Une ville, une histoire Jugement nocturne

Verdict - En voyant le train de marchandises arriver à cette heure tardive de la nuit, l'idée d'évacuer le chien inculpé à son bord traversa l'esprit du chef de bande, qui jouait le rôle de juge. C'était une chance inouïe pour ce chien.
Dans ce quartier populaire, la bande à Bayba était connue pour les tracasseries qu'elle créait quand elle s'abreuvait de liqueurs en ces temps de disette des années1970, dans une Algérie fraîchement indépendante où le niveau d'instruction n'était pas assez élevé et où les jeunes s'adonnaient à des professions manuelles, surtout.
Une nuit d'automne, Titou, qui titubait, est mordu par un chien qui rôdait toutes les nuits dans cette allée, à la recherche de quelque chose à se mettre sous les canines. Mais Titou avait gâché l'exploration de cette bête.
Dans les parages, les amis de Titou, dont Bayba, s'amusèrent à capturer la bête fugitive. Malheur leur en prit. La bête accepta docilement l'invitation du chef de groupe à croquer un os trouvé dans la décharge du coin. Le chien, coupable selon eux, devait passer en jugement. Ligotée et attachée aux rails, non sans nourriture, la bête était au centre de la discussion qui battait son plein. Des divergences opposaient les membres de la bande quant au sort à lui réserver. Alors, on ne trouva pas mieux que de s'organiser pour un jugement juste, dans la soirée.
Sachant que le coupable et la victime étaient là, pourquoi ne pas leur désigner des avocats et élire un juge en la personne du rusé et fort Bayba ' Salah, un intime de Titou, entama les débats en prenant la défense de son ami : «Comment ose-t-on s'attaquer à Titou dans son quartier ' Titou, le chouchou de la houma, un jeune qui sue dix-sept heures par jour pour pouvoir nous payer ces quelques cartons de ce merveilleux nectar !» Ali, le plus instruit, amoureux des animaux, défendit, tant bien que mal, le chien en lançant : «Messieurs, soyez conscients. Ce chien ne pouvait s'aventurer ailleurs car connaissant la bonté du coin et la générosité de ses poubelles.
Il y a sûrement une erreur quelque part. Et puis, avec sa gueule, Titou aurait pu effrayer n'importe quel agresseur terré. Alors étant ivre, c'est encore plus édifiant.» Salah ne put se retenir, déclarant : «Titou est un ange quand il est saoul, et puis, qui ne sait pas qu'il est saoul chaque nuit ' Même les chiens ont leur idée sur la situation de Titou.
Que justice soit faite.» Bayba ne pouvait s'aventurer à rendre un verdict car le chien, comme s'il se doutait de quelque chose, commençait à se frotter à sa jambe. Une certaine tendresse secrète se créa entre le bourreau et la victime, et le sérieux qui animait les débats allait crescendo.
C'est à cette heure que le train de minuit siffla son entrée en gare. Bayba ne put prendre parti pour aucun des antagonistes, même s'il dominait le groupe par sa puissance. C'était un véritable colosse, ce qui faisait de lui un bagarreur imbattable et ses nombreux frères étaient pour lui un «plus» enviable en ces années d'agressions inter-familiales.
Comment allait-il persuader Titou et Salah de laisser la bête tranquille ' Pourrait-il, vraiment, avoir leur confiance, dorénavant ' L'idée d'exiler cette bête, qui pouvait être son compagnon fidèle à partir de ce moment, commença à germer dans sa tête.
Comme le train de minuit tardait dans ses arrêts, l'idée d'y mettre le chien était la plus salvatrice. Quant à l'ossature du groupe, elle serait intacte puisque Titou aura l'estime du chef du groupe. Il alla ouvrir le wagon et c'est lui qui fit monter le chien et l'enferma. Le train prit la destination d'Alger. Quant au chien, nul ne sait quelle direction il prit.