Une ville, une histoire Une histoire de toilettes

Ego - Suffisant, conscient de ses immenses pouvoirs et de son immense fortune, l'homme ne pouvait pas être facilement approché ni par ses administrés ni par ses travailleurs.
Pierre Lafont. Ce nom ne dit pas grand-chose aujourd'hui mais dans les années 50 il faisait la pluie et le beau temps à Oran.
Lafont, en effet, était député et maire de cette grande métropole et, ce qui ne gâtait rien, propriétaire du seul quotidien de la région à l'époque : L'Echo d'Oran dont on disait qu'il était le plus fort tirage en Afrique du Nord.
Cette position privilégiée dans la société «pied-noir» le rendait quasiment inaccessible.
Il était tantôt chez le préfet, Igame, tantôt en audience à la municipalité et tantôt en session parlementaire à Paris.
Suffisant, conscient de ses immenses pouvoirs et de son immense fortune, l'homme ne pouvait pas être facilement approché ni par ses administrés ni par ses travailleurs.
Pourtant l'un d'eux, un indigène, le verra assez souvent : c'était son factotum au journal.
Il avait pour mission essentielle de nettoyer plusieurs fois par jour ses toilettes privées car l'homme n'avait aucune espèce de confiance dans les femmes de ménage de l'entreprise. Il était méticuleux, et même maniaque concernant son hygiène.
Ce patron inabordable fera tout de même une fleur à l'indigène : Il lui permettait de se servir des WC, car il était non seulement propre mais extrêmement soigné de sa personne.
Grand aux yeux bleus il avait tout pour ressembler à un Américain.
Au lendemain de l'indépendance, les travailleurs du nouveau journal que l'Etat baptisera La République hériteront de tout le matériel et de toutes les machines de Lafont et même de l'indigène qui était censé astiquer ses cuvettes.
Il reprendra du service bien sûr mais en tant que «bouliste» c'est-à-dire chargé de collationner par ordre d'importance les dépêches de l'APS.
Un peu plus tard, un autre directeur, enlèvera toutes les cuvettes des «roumis» pour les remplacer par des cuvettes turques.