Algérie

Vieille question attend nouvelle réponse



Vieille question attend nouvelle réponse
Quel traitement médiatique la presse doit-elle réserver au terrorisme dans ses multiples expressions sans qu’elle se mue, malgré elle, en instrument de propagande aux mains de ceux qui sèment la mort et le désarroi ? Le Chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, vient de remettre au goût du jour cette question qui s’était déjà posée dès 1993 et qui, depuis, est restée sans réponse.À l’adresse de journalistes qui tentaient, lundi à l’Assemblée nationale, de lui arracher quelques mots sur les récents attentats qui ont secoué le centre du pays, le Chef du gouvernement rétorquera par cette réponse pour le moins inattendue : “La presse a tout intérêt, et ce n’est pas une menace, à reprendre sa raison et à ne pas servir de tribune à des gens qui n’épargnent personne, ni les militaires, ni les gendarmes, ni les fonctionnaires, ni les journalistes, ni même les petits enfants”.
Les journaux auraient-ils donc à ce point perdu la raison pour qu’un Ahmed Ouyahia qui, jusqu’ici, n’était pas réputé éprouver de la sympathie à l’égard de la presse, en vienne à lui prodiguer un tel conseil ? Une évidence : il faut bien que le traitement médiatique réservé aux questions sécuritaires par les journaux ou, tout au moins, une partie d’entre eux, soit porteur de quelque nuisance pour nécessiter une telle intervention du Chef du gouvernement. Certes, chacun a pu trouver, en ces temps d’errements, la manière qui lui sied de perdre raison ou carrément de sombrer dans l’aliénation. Nos gouvernants y compris. Nos gouvernants surtout, diront certains. La presse n’est certainement pas en reste, elle qui a pour mission de rapporter toutes les folies de l’époque, celles des uns et des autres. Mais en même temps, elle a l’obligation de s’en sortir indemne.
Le fait est qu’elle n’en sort pas indemne, il faut bien l’admettre. Des journalistes, sans doute portés par le désir de mettre la main sur l’info la plus spectaculaire, et qui, le plus souvent, se recrutent dans certains titres arabophones, sont plus prompts à piocher dans le site Internet du GSPC que dans celui d’une institution, d’un parti politique, d’un syndicat, d’une association ou encore d’une ONG nationale ou internationale. Ils sont plus nombreux à traiter des dissensions entre anciens chefs terroristes aujourd’hui rangés et, pour certains, rongés par le remords, qu’à se pencher sur la crise qui secoue le plus vieux parti de la scène politique algérienne.
Mais jusqu’à récemment encore, cette hiérarchisation des dossiers arrangeait les affaires du pouvoir, plus soucieux de montrer que ses choix politiques et/ou sécuritaires, dont la réconciliation nationale, étaient acceptés par les chefs terroristes. Si la sortie du Chef du gouvernement peut le laisser entendre, il n’est pas dit que le pouvoir a fini par faire amende honorable. L’épisode encore tout frais de la lettre de Hassan Hattab à ses “frères de maquis” dont on ne peut dire qu’ils sont moins sanguinaires qu’il ne l’était lui-même, qui a atterri dans les rédactions au lendemain de l’attentat des Issers, donne à penser que la donne n’a pas changé et que, quelque part, on compte se servir de la presse, encore pour longtemps, comme instrument de promotion d’une option qui, si elle est présentée sous des atours exclusivement sécuritaires, n’en implique pas moins un choix politique. Cela ne va pas sans pousser la presse ou une partie de la presse à aller dans le sens opposé à celui conseillé par Ahmed Ouyahia.
C’est dire que la question, qui s’était posée déjà dès 1993 et qui se voit ainsi remise au goût du jour à la faveur d’une nette recrudescence des actes terroristes, ne semble pas tranchée. Les responsables de l’époque ont cru pouvoir la régler par l’imprimatur, décidé d’autorité par un Chef de gouvernement, Belaïd Abdesselem, dont on sait qu’il était constamment habité par la tentation de confondre autorité et autoritarisme. En ces temps-là, être journaliste et assister de visu à un attentat terroriste n’autorisaient pas à rendre compte du fait. Il n’y avait d’information sécuritaire à donner dans les journaux que celles transmises par les services de sécurité et diffusées par l’agence de presse officielle. Les journaux qui s’aventuraient à déroger à cette règle étaient saisis à l’imprimerie et leurs responsables traînés devant les tribunaux. Mais l’époque est révolue, et il n’est sans doute pas à craindre que nos gouvernants soient tentés de reconduire cette vieille recette, l’imprimatur qui, déjà en son temps, n’avait pas tardé à montrer ses limites. D’autant qu’Ahmed Ouyahia assure que ses propos ne doivent pas être perçus comme une menace et qu’il n’a pas explicitement exprimé quelque volonté de contrôler ou de censurer l’information sécuritaire proprement dite.
Cela n’enlève rien à la nécessité pour la presse de concevoir et de cultiver de nouveaux réflexes face à la complexité du dossier.


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