Algérie

Urbanisme Alger : et la ville tuera le site..



Urbanisme Alger : et la ville tuera le site..
Publié le 03.02.2024 dans le Quotidien l’Expression

Hussein Dey est un territoire dont la mutation de la périphérie industrielle vers sa destinée, de mixité résidentielle, a été interrompue par notre miracle paradoxal.
La minoterie de la rue de Tripoli à Hussein Dey à été démolie. Par quoi sera-t-elle remplacée?

Tous les architectes algérois et d'ailleurs, connaissent le livre de référence,?La casbah d'Alger, et le site créa la ville?, d'André Raverau. Cet architecte français, élevé au rang de «?Achir?» en Algérie, a consacré sa vie au Mzab. Sur Alger, il décrit, comme beaucoup d'autres avant et après lui, la splendeur du site et le génie humain qui y a intégré la ville en parfaite harmonie. Jouant du relief et des vues sur la mer, rajoutant des couches successives au palimpseste du territoire sans en altérer l'essence, Alger s'incline avec pudeur face à la magnificence de la baie. Des volumes simples, en cascades, suivant la pente, laissant de temps à autre une percée sur le bleu de la mer, sans jamais en priver une seule terrasse. D'ailleurs, la seule règle d'urbanisme qui sévissait était l'interdiction totale de tout immeuble d'obstruer la vue aux terrasses.

Plus tard, la ville coloniale dans son architecture du vainqueur, puis du protecteur, a su malgré un changement de style et surtout de valeurs, épouser les courbes des collines du Sahel. Dessinant un urbanisme avec lequel Haussmann lui-même ne saurait en découdre. La timidité des ruelles sinueuses a laissé place à la théâtralité des coulées vertes, ponctuées çà et là par l'audace du mouvement moderne, qui, à Alger, fait école. Si bien même, qu'elle nous épargna l'arrogance corbuséenne avec son plan Obus. Une élégante utopie de béton, pour les puristes de l'architecture, qui aurait détruit la ville. Le recul historique nous fait remercier le destin. Ni le plan de Constantine ni les plans quinquennaux et encore moins le Comedor, le POG ou le PUD, n'ont pu altérer la relation charnelle qu'entretient Alger avec son territoire. Les extensions urbaines post-indépendance ont certainement grignoté l'arrière-pays, faisant du paradis fertile de la Mitidja un champ de logements. Une croissance naturelle disent les experts de l'urbanisme?; un exode rural qui ramène du monde (zhaf elnrifi djab ghachi), disent les nostalgiques. Une chose est sûre, la ville historique, qu'elle soit précoloniale, ou coloniale, a été plus ou moins épargnée. Le destin y est aussi peut-être pour quelque chose, mais j'y vois plus ce que j'appelle «?le miracle paradoxal des biens vacants?». En excluant le foncier et l'immobilier du marché, la ville s'est figée dans le temps, laissant d'un côté périr ses quartiers historiques, son patrimoine et ses friches industrielles. De l'autre, la ville a été sauvée de la spéculation foncière et de la surenchère immobilière.

L'épopée miraculeuse et paradoxale fait place, aujourd'hui, à l'arrogance du marché. Le capital n'a que faire des récits poétiques ou des vues sur la mer, si ce n'est celles consacrées aux terrasses de penthouse, ou aux vues panoramiques monétisées. L'espace public et l'intérêt commun, le respect des gabarits et du relief, l'humilité des hommes de leurs oeuvres ne font pas le poids face aux mètres carrés construits et aux étages négociés. Le marché n'a de respect, ni pour le site, ni pour l'histoire, ni même pour les plans d'urbanisme. En témoignent deux projets phares des dynamiques urbaines algéroises actuelles.

Le premier est celui du réaménagement de la pêcherie en contrebas de la Casbah. Un site sensible où seul le Gouvernorat du Grand Alger a tenté de s'aventurer avec son Grand Projet urbain, et en y laissant des plumes. Un site tellement complexe sur les plans urbanistique, mobilitaire et patrimonial, mais aussi tellement chargé d'histoire et d'enjeux, qu'il nécessite la plus grande finesse technique et esthétique, et... tant d'humilité?! Si la réappropriation de l'espace public du port était plus que nécessaire, la programmation d'un vulgaire centre commercial sous les voûtes de la place des Martyrs, ou encore la tour-ascenseur qui surplombe les terrasses de la Casbah, sanctuaire de l'intime féminin, ne sont que des artefacts d'une incompréhension profonde de la réalité du contexte, symptomatique de la mégalomanie architecturale et de l'arrogance du marché.

Le second projet est celui des deux tours présentés par Enpi en lieu et place de la minoterie de Tripoli à Hussein Dey. Un lieu dont j'ai rappelé toute la charge symbolique dans un précédent article, appelant à la vigilance quant à sa destruction. Le projet présenté, aujourd'hui, est la caricature d'une manière de faire la ville, soumise au dictat et à la logique des promoteurs immobiliers, avec la complicité de pouvoirs publics sans vision. Hussein Dey est un territoire dont la mutation de la périphérie industrielle vers sa destinée, de mixité résidentielle, a été interrompue par notre miracle paradoxal. La reprise de sa dynamique se fait, aujourd'hui, sans remembrement urbain nécessaire pour passer d'îlots industriels de grande taille, à un tissu urbain résidentiel. Les terrains se vendent, ou se cèdent, tels quels?; des clôtures imperméables s'érigent?; et des droits à bâtir n'obéissant à aucune composition et planification sont attribués, créant par là des aberrations de vis-à-vis et de densités. Mais la vraie question qui se pose pour ce projet, est comment a-t-on attribué un tel permis, dans un lieu stratégique, où les outils de planification, POS, notamment sont en pleine révision? Si le site créa la ville, cette dernière finira, si ces logiques continuent, par tuer son géniteur. Le «bleu de la mer et le sable de la mémoire» sera pris par les passants du marché et de la gouvernance!

* Architecte - Urbaniste
Aniss M. Mezoued



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