Une ville, une histoire Le bagnard de Boussaâda

Mésaventure - Il ne lui restait que quelques jours pour arriver enfin à Boussaâda et revoir sa famille. Malheureusement pour lui, un contrôle d'identité stoppera nette son aventure.
Il est né à Boussaâda et y a grandi. Il se fera tout de suite remarquer par l'administration coloniale pour son esprit indépendant et surtout sa forte tête. Il avait horreur que les supplétifs lui marchent sur les pieds. Pour lui, le «nif» il n'y avait que ça de vrai.
Lorsque hadj Mokrani sonna le tocsin de la Révolution, il sera parmi les premières volontés à répondre et à prendre les armes contre l'occupant français.
Il se battra avec la force et la fougue de son âge, sera blessé et fait prisonnier.
Et il fera partie évidemment de la longue cohorte qui sera déportée en Nouvelle Calédonie. Dans ce caillou planté au beau milieu du Pacifique, loin, très loin de son pays natal et de Boussaâda et ses oasis, il ne pensera qu'à une seule chose : fuir, échapper de ce camp de la mort où ses compatriotes sont réduits à l'état d'esclavage.
Ses compagnons d'infortune lui déconseilleront de le faire car personne n'a jamais réussi à mettre les voiles.
Têtu et prêt à prendre tous les risques, il fabriquera en cachette un radeau qu'il mettra quatre mois à réaliser, doucement, planche par planche, corde par corde
Et puis une nuit, il se détachera, on ne sait comment de ses chaînes, rejoindra sur la pointe des pieds la berge et vogue la galère pour l'inconnu.
Personne dans ce bagne à ciel ouvert ne s'était aperçu de rien, la plupart des gardes dormaient étant assurés que pareille évasion ne pouvait pas se produire.
Au petit matin, le jeune homme flottait toujours sur sa frêle embarcation et ne savait pas où il se dirigeait.
C'est au bout de quatre jours, fatigué et harassé et la peau tannée comme celle d'un mouton, qu'un navire le recueillera, le soignera et le déposera à son port d'attache.
Il était en Nouvelle Zélande.
Bien content qu'un prisonnier tienne tête aux Français qu'ils n'aimaient pas, les NéoZélandais l'aidèrent et le firent embarquer pour l'Australie.
Et c'est dans ce pays qu'il put prendre un navire à grains en partance pour l'Arabie saoudite.
Une fois sur le sol du royaume wahhabite et après avoir pris des forces, il entreprendra de rejoindre la Libye.
Le reste, il le fera à pied. Il traversera la Tunisie franchira la frontière et atteindra enfin Constantine.
Il ne lui restait que quelques jours pour arriver enfin à Boussaâda et revoir sa famille.
Malheureusement pour lui, un contrôle d'identité stoppera nette son aventure.
Menotté et solidement encadré, il sera réexpédié une fois de plus vers les geôles de Nouvelle Calédonie.
Depuis, personne n'entendra plus parler de lui.