Algérie

VILLAGE BEN HAROUN (BOUIRA) Une histoire, un panorama, des misères



Reportage réalisé par Yazid Yahiaoui
Parmi les dizaines de villages qui ont de tout temps attiré et qui attirent encore de par leurs panoramas et leurs aspects imposants au niveau de la wilaya de Bouira, il y a incontestablement le village de Ben Haroun, dans la commune de Djebbahia, à 30 km au nord-ouest de Bouira.
Situé sur les hauteurs sud de la vallée de l'oued Djemaâ, le village de Ben Haroun offre à tout visiteur cette image d'un village colonial imposant mais miséreux. Ses deux bidonvilles, El-Hamra et Chaâbat, qui rappellent les ghettos africains, sont le témoin de regroupements forcés, voulus par les colons qui s'étaient établis dès les premières années de la conquête de la Kabylie, c'est-à-dire au début des années 1860.
Un village, une histoire
Perché à près de 800 mètres d'altitude, le village de Ben Haroun, situé à quelque 6 kilomètres à l'ouest de la commune de Djebbahia, domine les vallées d'Oued Djemaâ et des Issers jusqu'à Bouzegza et laisse le regard planer à volonté dans l'horizon jusqu'aux lointaines cimes enneigées du Djurdjura et l'esprit voyager dans l'infini. Outre la piste carrossable qui traverse le village par une intersection dont une route, le CW125, mène vers Aïn Bessem mais qui reste depuis les années 1990 peu fréquentée tant elle traverse les forêts denses de Souk-El-Khmiss, et l'autre vers Bouira en rejoignant au village de Zeboudja, la RN5 ; outre ces pistes qui seront sûrement en des temps cléments plus bénéfiques en le désenclavant, le village bénéficie également d'une autre aubaine : l'autoroute Est-Ouest que le village domine du haut. L'aspect serpentin emprunté par cette longue route le long de la vallée de l'oued Djemaâ jusqu'à la vallée des Issers au loin, les collines qui l'agrémentent et les montagnes qui l'entourent, toutes ces merveilles naturelles conjuguées ajoutent du charme au village. Se trouvant ainsi sur une pente abrupte mais à végétation luxuriante, où domine une forêt aux arbres séculaires comme l'olivier et le pin, plusieurs sources ordinaires et minérales jaillissent des entrailles de cette terre bénie, dit-on, par un certain marabout, Sidi Gacem Ben Haroun, originaire du Maroc et qui aurait vécu dans les lieux, et mort et enterré sur les hauteurs du village, vers 1536. D'où d'ailleurs l'appellation du village et le bois sacré d'où jaillissent les sources d'eau. Ayant vite fait la découverte de ce que fut plus tard nommée l'eau minérale de Ben Haroun dont les études faites par les médecins militaires avaient découvert des caractéristiques athermales qui n'avaient rien à envier à celles qui étaient alors célèbres dans l'Hexagone comme Vals, Vichy, Orezza ou St-Galère, plusieurs colons qui s'étaient établis d'abord un peu plus bas au village de Thiers actuellement Djebbahia, le chef-lieu de commune auquel est rattaché le village de Ben Haroun, sont remontés vers le haut sur ces hauteurs où ils avaient même préconisé la construction d'un sanatorium qui n'a jamais vu le jour, tant le climat qui y régnait et qui y règne encore est des plus purs. Ainsi, juste après le séquestre des terres au lendemain de la défaite d'El Mokrani en 1871, à qui les populations indigènes avaient prêté aide et assistance et combattu sous ses ordres, et la mort de ce célèbre guerrier non loin des lieux, plus exactement à l'oued Souflat, dans la commune limitrophe de Souk El-Khmiss, les colons s'établirent sur ces terres et puisèrent depuis les sources minérales du bois sacré situé en amont du village l'eau minérale de Ben Haroun laquelle obtenait, dès l'année 1896, ses premières lettres de noblesse. Plusieurs décennies s'étaient passées avant que les colons et la politique française ne tournent vers les regroupements des populations indigènes pour mieux les contrôler. Ces regroupements se sont multipliés durant la révolution, plus pour surveiller ces populations et priver les moudjahidine de leurs assistance que par souci de les aider et les éduquer comme le faisait croire la propagande d'alors, où les harkis étaient nombreux à faire l'éloge de «la France et sa bonté».Ainsi, pendant la deuxième moitié du XXe siècle, et après avoir été spoliées de leurs terres pendant le XIXe siècle et livrées à leur sort, les populations autochtones furent regroupées dans des camps surveillés par les militaires français surtout pendant la guerre de Libération nationale. En 1959, Ghalmi Athmane avait juste 9 ans. Il se souvient comme si c'était hier de cet événement. «Nous étions éparpillés un peu partout et vivions dans des huttes en diss chacun dans sa propriété. Presque chaque famille avait en son sein soit un père, un frère ou un cousin moudjahid. Je me rappelle de cette hystérie qui s'était emparée de nos familles lorsque les soldats français nous ont embarqués sans ménagement et de force vers ces lieux pour nous éloigner des moudjahidine et leur couper l'aide précieuse dont ils bénéficiaient de la part de nos familles…» Ammi Athmane s'arrêtait là et nous comprenions que son esprit avait voyagé dans le lointain passé. Quelques secondes après, il reprend : «Et tu sais quoi mon fils, nous sommes en 2012 avec notre drapeau de l'Algérie indépendante qui flotte dans les airs mais la situation est pire qu'en 1959. Nous sommes toujours dans ce ghetto que la France coloniale nous a laissés.»
