Algérie

Une ville d'Algérie : Bougie



Les Phéniciens venant des rivages de l'actuel Liban, de Tyr ou Sidon, pratiquaient une navigation côtière qui les conduisit tout le long des rivages de l'Afrique du Nord, depuis la Libye jusqu'au détroit de Gibraltar et au-delà. Ce fut un cabotage avec des embarcations légères ne s'arrêtant pas dans des ports véritables, une crique bien abritée ou un fond de golfe en tenait lieu. Ce n'était que de simples points d'échange. Ainsi, près de l'endroit qui deviendra Bougie, A. Debruge avait dégagé du sable, immédiatement audessus de la plage des Aiguades, des constructions primitives dénommées mapalia, que l'on désignerait de nos jours, sous le nom de huttes ou de cabanes ( CINTAS P, Manuel d'archéologie punique, tome II, p. 98.).

Les Romains vinrent ensuite au début de notre ère. Immédiatement au sud de la plage où se trouvait le comptoir phénicien, sur un promontoire rocheux, ils bâtirent une ville qui fut dénommée Saldae. à ses pieds, ils installèrent un port pour leurs navires qui sillonnaient la Méditerranée d'une rive à l'autre. Dès que la ville acquit une certaine importance, leur premier souci fut d'y amener l'eau jusqu'aux fontaines situées au pied des maisons.Une inscription latine ( LESHI L., Revue Africaine XXXV, 1941, p. 386.) trouvée à Lambèse a été transportée à Bougie. Là, elle est située sur la place, devant la mairie, accompagnée d'une traduction en français. Cette inscription bien connue des Bougiotes, nous raconte les travaux entrepris pour amener l'eau: en 137, Petronius Celer, gouverneur de la Mauritanie césarienne, fit établir un projet par un librator (nous dirions aujourd'hui un géomètre) venu de Lambèse. Ce spécialiste, Nonius Datus, proposa de capter l'importante source de Toudja et d'amener l'eau à Bougie à 21 kilomètres vers l'est. L'eau de cette source ne s'écoulait pas vers la ville, mais directement vers le sud en direction de la vallée de la Soummam et, de là, directement vers la mer. Par conséquent, pour atteindre la ville, il fallut construire un aqueduc à flanc de coteau, traversant les ravins par des ponts en arcade atteignant jusqu'à 15 mètres de haut et construits en pierre de gros appareillage. Ensuite, avant d'atteindre la vallée de l'Oued Srir débouchant aux environs de Bougie, il fallut traverser l'arête rocheuse du djebel Bou Draham. Cela nécessita la percée d'une galerie en tunnel creusée dans une roche calcaire très dure, sur une longueur de 482 mètres. Sans explosif, le travail fut exécuté à force de bras et dura plusieurs années. Il fut attaqué par les deux bouts simultanément, après un travail de repérage qui fixa de part et d'autre de la montagne les deux extrémités de la galerie, sa direction et sa pente.
Cependant les deux galeries ne se rencontrèrent pas, quoique leur longueur totale dépassa celle prévue. On fit revenir de Lambèse Nonius Datus. Celui-ci constata que les ouvriers avaient légèrement dévié par rapport aux directions prévues. Les deux équipes venant en sens inverse, avaient légèrement obliqué, toutes deux, vers leur droite et ne s'étaient pas rencontrées. Vraisemblablement parce qu'elles étaient composées en majorité de droitiers. Les trajets furent rectifiés et l'eau arriva à Bougie. Et la ville de Saldae devint une grande ville romaine salubre grâce à l'eau de la montagne laborieusement captée. Et aujourd'hui on peut admirer l'un des plus importants travaux d'adduction d'eau de l'Afrique romaine.

Les Vandales venus de l'Europe du Nord traversèrent la Gaule en pillant et, après avoir séjourné en Espagne une vingtaine d'années, passèrent le détroit de Gibraltar avec tout leur peuple. Celui-ci parcourut l'Afrique du Nord jusqu'à Bône qu'il atteignit et assièga en 430. Et de là, il s'établit dans l'actuelle Tunisie. Aucun texte n'atteste de son passage par Bougie. Les Vandales préféraient, semble-t-il, passer par les plaines.

Les Berbères. Au cours de la période confuse qui suivit ces invasions, la ville romaine de Saldae fut peuplée par les Bajaya d'où est venu le nom de Bougie (GOLVIN L., Le Maghreb central à l'époque des Zirides,, Paris, 1957, p. 132.). Ce peuple - ou cette ethnie - était probablement l'un des constituants de ce qui fut désigné sous le nom de Quinquegentiani qui occupait l'est de la Grande Kabylie.
Ces Berbères sédentaires étaient tolérants, comme le montre une lettre du Pape Grégoire VII, souvent connu sous le nom d'Hildebrand. Cette lettre nous est connue par les registres de la chancellerie pontificale où une série de missives datant de 1076, parlent des chrétiens du nord de l'Afrique (COURTOIS Christian, Revue historique CXCV, 1945, p. 97 à 122 et 193 à 226.). Deux lettres concernant Bougie sont adressées à un émir Hammadide: Anazir et Nasir. Leur ton est conciliant, le nom du Christ n'est pas prononcé, seulement celui de Dieu, et le Pape insiste sur le monothéisme commun avec l'Islam. L'une de ces lettres a pour but d'introniser un évêque du nom de Servand nommé à Bougie et venant de Bône. Il existait donc à Bougie au Xle siècle, des habitants restés chrétiens et parfaitement tolérés. Ce cas de chrétiens vivant encore en Algérie au xie siècle n'est pas isolé. On connaît d'autres exemples d'habitants restés fidèles à leur religion parmi les populations sédentaires. Ce n'est que dans les plaines que les nomades arabes originaires de l'Orient, les Beni Hilal et Beni Soleim venus au xie siècle, firent triompher une intolérance absolue. Un chroniqueur les a décrits " comme les sauterelles apportées par les vents du Sud ".

