Algérie

Valérie Rieffel : «La création algérienne est multiple, intense et ouverte sur le monde» Culture : les autres articles



Valérie Rieffel : «La création algérienne est multiple, intense et ouverte sur le monde»                                    Culture : les autres articles
Valérie Rieffel, directrice de l'Institut des cultures d'Islam nous explique pourquoi l'établissement culturel qu'elle dirige dédie son 7e Festival à l'Algérie. L'ICI, un établissement culturel de la ville de Paris implanté à la Goutte d'or, un quartier populaire du 18e arrondissement, porteur d'une mémoire algérienne vivace et dynamique.
- Le choix de la création culturelle algérienne contemporaine pour le 7e Festival de l'Institut des cultures d'Islam est-il strictement conjoncturel (50e anniversaire de l'indépendance) '

L'objectif de l'Institut des cultures d'Islam (ICI), depuis son ouverture en 2006, est de centrer son activité sur le quartier de la Goutte d'or qui a sa spécificité, son histoire et sa propre vitalité dans la vie culturelle parisienne et, en même temps, de rayonner plus largement.
Et de fait, la question de l'Algérie est centrale dans notre programmation, et ce, depuis la création de l'institut dans le sens où il y a beaucoup d'Algériens qui vivent à la Goutte d'Or qui sont actifs, qui contribuent à façonner l'image du quartier et la culture française. Il y a trois ans, au moment des rencontres de la Goutte d'or, on avait déjà abordé la culture algérienne.

- Autrement dit, ce n'est pas une nouveauté...

Les autres fois c'était plus en lien avec la mémoire des Algériens du quartier de la Goutte d'or. Avec ce festival, on va au-delà, il s'agit plus largement de montrer aux Parisiens des créateurs algériens qui, parfois, ont du mal à voyager de par la politique des visas. L'occasion, c'est bien sûr le cinquantenaire de l'indépendance, mais on va continuer à traiter de la création culturelle algérienne, bien au-delà de la commémoration. On prolonge le festival pour toute une saison, pour montrer que la question de la création en Algérie mérite un traitement sur le long terme. Cette commémoration peut être aussi l'occasion de se poser des questions sur la situation algérienne actuelle, sur l'état des relations algéro-françaises, quels sont les jeunes qui prennent la relève en Algérie, qui ont envie de créer, qui s'expriment à travers des films, des musiques, des pièces de théâtre, qui reprennent l'héritage de leurs aînés, mais d'une façon qu'ils transforment pour le rendre accessible à toute leur génération, et pas uniquement aux Algériens, mais de sorte à ce que ce soit un élément d'un patrimoine universel qui concerne tout le monde.

- Et c'est la problématique de ce festival...

Il ne s'agit pas de traiter du passé, de segmenter les périodes, mais de retracer un fil entre le passé, le présent et le futur et de montrer comment le passé peut aussi être une source d'inspiration pour l'avenir. C'est par exemple la proposition musicale, une création futuriste qui ouvre le festival, Abdelkader 2032, qui interroge ce que ce héros algérien du XIXe siècle a à nous dire aujourd'hui, et en quoi il peut être un modèle d'avenir.

- Comment s'est fait le choix du programme du festival '

J'ai consulté beaucoup de gens, je suis allée voir beaucoup de spectacles, d'artistes dans leurs ateliers, des expositions, y compris en Algérie, où il y a beaucoup de créateurs même s'il n'y a pas assez de structures pour les accueillir. Des liens se créent au fur et à mesure des rencontres, les artistes algériens sont de plus en plus présents dans des festivals, à Cannes, Avignon'

- Comment appréciez-vous la création algérienne ' Comment la qualifiez-vous '

Elle est multiple de par ses éléments berbères, islamiques, de par tout le dialogue long, complexe avec la culture française, occidentale, tout cela en fait une culture ouverte sur le monde. Je la qualifierais par une certaine forme d'intensité.

- Avec quels objectifs l'ICI a été implanté dans un des quartiers les plus populaires de Paris '

Cela fait partie de la politique culturelle de la ville de Paris ces dernières années de créer des lieux de culture rayonnants, ancrés localement dans un quartier avec une identité forte mais ouvert sur le reste de la ville (la Maison des Metallos dans le XIe, le 104'). Avec cette idée de redessiner la géographie culturelle parisienne en dotant mieux les quartiers, qui avaient été jusqu'à présent un peu oubliés. L'autre idée du maire de Paris est que Paris est une ville monde, ouverte et composée d'influences diverses. D'où l'importance d'avoir des lieux emblématiques de cette culture multiple.

