Une ambiance particulière règne à l'approche du mois de carême dans la
rue commerçante de l'ex-quartier juif d'Oran (Derb). Toute une peuplade de
marchands ambulants, de véhicules hippomobiles et de camionnettes envahissent
d'un bout à l'autre la chaussée de cette ruelle, un lieu représentant
fidèlement tout un pan de l'histoire contemporaine mais, malheureusement,
classé vieux bâti.
On y trouve de tout dans cette
prestigieuse venelle baptisée Daho Kadda où s'alignent des éventails de
marchandises sur des tréteaux abrités des rayons de soleil par des auvents de
toile. En se laissant aller aux lents méandres de la foule, l'odorat du
visiteur occasionnel, devancée par sa vue, est agréablement taquiné par une
variété de senteurs. La rue Daho Kadda s'époumone avec une certaine fierté
frisant l'ostentatoire d'avoir été et d'être encore, entre autres, fréquentée
par presque tous les comédiens du théâtre régional Abdelkader Alloula. La
raison est que la porte d'accès des artistes de cette majestueuse
infrastructure, pierre angulaire de la ville, fait face à l'entrée de cette
venelle. «Je suis un mordu des planches. La grande majorité des comédiens a
défilé devant mon étalage pour acheter leurs épices pour le mois de Ramadhan »,
a confié Kader, gérant d'un établissement commercial versé dans la vente des
épices et autres légumes secs nécessaires à la cuisine durant ce mois sacré,
installé sur les lieux depuis plus de 30 ans, juste en face de l'emplacement de
l'ex-fontaine publique. L'inconscience conjuguée à l'incivisme ont été à
l'origine de son obstruction définitive, perpétrée quelques années auparavant.
Nombre de vieux Oranais dénoncent, à ce jour, avec opiniâtreté, cet acte de
vandalisme ayant détruit un repère de haut prestige.
Jadis, cette fontaine publique
symbolisait cet illustre quartier populaire constitué essentiellement de
venelles serpentant entre de vieilles bâtisses blotties les unes contre les
autres que ni l'érosion ni encore moins les mignardises de la nature n'ont eu
raison d'elles. Quelques-unes ont été ciblées par des opérations de démolition.
Leur état très vétuste et
notamment la menace d'effondrement, qui pesait sur leurs occupants, ont été à
l'origine de cette décision. Néanmoins, n'ayant fait l'objet d'aucune action
concrète concernant leur récupération, les superficies sur lesquelles étaient
érigées ces maisonnettes se sont transformées en de véritables dépotoirs où se
côtoient des animaux nuisibles de toutes espèces. L'Oranais prime mordicus pour
la préservation et la sauvegarde de ce patrimoine historique, et ce, à travers
une véritable opération de réhabilitation. Datant de l'époque du 16ème siècle,
ce quartier était occupé en grande partie, bien avant l'indépendance, par une
communauté juive et des républicains espagnols invétérés ayant fui les
exactions et les interpellations arbitraires qui prévalaient dans leurs pays
sous le régime du dictateur Franco. Même à ce moment de l'histoire, lorsque le
visiteur empruntait cette rue, il identifiait l'approche du Ramadhan avec son
odorat. Toutes les senteurs qui en émanaient indiquaient la proche entame de ce
mois sacré. Le métissage des races qui peuplaient ce vieux quartier d'Oran se
rangeait sur les us et les coutumes des musulmans en s'imposant un respect pour
la période du Ramadhan. En ces temps, toutes les activités commerciales étaient
concentrées dans le petit marché couvert situé à quelques pas de l'ex-fontaine
publique. La rue Daho Kadda était, en revanche, animée par les interminables
discussions à haute voix de femmes d'un certain âge, toutes de noir vêtues,
issues desdites communautés et s'escrimant pour la plupart avec leur pelote de
laine au seuil de leurs habitations. Ces femmes portaient en permanence le noir
en signe de deuil, dit-on, à la mémoire des victimes de la guerre civile qui
faisait rage en ces temps-là sur la péninsule ibérique. Leur présence durant
plus de trois décennies dans ce quartier est à l'origine de son appellation. En
côtoyant les musulmans et en apprenant les bienfaits du jeûne, certaines se
sont reconverties à la religion islamique. «Le Ramadhan a uni nombre de
familles et c'est ainsi que des communautés étrangères ont commencé à jeûner
avant de se reconvertir à notre religion», a fait remarquer un vieil oranais.
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Posté Le : 10/08/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Rachid Boutlélis
Source : www.lequotidien-oran.com