La vague de fond
qui vient de révéler au peuple son impressionnante unité patriotique dans toute
la richesse et la fécondité de sa diversité, impose désormais aux gouvernants
l'impérieuse nécessité de changer ses pratiques et modes de gouvernance. Tous
les intellectuels qui ont analysé ce mouvement social d'une profondeur et d'une
ampleur inégalées n'ont pas manqué de le souligner avec autant de force que de
pertinence.
C'est la victoire
de l'équipe nationale de football qui fut le détonateur de l'explosion de joie
nationale. Le dégel-puisque après avoir parlé de congélation, il faut bien
reconnaître aujourd'hui, que la glaciation avait frappé tout un peuple –
entraînait, dans le même enthousiasme, toutes les classes et couches de la population,
intellectuels et politiques compris. Bien que ces derniers n'aient pas fait
montre, à quelques exceptions prés, de manifestations à la hauteur de
l'événement ; probablement parce que son ampleur dépassait les limites de leur
pré carré ou qu'ils voulaient tout simplement ne pas donner, en toute pudeur et
retenue, l'impression de voler au secours de la victoire. Tout semble avoir été
dit, mais, paradoxalement, tout reste à dire comme l'a souligné si justement le
sociologue Abdelkader Lakjaa qui y voit l'occasion ou la nécessité d'un
approfondissement, au niveau d'une discipline, combien utile, tant à la société
qu'aux hommes politiques qui évoquent à hue et à dia dans leur discours, le
peuple et la société, sans les connaître vraiment. De ce point de vue, j'ai
toujours été étonné que l'on se référât constamment à la société ou au peuple,
comme s'il s'agissait de réalités monolithiques, susceptibles de réagir d'un
bloc, sans être traversées de mouvements divers, complexes et contradictoires.
Diversité et complexité qu'il convenait de connaître parfaitement, au risque
d'en arriver aux inconséquences du type : nous nous sommes trompés de peuple ou
de société. De manière générale, cette méconnaissance exprime on ne peut mieux,
l'inadéquation du système à la société, parce que le système vit en lui-même et
pour lui-même. Il ne pense à la société que dans des situations de crise ;
lorsque son existence est mise en jeu, et/ou sa légitimité contestée, par le
surgissement inattendu de l'imprévisible, comme ce fut le cas dernièrement, des
forces sociales dans la vie politique, qu'il a fortement contribué à
anesthésier ou à congeler. Tous l'ont constaté et dit, entre la société et le
système, le fossé se creuse au fur et à mesure que la médiocrité, la
courtisanerie, l'incompétence et la mal gouvernance s'étendent. Tout autant que
la corruption, qui trouve là, un terreau favorable à son propre développement
et devient un frein puissant à tout processus démocratique. Et qu'il est grand
temps de changer !
Que connaissons-nous
de la société ?
Que
connaissons-nous de notre peuple ou de notre société ? De son organisation, de
sa composition, de ses tranches d'âge, de son niveau de vie, de ses misères, de
ses souffrances, de son niveau intellectuel et culturel, de son analphabétisme,
de ses aspirations les plus fortes et de ses préoccupations les plus
lancinantes. De ses luttes concrètes et de ses coups de colère.
De ses représentations dominantes, de son
appareillage idéologique ou politique, de son rapport à l'histoire, à la
religion, au monde islamique, au monde arabe, à l'Afrique, au communisme, au
socialisme, à la démocratie, à la politique «globalement et en détail», à la
justice, à la citoyenneté et à la solidarité. Des forces qui travaillent son
prisme identitaire, le forment et le déforment selon les circonstances et les
intérêts des différents clans du système. Mais dont une grande partie a été
révélée par le tsunami patriotique auquel nous avons participé les uns et les
autres. Et dont les jeunes furent les porte drapeaux fiers et indomptables,
ombrageux et intransigeants. Mais…
Que savons-nous réellement de nos jeunes,
plus de 70% de notre population ? De leur rapport à l'histoire et à la culture
de leur pays, ou au monde de la politique. De ce qu'ils veulent, en réalité, et
pas seulement de ce qui tend à devenir une image d'Epinal : la fuite d'un réel
ravageur, la harga, élevée au stade de solution suprême, ou le maquis de toutes
les atrocités, de toutes les souffrances et de l'ultime sacrifice, celui d'une
vie de quinze printemps, fauchée par un geste kamikaze. Avec toutes les
rancÅ“urs, exprimées ou rentrées, à l'encontre un Etat qui ne leur fait pas la
place qui leur reviendrait au sein de la société, la place qu'ils attendent ou
estiment mériter, en fonction de leurs compétences et de leurs qualités.