Il était une fois le RHP
En 2000, lors de la désignation de 9 sites qui devaient être pris en charge par la Banque mondiale dans le cadre de la résorption de l'habitat précaire communément appelé RHP, au niveau de la wilaya de Bouira, ce fut tout naturellement que le site de Ben Haroun fut retenu. Au niveau de ce village, deux bidonvilles distincts se dégagent à première vue. El Hamra à l'est et Chaâbet à l'ouest. Au premier recensement de 2001, le site comptait 279 familles. Aussi, pour entamer très vite l'opération, des inscriptions de programme sur des terrains existants ont été lancées avec 86 logements au niveau d'El-Hamra et 80 logements pour Chaâbet. Malheureusement, depuis cette fameuse décision, et alors que les travaux de construction étaient entamés avec un engagement de la part des familles à payer leur quote-part qui est de 17 millions de centimes, l'agence foncière a buté sur le refus des premiers bénéficiaires à payer les 12 millions restants après avoir payé les 5 millions en première tranche. Cependant, malgré ce refus, les familles ont été hébergées et l'agence poursuivit la construction de 31 autres logements après avoir eu le terrain dégagé par l'APC. Une fois ces logements achevés, leur attribution a été confrontée au problème de la liste non établie. Entre- temps, l'agence foncière poursuivit son programme des 86 logements d'El-Hamra I en construisant 16 autres logements alors que 7 restants souffrent de manque d'assiette de terrain. De l'autre côté du village, au niveau du deuxième site de Chaâbet, l'agence foncière qui avait prévu 80 logements n'a pu lancer que 18 faute de terrain. Parmi ces 18 logements, 16 furent achevés et attribués, alors que deux sont restés à l'arrêt après qu'un citoyen fit valoir ses droits d'héritage sur le terrain de construction. Après ce problème de foncier au niveau du village et ne voyant pas d'issue et pressée par le temps, l'agence foncière a délocalisé les 62 logements pour les construire au niveau du chef-lieu de Djebbahia au lieudit la SAS.
