Algérie - A la une


«L'échelle des valeurs est en train de perdre ses barreaux.» Frédéric Dard
Da Mokrane vit une petite fille qui trottinait dans la cour, accomplissant, on ne sait quelle petite tâche: il l'interpella d'une voix rude et elle vint aussitôt, les yeux brillants de malice quoiqu'intimidée par cette voix éraillée. «Tu bois du café ou du thé'», demanda-t-il à Da Meziane. «Un thé m'irait bien! Je ne supporte pas le café.» Moi, le café, c'est ma drogue. Depuis que je ne bois plus, c'est le seul luxe que je peux me permettre. Un café et une cigarette et je ne me sens plus ici.» Puis, se tournant vers la petite fille, il lui dit sur un ton de confidence: «Va voir ta tante Aldjia et dis-lui de te donner une tasse de café et de thé pour tes deux oncles. Mais demande le lui discrètement. Il ne faut pas que tante Djouher t'entende. Autrement, cela va la contrarier. Allez, va!» La fille détala prestement et Da Meziane sortit de la réflexion où il était plongé: «Tu sais, frère Mokrane, je ne suis pas pessimiste comme toi. Je sais bien que le temps passé ne revient pas et que nous ne connaîtrons pas à nouveau ce que l'on a déjà connu. Les temps changent et avec eux changent les régimes et les valeurs.Mai je suis persuadé qu'il y a des valeurs éternelles comme la terre et le travail. Le pétrole et le gaz seront épuisés un jour, les retraites en devises commencent déjà à tarir. Il en est de même pour les pensions aux victimes de la guerre. Il ne restera plus alors que la terre et le travail. Ce sont deux valeurs fondamentales. Rappelle-toi! Un jour, c'est le défunt président Boumediene qui l'a dit: tôt ou tard, il faudra revenir à la terre des ancêtres. C'est elle qui donnera toujours à manger à ses enfants.
-Ne me parle pas de celui-là! C'est lui qui a foutu l'agriculture parterre! Il a fait deux usines dans la région et les gens se sont mis à l'applaudir comme des demeurés. Regarde! Les terres agricoles ont été peu à peu abandonnées, les gens sont partis en ville attirés par le gain facile et tu vois le résultat. Il a bien essayé de faire un semblant d'industrie. Mais voilà le résultat: maintenant on importe tout ce que l'on consomme et on n'exporte que le pétrole, le gaz, les chômeurs et les diplômés. Vraiment, nous étions mal partis. Moi, je me souviens que tout ce que nous mangions à la maison était produit ici: le pain d'orge ou de blé, c'était nous qui le faisions. Nous ne buvions pas de café au lait le matin comme maintenant, mais nous mangions les restes de la veille, un bon couscous aux fèves arrosé de lait caillé ou de petit-lait, selon les goûts de chacun. Mon père, puis mon oncle, ont toujours eu, comme ton père d'ailleurs, une ou deux vaches laitières à la maison. Elles servaient à donner des veaux et à donner du lait. Il est vrai que nous n'avions pas le steak-frites que tout le monde a adopté aujourd'hui, mais nous mangions à notre faim. Quand on allait aux champs, une galette, des figues sèches et une calebasse de petit-lait était notre viatique. La pomme de terre était un aliment de luxe et le boulanger, on ne le sollicitait que les jours de fête. Ma pauvre mère n'a jamais porté de chaussures: elle allait pieds nus aux champs et la plante de ses pieds était dure comme une semelle. Va donc demander à une femme de fouler aujourd'hui les olives avec ses pieds comme on le faisait jadis!»




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