Pourquoi tant de cerveaux en fuite, tant de
jeunes diplômés au chômage, tant de solutions palliatives à l'emporte pièce,
rien de plus que des trompe l'Å“il, pour apaiser et flatter la bonne conscience
des dirigeants. Pourquoi, avant la victoire sur l'Egypte, nos stades sont ils
devenus des espaces où ils expriment la violence accumulée de leurs multiples
frustrations, en s'en prenant à tout ce qui leur tombe sous la main, à la
sortie d'un match de football. Un jour, si rien ne change, ils s'en prendront,
comme en octobre 88, à tout ce qui représente le système !
Car il ne faut pas «voiler le soleil avec un
tamis» et voir la réalité, toute la réalité, en face. Comme l'a si bien dit
Mohamed Boudiaf, dans toute sa sagesse « le bien et le mal sont en nous, sont
entre nos mains» ; l'essentiel étant de savoir quel sens nous voulons donner à
nos vies et à celles de nos enfants. Il faut reconnaître, qu'à part quelques
journées d'étude ou séminaires alibis, nous n'avons fait que bégayer en la
matière depuis l'indépendance, croyant qu'il y avait mieux à faire que de
s'occuper du «Bez oua tenguiz». C'est ainsi que l'on désignait, avec un brin de
dérision, le Ministère de la jeunesse et des sports, dont le premier titulaire
est aujourd'hui Président de notre République.
Un peu d'histoire
L'histoire du MJS
est l'histoire de sa marginalité par rapport aux préoccupations que le pouvoir
avait décrétées centrales et prioritaires pour le pays, dés les lendemains de
l'indépendance.
Les gouvernants semblent avoir toujours pensé
qu'en réglant le problème de la scolarité et en investissant le quart du budget
de l'Etat pour l'enseignement, l'on avait résolu l'essentiel des questions de
la jeunesse.
Le reste était dilué dans la complexité de
l'ensemble des problèmes qui assaillaient une jeune nation, à la découverte
d'elle-même, et des fractures que des intérêts divergents, allaient commencer à
dessiner.
Le reste occultait le fait que les enfants et
les jeunes avaient des besoins spécifiques et devaient être considérées comme
des personnes à part entière, alors qu'en fait, et à la limite, ils furent
traités comme des non-personnes.
La création d'un Conseil Supérieur de
l'enfance et de la jeunesse au début des années 80, puis l'élaboration d'un
rapport spécial, en juin 82 par le Comité Central du FLN, traduisent plus
nettement l'inquiétude du pouvoir en direction des jeunes. Attention
particulière qui s'explique par le fait que les jeunes étaient devenus le
centre d'enjeux politiques de plus en plus évidents avec les émeutes, puis les
affrontements au sein de l'université, partagée entre les assauts des «frères
musulmans» et l'action des jeunes démocrates ou progressistes. Malheureusement,
ce ne furent là que des velléités n'allant pas plus loin que la rédaction de
rapports et de projets de textes sans incidence concrète sur le vécu des
jeunes.
Projet de société
et politique de la jeunesse
Lorsqu'on comprit
que la jeunesse était une entité en soi, au sein d'une société traversée par
des courants politiques contradictoires, et enfermé dans un système-camisole,
il était déjà trop tard. Octobre 88 était là, une année avant la chute du mur
de Berlin ; car tout se tient.
