Algérie

Vers le projet d'un trottoir Est-Ouest



H'mida comme son Etat possède une matraque. Comme son Etat,il est venu au monde, a trouvé un trottoir et se l'approprie en y posant sonnom, son odeur, son périmètre et ses frontières. Comme l'Etat qui ne l'emploiepas, il perd son temps en gagnant votre argent et vous oblige à payer lestationnement de votre voiture, dans votre pays, malgré votre nationalité quiest la même que la sienne, sachant que la sienne est plus rusée que la vôtre.Comme l'Etat, H'mida a son Etat à lui : personne ne l'a élu, personne ne l'achoisi librement, personne ne lui a donné le droit de garder les voitures etpersonne n'ose lui dire d'aller labourer la terre ou replanter les vignes. Saseule légitimité, c'est sa condition d'inutile dont il vous accuse : vous êtescoupable d'avoir eu une voiture après l'indépendance là où lui n'a rien eu àcause de lui-même mais avec la croyance que c'est à cause de vous. Qui a crééH'mida le gardien de parking ? Pas le nombre de voitures, ni le manqued'emplois, ni l'insécurité ni ses propres parents. La fabrication de H'mida acommencé en 1962 : il fallait faire fondre la graisse des plus riches selonBenbella, travailler la terre avec sa bouche et pas avec ses mains selonBoumediene, faire manger tout le monde pour avoir la paix selon Chadli etd'abord sauver l'Algérie, c'est-à-dire sa propre peau selon les Présidents quiont suivi. H'mida est ainsi né avec l'idée fondamentale que si l'on peutprendre un pays en prenant les armes, on peut prendre une ruelle en prenant unbâton. H'mida a donc la même légitimité que tous les autres et semble avoircompris l'essentiel en regardant l'actualité : si l'Etat paye une partie dupeuple pour avoir la paix sociale et si une partie du peuple paye l'Etat pouravoir la sécurité des biens, les automobilistes peuvent le payer lui pour avoirles deux. H'mida a hérité du socialisme l'idée que ceux qui sont plus richessont plus coupables, du capitalisme que ceux qui possèdent une voiture doiventpayer un impôt et de l'anarchie que ceux qui sont mieux ont automatiquement lapeur du pire. D'où sa fonction sociologique de partager un peu avec l'Etat lemonopole fondateur de la violence. Son badge ne vaut rien ou autant que lesbadges les plus officiels. Il se l'est fabriqué lui-même, mais l'Etat n'a pasfait autre chose au début de l'histoire moderne de ce pays. Comme pour lesinstruments de pouvoir de l'Etat, sa matraque est un signe souverain à doublesens : officiellement pour dissuader les voleurs, réellement pour dissuader lesmauvais payeurs. Dans une sorte de glissement de sens, à l'imitation du conceptde l'Etat totalitaire, H'mida a commencé par expliquer qu'il garde les voituressans s'approprier le trottoir avant de se convaincre que, puisqu'il garde lesvoitures, le trottoir et la ruelle ne peuvent que lui appartenir. Pourquoil'Etat chasse les vendeurs à la sauvette et pas les gardiens clandestins desparkings ? Parce que H'mida ressemble à l'Etat et est son fils alors que levendeur à la sauvette ressemble à l'homme qui travaille pour gagner son pain etpas l'attendre la bouche ouverte. Comme les mamelouks de l'Egypte du Moyen Âge,un jour H'mida prendra le pouvoir comme il a pris le trottoir. Il sera élu pardes automobilistes peureux, il punira les automobilistes récalcitrants,nationalisera toutes les ruelles de son pays et verra ainsi les villes et lesvillages lui tomber légalement dans les mains et avec la même idéologie fausséede Novembre : celui qui libère un morceau de la terre, le prend. Que fera-t-ilalors pour relancer l'emploi dans son pays ? La même chose que l'Etat et sesAPC qui l'ont laissé naître et croître dans un coin : donner des privilèges auxanciens gardiens, nommer des nouveaux avec plus de pouvoirs, fabriquer plus detrottoirs pour créer plus d'emplois et lancer les travaux d'un trottoirgigantesque Est-Ouest, fabriqué par des Chinois mais destiné à employer lemaximum de gardiens le long de ce parcours. Et après ? La lutte se poursuivraavec la naissance de gardiens clandestins des entrées des immeubles et deshabitations. Les cages d'escalier étant un bien commun, c'est-à-diren'appartenant à personne, des H'mida naîtront pour les prendre, les gérer etfaire payer les piétons qui prennent les escaliers. Ainsi de suite. Il y a desmoments dans les épopées d'un peuple où une matraque pour ouvrir une mer etd'autres où elle ouvre à tous les droits.




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