- L'abréviation de l'Institut des cultures d'Islam (ICI), n'est-ce pas un clin d''il aux gens d'ici '

Tout à fait. J'ai été nommée par le maire de Paris pour m'occuper de ce projet, et quand on m'a présenté la fiche de poste, il était indiqué «Institut des cultures musulmanes», j'ai proposé à la ville qu'on change cet intitulé qui n'est pas très parlant et qui pose un problème de qualification par l'acronyme Institut des cultures d'Islam, qui signifie que ces cultures ont toute leur place ici, c'est ici que cela se passe et aujourd'hui ce n'est pas dans un ailleurs lointain rêvé.

- Comment les habitants perçoivent et reçoivent ce projet '

En direction des réfractaires, nous avons fait un important travail d'explication du concept de laïcité qui est souvent dévoyé. La laïcité, ce n'est pas une restriction, elle permet au contraire une diversité religieuse et spirituelle. Aux musulmans, nous avons expliqué que nous ne sommes pas un centre théologique, les croyants ne vont pas y trouver des réponses à leur foi, mais un lieu qui les lie culturellement, qui est ouvert aussi sur le reste du monde.

- L'ICI n'est donc pas une pièce rapportée. La greffe avec le quartier s'est faite...

Absolument. Notre priorité à l'ouverture du centre a été d'accueillir des associations, de mettre des locaux à disposition de celles qui font de l'alphabétisation, du soutien scolaire, des ateliers de pratique artistique, d'accueillir des enfants qui ont envie d'apprendre l'arabe, qu'ils soient arabophones ou pas. Il ne s'agit pas non plus de ghettoïser la Goutte d'or, le but est de faire de l'ICI un tremplin entre le quartier et d'autres établissements. Le lien est dans les deux sens.

- Avec une exigence de qualité...

Il n'est pas question de faire dans la sous-qualité, au motif que nous nous inscrivons dans une démarche culturelle démocratique. Au contraire. L'idée, aussi, est de changer les représentations de l'Islam. Les arts d'Islam ne sont pas poussiéreux, ni enfermés dans une tradition, mais peuvent avoir une forme de visibilité contemporaine, être en résonance avec notre société d'aujourd'hui. Le musée du Louvre ouvre la semaine prochaine un département des arts d'Islam.

- Quelle est la ligne directrice qui détermine les programmations de l'ICI '

Par rapport à l'histoire de la France, on a souvent tendance à assimiler les cultures d'Islam aux cultures arabophones ; nous, nous avons voulu montrer la diversité des cultures d'Islam et aller du côté de l'Afrique subsaharienne, du côté de la Turquie, de l'Asie. Montrer que ce n'est pas un bloc monolithique et que ses expressions artistiques et culturelles sont riches, variées, qu'elles ne sont pas réductibles au vocable Islam. Et aussi aborder les questions qui font débat dans la société et les éclairer avec des universitaires, des spécialistes, des artistes, des écrivains pour mieux comprendre ce qui se joue dans les débats sur le voile, sur la place de la femme, distinguer la question de l'islamisme de celle de l'Islam, des distinctions qui ne sont pas forcément évidentes dans l'esprit des gens, qui regardent la télévision, beaucoup d'amalgames sont faits, et aussi sortir de l'âge d'or de l'Islam pour parler d'aujourd'hui.

- C'est ce qui vous a conduit à écrire «Islamania» *'

Cet ouvrage voulait montrer cette espèce d'obsession réductrice et négative de l'Islam dans l'opinion. J'ai voulu transformer cette Islamania négative en islamania positive, en montrant l'importance des arts d'Islam dans l'histoire de l'art universel et en quoi ces arts ont beaucoup influencé les artistes qui sont fondateurs de la modernité artistique occidentale. Ce qu'il y a dans Islamania, c'est en gros tout ce qu'on fait à l'institut, être dans l'échange.

* Islamania. De l'Alhambra à la burqa, histoire d'une fascination artistique de Véronique Rieffel. Editions Institut des cultures d'Islam et Beaux Arts éditions


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