Faute d'avoir opté et défini un projet de
société clair et tracé une stratégie globale, intégrant l'ensemble des
secteurs, participant, à un titre ou un autre, à la résolution des problèmes de
l'enfance et de la jeunesse, dans une dynamique unitaire, fondée sur la
coopération, le partenariat et la complémentarité, l'on a continué, plus par
commodité que par cécité, à mettre en Å“uvre des recettes dépassées. La
conception marginaliste que l'on avait de ce ministère est exprimée par la
difficulté éprouvée tant par le politique que par le législateur à lui définir
un espace propre. Malade et incertain de ses attributions, le MJS s'est
toujours «bricolé» un espace à la lisière des autres. L'animation culturelle en
direction de l'enfance et de la jeunesse, par exemple, est un espace «éclaté»
entre l'Education Nationale, la Culture, le MJS et le mouvement associatif à
caractère social, culturel et scientifique. Ne parlons pas de la formation
professionnelle, en liaison avec la tranche d'âge des «14 à 18 ans», ou du
système coopératif que l'on voulut instaurer et que d'autres ministères de
souveraineté s'ingénièrent à bloquer sous mille et un prétextes. Tout ces
tâtonnements et toutes ces incertitudes finirent, par la force des choses, par en
faire, aux yeux de l'opinion publique, «le ministère du football».
Vers une nouvelle
Politique Nationale de la jeunesse
Toutefois, on
l'aura compris, cette sommaire évocation historique, avait pour but de montrer
que les vraies solutions sont loin d'être tout simplement organiques. Comme
dernièrement un homme, de bonne volonté certainement, a proposé
d'institutionnaliser la protection des droits de l'enfant, en avançant la
création d'une structure - une sorte de «médiature» - rattachée à la Présidence
de la République. Il est évident que cela, réglant le problème d'une personne
en mal de responsabilité, ne ferait, dans les faits, que compliquer la
résolution de problèmes déjà complexes par eux-mêmes.
Il convient surtout d'évoquer le dernier
séminaire Walis Gouvernement tenu, du mois d'octobre 2007, sous l'égide du
Président de la République. L'objectif était - plus de vingt ans après les
tentatives des années 80 - de définir une nouvelle politique de la jeunesse,
avec l'aide d'un Bureau d'Etudes dont le rapport de synthèse mit en évidence
que 107 propositions d'actions avaient été avancées par les six ateliers – que
sont-elles devenues aujourd'hui deux années après ? Que 10 thèmes centraux
ciblés avaient été abordés sur les 31 définis par les fiches techniques
préparées par le Bureau d'études. Que quatre préoccupations centrales avaient
émergé : la réglementation, l'encadrement, l'information et la communication.
Les secteurs cibles définis étaient les
suivants : Ministère de la jeunesse et des sports, Ministère de l'Intérieur et
des Collectivités Locales, Ministère de la Formation Professionnelle, Ministère
de l'Emploi. Nulle trace, à mon humble avis, de deux secteurs clés :
l'éducation nationale et l'enseignement supérieur, regroupant à eux deux, prés
de dix millions d'enfants et de jeunes, sans compter les effectifs importants
d'enseignants, d'éducateurs et d'animateurs.
D'autant que parmi les quatre objectifs
définis, à savoir : reconquête de l'espace jeunesse, dynamisation de
l'instruction civique et religieuse, promotion des valeurs citoyennes et
républicaines, et communication ; pratiquement tous concernent, en premier
lieu, les deux ministères en charge d'éducation et d'enseignement.
Il est heureux que le Chef de l'Etat ait
conclu, après avoir entendu tout le monde, que la réflexion devait demeurer
ouverte et se poursuivre, probablement du fait, qu'au cours d'un séminaire
relatif à la jeunesse, les jeunes étaient pratiquement absents, à l'exception
des jeunes étudiants de l'ENA.
Vers le Forum de
la jeunesse
Les jeunes qui
ont manifesté des journées durant pendant les folles journées de la
qualification de l'Algérie au Mondial ont démontré que lorsque leur pays était
en danger, ils étaient tout simplement là, prêts à s'engager et qu'il fallait compter
avec eux pour relever les défis que l'on pourrait leur proposer, comme hier
Houari Boumediene avait lancé le barrage vert, dont l'importance se révèle
aujourd'hui, au sommet de Copenhague, au regard de la désertification galopante
qui gagne bien des pays. Il serait injuste qu'une politique nationale de la
jeunesse soit définie sans la participation directe et concrète des principaux
concernés. Il serait aberrant que du changement soit décrété par en haut, sans
que l'on n'entende ceux qui exigent et portent le changement.
