chevaux pour la fantasia du 14 juillet et je suis revenu à cheval avec quatre goumiers, sept kilomètres en nous payant des courses au grand galop, c'était épatant.

13 Juillet 1958. Armand est là dans mon salon d'Hanoteau; je suis tellement content de recevoir quelqu'un de la famille pour en parler plus tard. Avec lui et le Capitaine Pigeaud, nous nous sommes rendu en convoi à l'Oued Hamelil où il a pu voir le regroupement et le poste militaire ; nous avons même pris le café dans un petit gourbi où se trouvait la famille d'un goumier ; le soir nous avons assisté à la répétition de la fantasia du lendemain puis nous avons été au café maure pour voir un peu la population.

14 Juillet 1958. Le lendemain la cérémonie du 14 juillet s'est déroulée comme prévue : prise d'armes, défilé, vin d'honneur et rafraîchissements ;Ensuite Armand a été accompagné à Orléansville.

16 Juillet 1958. Il y a eu une grande fête à Hanoteau organisée par les notables des nouvelles communes pour prouver leur attachement à la nouvelle politique ; la population est descendue du Beni Derdjine avec cent cinquante plats de couscous pour dix personnes qui ont été déposés de part et d'autre de la rue du village sur deux cents mètres. C'était un très joli coup d'œil et combien sympathique ; il y a eu aussi une belle fantasia au grand galop avec coup de feu à blanc.

Ce fut pour moi la dernière manifestation durant mon séjour à Hanoteau que j'ai quitté avec regret le 27 août 1958, mais aussi combien heureux de retrouver ma chère Geneviève qui si courageusement avait accepté de me laisser partir et de retrouver enfin la vie de famille avec mes chers enfants qui ne m'ont pas oublié.

Commandant Edouard de Montalembert


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