Quand le wali est accueilli avec des youyous
Mais malgré tous ces efforts, l'image qu'offre au visiteur le village de Ben Haroun est toujours la même ; telle une plaie béante qui rappelle aux responsables de la wilaya combien la politique du RHP en particulier a échoué. Un échec total puisque même au niveau des autres sites de Ras-Bouira, de Kallous à Aomar ou encore El-Adjiba, les bidonvilles ne sont pas encore éradiqués. A Ben Haroun, surtout du côté de Chaâbet, les maisons construites en toub sont encastrées les unes les autres dans une surface très réduite et offrent à tout visiteur une image des plus désolantes et des plus tristes. En 2008, lors de sa visite dans le camp de regroupement de Ben Haroun, le wali de Bouira fut accueilli comme un messie, tant la population voyait en lui un véritable sauveur. Aux youyous des femmes étaient mêlées les larmes des hommes qui désespéraient de voir un jour un responsable sur les lieux. Le wali Bouguerra Ali, frappé par la misère et la tristesse des lieux, avait dégagé sur place un quota de 150 logements destinés aux habitants de ce bidonville. Quelques mois plus tard, et n'ayant pu trouver un terrain devant abriter ce projet, le programme fut délocalisé vers le chef-lieu de la commune. Cependant, quelle ne fut la surprise des habitants des deux bidonvilles de Ben Haroun quand ils apprirent que les 150 logements qui leur étaient destinés sont attribués à d'autres personnes étrangères au village. Depuis, le calvaire se poursuit et les centaines de familles habitant les deux bidonvilles attendent toujours. Salah Azouz, la quarantaine largement entamée, est père de quatre enfants. Il vit avec sa femme et ses enfants dans une bicoque depuis sa naissance. Sa maison est attachée à une colline qui fait office de cimetière du village. «Tu vois ce cimetière, crois-moi, ceux qui s'y reposent sont plus tranquilles que nous. Mais sachez une chose : par Dieu, nous ne leur pardonnerons jamais de nous avoir abandonnés de la sorte.» Salah avait du mal à poursuivre son réquisitoire tant sa gorge était nouée par les larmes et l'amertume. L'abandon dans lequel se trouve le bidonville qui est tel que l'a laissé la France coloniale a complètement anéanti la jeunesse et tous les gens des deux cités de regroupements. «En 1959, lorsque les colons nous avaient regroupés dans ces deux sites pour nous isoler des moudjahidine, nous avons trouvé des maisons décentes. Plus de 50 ans après, ces mêmes maisons sont là comme pour rappeler à nos responsables de notre Algérie indépendante combien ils avaient failli à leurs missions», nous dira encore Salah qui précise qu'à l'époque et selon ses parents, ces maisons étaient considérées comme des villas : des maisons construites en toub avec des épaisseurs de 60 cm et qui possédaient toutes les commodités avec chambres séparées, cuisine, toilettes, etc. Plus loin, de l'autre côté du village, il y a également une autre cité de regroupement appelée El Hamra. Là aussi, et malgré certains signes de développement avec surtout ces villas érigées durant les années 1990 de part et d'autre de la route, des dizaines de familles vivent encore dans les maisons précaires. La cité coloniale subsiste toujours. «Au début, lorsque nous avions répertorié les besoins, nous avons retenu le principe d'opérations-tiroirs. Il était convenu qu'au fur et à mesure que des familles sont recasées sur un site préalablement choisi, leurs demeures seront immédiatement démolies pour dégager du terrain et construire sur place de nouvelles maisons devant abriter des familles habitant le voisinage, lesquelles familles céderont à leur tour leurs demeures qui seront démolies pour en créer de nouveaux espaces à construire et ainsi de suite jusqu'à l'éradication de tout le site. Malheureusement, comme dans notre pays il y a toujours des mais, l'opération n'a pas été respectée puisque dès les premières réalisations, des étrangers au site ont pris quelques logements et de fait les espaces à dégager pour construire de nouvelles bâtisses étaient insuffisants et ce fut le blocage.» Yakhlef Mohamed, qui nous racontait cette genèse, est l'ex-président du comité de la cité. Il a été pendant plusieurs années directeur du CEM du village qui a été classé d'ailleurs deuxième à l'échelle de la wilaya en 2010 puis premier en 2011, avant d'être promu inspecteur général au niveau de la wilaya de Bordj- Bou-Arréridj. Il raconte avec amertume ces péripéties mais surtout les scènes de désolation auxquelles il avait assisté durant les dernières intempéries où le village fut totalement isolé. Après ces blocages et ne voyant rien venir, des familles qui ont longtemps attendu ont commencé à construire sans aucune autorisation. Plusieurs constructions illicites ont vu le jour surtout de la part de ceux dont les moyens financiers le leur permettent. Ainsi, si au niveau du site de Chaâbet, la désolation est largement visible avec un site homogène dans sa misère et son dénuement, il n'en est pas de même pour El-Hamra où, çà et là, sont érigées de nouvelles maisons et même certaines villas de plusieurs étages qui contrastent avec la misère régnante dans le bidonville situé juste derrière. Des villas qui cachent la réalité vécue par des centaines de familles au niveau des deux sites. Des familles dont les enfants, devenus des hommes et des femmes, vivent toujours dans une même pièce ; des familles pour lesquelles ne subsiste aucune intimité entre leurs membres, des familles dont les enfants, comme ce petit Youcef, 12 ans, n'ont d'autre rêve que celui d'avoir une maison décente…