Les Espagnols à Bougie. Nouveau jalon précis sur l'histoire de la ville: la venue des Espagnols, qui suivit la reconquista, de toute la péninsule ibérique sur les Musulmans. Ils s'installèrent sur divers points de la côte de l'Afrique du Nord pour se mettre à l'abri des pirates qui occupaient plusieurs ports. Ils s'installèrent dès 1497 à Melilla, puis à Ceuta, ensuite sur les côtes de ce qui deviendra l'Algérie. D'abord à Mers el-Kébir, puis à Oran en 1509 et à Bougie le 6 janvier 1510. Leur garnison fut souvent en butte à l'hostilité de leurs voisins kabyles.

En 1541, Charles Quint avait lancé une flotte à l'assaut d'Alger devenue, sous l'influence des Turcs, un dangereux nid de pirates. Celle-ci subit un grave échec malgré la présence de 516 navires, petits ou grands. Cette défaite fut beaucoup plus due au mauvais temps qu'aux Turcs. La saison, la fin de l'automne, avait été mal choisie et beaucoup de navires coulèrent dans la baie d'Alger sans avoir pu débarquer les troupes qu'ils transportaient. Charles Quint lui-même, qui dirigeait la flotte, se rendit à Bougie dans les premiers jours de décembre, espérant y rallier quelques navires de sa flotte quittant Alger.
La garnison résidant à Bougie était trop peu nombreuse et, en 1555, les chefs espagnols quittèrent Bougie vers l'Espagne au nombre d'une vingtaine. Ils laissèrent sur place environ 500 hommes dont on ignore le sort après cette date.
Jacques Augarde (HASSOURG Louis Salvator (de), Bougie perle de l'Afrique du Nord, préface de Jacques Augarde), dernier maire français de Bougie, suppose que certains d'entre eux se mêlèrent à la population berbère et c'est ainsi que, au temps de l'état-civil français, on trouvait des noms tels que Major, Longo, Bonatero, n'ayant en rien des consonances arabes ou kabyles.

Les Français à Bougie. Ils y arrivèrent le 29 septembre 1833, venant de Toulon à bord de sept navires de guerre et de dix-huit bâtiments de commerce. Les troupes, 1800 hommes, étaient placées sous le commandement du général Trézel. Et la ville fut occupée après un mois de combats et d'escarmouches.
À partir de ce jour, le sort de la ville a de plus en plus tendance à se confondre avec celui de l'Algérie française. Elle sera reliée à l'ensemble du pays par de grandes routes et par un raccordement avec la voie ferrée d'Alger à Constantine. Un fait rappelant la vieille ville romaine : la création d'une conduite d'eau venant de la source de Toudja, déjà captée par les Romains. Et celle-ci utilisa le même tunnel creusé dix-sept siècles plus tôt. On put alors constater l'exactitude de la vieille inscription romaine en retrouvant l'ancien raccordement des deux parties du tunnel. Une raison de plus pour justifier le nom de Roumis que les Kabyles et les Arabes donnaient aux Français.

La ville de Bougie resta administrée par l'autorité militaire pendant vingt années jusqu'en 1853, où elle devint commune de plein exercice et passa sous l'autorité d'un maire nommé J.-D. Canton et, à partir de ce moment, elle acheva de s'unir à l'ensemble de l'Algérie française.

À signaler une innovation capitale de la période française. Après la découverte en 1956 des grands gisements de pétrole du Sahara, la construction d'un pipe-line qui conduit jusqu'à la mer, le précieux liquide. Il fut décidé dès 1957 quand l'énormité du gisement d'Hassi Messaoud fut établie qui, depuis lors, a produit plus d'un milliard de tonnes ! Cela fit de Bougie un très grand port pétrolier et par la valeur des produits exportés, le principal port de l'Algérie.

La ville de Bougie avait, au Moyen-Âge, donné son nom à la cire d'abeille venant de cette ville. Aux temps modernes, son nom est passé aux luminaires que l'on désigne ainsi. Bougie est donc entré comme nom commun dans le vocabulaire du français.


N.D.L.R de l'Algérianiste.: Guy de Maupassant, dans une de ses nouvelles, " Marroca ", a décrit Bougie où il séjourna lors de son voyage en Algérie en 1881 (l algérianiste n° 84).

Le livre de Robert Laffitte, C'était l'Algérie,




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