L'appel au changement, c'est d'une autre
Algérie que veulent les jeunes et les moins jeunes de notre pays. «Une autre
Algérie est possible» comme l'ont dit les altermondialistes algériens, non pour
faire du suivisme par rapport au mouvement altermondialiste planétaire, mais
pour trouver avec nos jeunes les vraies solutions à la crise qui ronge notre
pays. Comme l'a fait la municipalité de Porto Alegre - d'où est partie le
mouvement altermondialiste - qui, avec son expérience de la «budgétisation
participative», a mis en branle les quartiers les plus déshérités et plus de
100.000 participants aux débats. Prouvant ainsi que le mode d'organisation et
de gestion le plus déterminant, s'enracine dans la proximité et les
mobilisations autour de projets et de réalisations qui interpellent
concrètement les citoyens, dans leur quotidienneté.
Ce n'est certes pas une panacée, mais l'une
des pistes les plus convaincantes, aujourd'hui, qui permettra à la société
civile de participer au changement, en faisant connaître les solutions qu'elles
préconisent plutôt que de voir, bureaucrates et bureau d'études, décider du
sort de jeunes citoyens, sans les entendre ni les consulter.
Le Livre Blanc de
la Jeunesse Algérienne
Dans cette
perspective, il serait salutaire que l'ouverture d'un vaste débat national soit
envisagée autour de la nouvelle politique nationale de la jeunesse. Il pourrait
être organisé dans le respect de deux principes : libérer la parole des jeunes,
les écouter et leur faire confiance.
Louisa Hanoune, au cours du Congrès des
jeunes de son parti, aurait déclaré, dans la même veine, que «les jeunes ont
montré qu'ils sont prêts à s'assumer et à s'engager !». Sur la base de ces
principes simples, le débat s'organiserait en deux temps : création au niveau
local (immeubles, ouled el houmma, quartiers, communes) de Collectifs de la
Jeunesse Citoyenne qui auraient pour charge, avec le soutien des adultes,
l'organisation autonome de la réflexion collective et de la production de
propositions et d'alternatives reflétant les besoins et attentes concrètes des
jeunes du quartier ou de la commune en question.
Et ce, afin de préparer, dans un deuxième
temps, un dialogue avec les appareils administratifs concernés, pour dégager,
au niveau de chaque commune ou de chaque wilaya, les solutions alternatives
attendues et préconisées par les jeunes. Ainsi, nos jeunes écriraient par
eux-mêmes, commune après commune, wilaya après wilaya, le «Livre Blanc de la
jeunesse algérienne» comprenant leurs doléances et leurs propositions. Cela
serait plus authentique, plus responsable et plus démocratique que tous les
débats alibis organisés, ici ou là, pour noyer le poisson et se donner bonne
conscience.
Ce Livre Blanc serait présenté par les
jeunes, aux pouvoirs publics, à l'occasion du 5 juillet 2010, fête de
l'Indépendance et de la Jeunesse qui revêtirait cette année là, son véritable
sens.
Elle serait enfin fêtée dans l'allégresse
juvénile, dans tout le pays, par les jeunes qui, en participant à son
organisation, se seraient appropriés, pour une fois une fête qui leur
appartient en propre. C'est cela l'éducation citoyenne de nos enfants et de nos
jeunes, concrète et vivante ; et non une instruction civique momifiée et loin
du monde réel. Tout cela pour oublier les cérémonies commémoratives qui, loin
du peuple, ont fini par perdre toute signification, comme l'a si bien souligné,
avec force et amertume, le commandant Lakhdar Bouregâa, à l'occasion du 1
novembre.
Il est évident que si pareil débat venait à
se tenir, comme le cÅ“ur et la raison le souhaitent, les médias publics
devraient lui consacrer une place de choix pour démontrer que les choses sont
véritablement en train de changer, et que la transition vers la gouvernance
démocratique est pacifiquement en route.
Certes les jeunes, grâce aux nouvelles
autoroutes de l'information et de la communication, au téléphone portable et
autres techniques qu'ils possèdent beaucoup mieux que leurs ainés, pourraient
faire des miracles si on les laissait faire. Ils ont prouvé leur ingéniosité et
leur créativité pendant la guerre médiatique du Nil. Faisons leur confiance ;
c'est le premier pas vers le changement. L'Algérie entière n'aura pas à le
regretter. Redevenue elle-même, elle chavirera de joie et dansera encore une
fois ! Quels que soient les résultats du Mondial !
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Posté Le : 10/12/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Si Mohamed Baghdadi
Source : www.lequotidien-oran.com