Quelle solution pour le village '
«La solution est là. Nous l'avons depuis longtemps proposée aux responsables. Il suffit de dégager un terrain sur les hauteurs et il existe et construire des logements qui devront revenir aux familles vivant dans ces bidonvilles. Ensuite, une fois ces familles auparavant répertoriées, recasées, leurs anciennes maisons seront démolies et des assiettes de terrain seront libérées pour construire sur place de nouvelles maisons. Ce sera l'opération-tiroir mais bien organisée et sans tricherie aucune», devait nous dire Yakhlef qui ne désespère pas de voir le village renaître de ses cendres et devenir, pourquoi pas, l'attraction des touristes dans l'avenir. Du côté de Chaâbet, la solution existe également, selon nos interlocuteurs. «Il y a deux endroits situés du côté ouest du village. Le domaine Hocine et la ferme Moussa Ouail. Si l'Etat venait à nous construire des logements dans ces deux endroits, je vous assure que nous allons rajeunir tant la vue et le climat en sont idylliques», dira Salah. Quid des promesses du wali ' «Au début, croyez-moi, nous avons cru en ses promesses. Nous y avons vu un véritable messie. Il a été sincère dans ses émotions très apparentes sur son visage. Il avait pris des décisions sur place. Mais, plus tard et avec des problèmes qui avaient surgi, nous l'avons même rencontré dans son bureau au siège de la wilaya mais sans résultat», dira Snouci Mohamed, l'un des citoyens les plus actifs au niveau du village mais qui s'est vu traîner en justice par l'APC quand lui et d'autres villageois avaient fermé le siège de l'APC pour protester contre l'exclusion des villageois des logements qui avaient été construits au niveau du chef-lieu de l'APC et qui leur étaient initialement destinés. L'affaire suit toujours son cours au niveau de la justice et le village vit toujours le même problème…
«Ici nous manquons de tout et nous ne voterons pas»
Enfin, et c'est parce que le village compte plus de 8 000 âmes, plus peuplé que le chef-lieu Djebbahia, et dont la majorité sont des jeunes, le chômage endémique touche de plein fouet cette catégorie comme partout ailleurs et cela, quand bien même le complexe d'eau minérale y est là comme un ultime refuge pour beaucoup de pères de famille qui y travaillent. Des jeunes diplômés ou non, pullulent et chôment. Ils vivent leur misère dans la dignité. «Vous savez, il y a des jeunes qui ne peuvent pas se permettre une cigarette de Rym, mais ils acceptent cette situation d'une manière digne. Je suis venu ici en 1996 et je peux vous assurer que le village est resté attaché aux valeurs de la République même au plus fort moment du terrorisme», dira toujours l'ex-président du comité de cité avant de poursuivre :«Vous savez, ces jeunes sont calmes et acceptent leur sort avec résignation. Jusqu'à quand leur patience tiendra-telle ' Je ne saurais vous le dire. Ce qui est sûr, c'est que leur patience a nécessairement une limite et l'Etat devra penser rapidement à leur cas avant qu'il ne soit trop tard.» D'ailleurs, des prochaines élections législatives, personne à Ben Haroun ne veut entendre parler. Salah, Mohamed, Houari, sont des jeunes et des pères de famille qui ont tous grandi dans ces lieux miséreux où les plus élémentaires notions de vie décente n'existent pas. Ils en veulent aux responsables et surtout aux élus. Et justement, au sujet des élections législatives prochaines, ils en parlent. Houari, jeune chômeur de 24 ans qui vit avec ses quatre frères et sœurs et ses parents dans une de ces cabanes est catégorique : «Je ne voterai pas et je ne laisserai personne s'approcher de ce village pour faire sa campagne», dira-t-il. «Tu sais pourquoi ' Eh bien parce que tous ceux qui sont déjà passés par là nous ont inondé de promesses mais sans jamais rien réaliser. Et personne ne peut imaginer ce que nous endurons ! Pour changer un pantalon, je dois inviter mes parents et tout le monde à sortir.» Un peu plus loin, des enfants jouent dans la rue. Les divertissements sont inexistants au village. Surtout du côté de Chaâbet. En ces lieux au terrain abrupt, les aires de jeux sont difficiles à glaner. De là à suggérer une salle omnisports ou un autre lieu de loisirs… Les enfants et les jeunes du village de Ben Haroun pourront toujours attendre. Et… méditer. Les lieux en sont un parfait site d'inspiration…


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