Algérie

Une vie ludique



Une vie ludique
Un c'ur vagabond au fond de ses hésitations...L'écrivain égyptien, Albert Cossery, dont on a célébré l'an dernier le centenaire de la naissance, a passé 63 ans de sa vie dans la même chambre du même hôtel parisien, le Louisiane. En faisant de ce lieu son repère heureux de vie et de création, il est devenu une figure emblématique du quartier de Saint-Germain. Dédiée aux parias de la société et aux marginaux, soit à des héros populaires qui n'ont rien à voir avec ceux d'Hollywood, son œuvre reste à découvrir et n'a pas pris une ride.C'est pour rester dans cette évocation que son éditrice, Joëlle Losfeld, a publié Le rêve de l'autre de Milena Hirsch. Un roman-hommage et, en même temps, un éloge à la vie nomade en milieu urbain. La narratrice, Joubra, hante les quartiers parisiens où elle transporte le lecteur à travers ses pérégrinations surtout nocturnes pour lui conter ses romances. Dans ce roman de la partance, le lecteur fait connaissance avec les lieux de présence qu'affectionnaient Albert Cossery.Quelques échanges avec l'auteur à la brasserie Lipp nous donne à voir l'écrivain-sphinx dans toute sa splendeur, jaloux de ses habitudes et maniant comme toujours l'humour à merveille. Joubra, en nomade urbaine, affectionne elle aussi les petits hôtels parisiens qui ont gardé leur charme d'antan. Mais au fil des pages, le lecteur découvre ce qui motive cette passion. En effet, ses parents ont été conçus dans un hôtel, le California, sans doute un hommage en filigrane à la chanson mythique du groupe américain, The Eagles 'Le nomadisme incessant de Joubra montre qu'elle est en quête de son histoire personnelle. Les fragments de la mémoire familiale se retrouvent disséminés dans des hôtels, des villes, des départs et des rencontres improbables. Le lecteur reconstitue petit à petit ce puzzle mémoriel, surtout quand on apprend que les grands parents de Joubra persécutés par les nazis devaient ruser pour échapper aux rafles. Willy et Bertoushka n'ont pas vécu longtemps ensemble : «Puis la guerre les avait séparés. Ils travaillaient tous deux comme journalistes et dans ce monde à feu et à sang ils s'étaient vite perdus de vue. Des lettres avaient alors été échangées entre eux, de la rue des Ecoles, du boulevard de l'Observatoire ou de la rue de l'Ambre vers Prague, Vienne, Budapest? et même Berlin».Dans cette recherche obsessionnelle des origines, l'histoire immédiate de Joubra s'insère dans le décor. Une histoire faite de rencontres amoureuses et de séparations. Une histoire où le c'ur de la narratrice ne sait plus où donner de l'affection. Son c'ur vagabond et volatile n'arrive pas à s'implanter dans une relation durable. Deux hommes se disputent son c'ur, mais sa sincérité ne peut la laisser fixer son choix sur l'un d'eux. Mais avant d'exposer la genèse de ses deux amours, Joubra s'intéresse à Ludia, qu'on appelle Chaï et qui travaille comme réceptionniste à l'hôtel California. L'accent de la jeune étudiante l'interpelle et elle en déduit qu'elle travaille dans ce lieu juste pour payer ses études de journalisme. Elle apprend qu'elle est Tchèque, originaire de la ville de Prague, une des villes de passage de ses grands-parents. Ville mythique car ayant vu grandir Kafka et Milan Kundera. Le récit de Milena Hirsch est traversé par un important intertexte, car il voyage dans une vaste urbanité qui épouse les contours de la littérature universelle.Le premier amoureux de Joubra s'appelle Mertel. Il a emprunté la route de la soie pour venir s'installer en France. Leur rencontre s'est faite dans un bus et, dès les premiers échanges, le courant est passé entre eux. C'est dans une chambre d'hôtel que se concrétise leur amour. Joubra perpétue une tradition familiale et rejoue le roman familial cher à Freud et à la critique Marthe Robert. Elle a aimé la manière dont elle fut abordée par Mertel qui lui a dit : «La place à côté de vous est-elle libre ' Et vous aussi j'espère».Le deuxième amoureux répond au doux prénom composé, Nuit sans lune, qui devient au fil de l'intrigue Yan. Un homme qu'elle a ramassé dans la rue, pris d'un malaise et à qui elle a proposé de l'accompagner dans sa chambre d'hôtel. Ce c'ur fasciné par les hommes est très généreux. Joubra s'occupe bien de Yan mais revient toujours à Albert Cossery avec qui elle communique par écrit car tout le monde sait que la cigarette a éteint la voix de l'écrivain.Mertel la cherche de son côté pour s'installer dans un appartement et couper court avec cette vie nomade. Joubra semble dans l'expectative et essaye de gagner du temps pour continuer à jouir de la vie nocturne parisienne. Milena Hirsch donne une âme baroque à cette poétique de l'hésitation et à ce nomadisme heureux qui la fait rebelle en toute demeure. Ce roman qui évoque l'écrivain-sphinx Albert Cossery restitue les lieux d'une création littéraire imposante par sa majesté et qui a marqué le siècle par son lyrisme.Milena Hirsch, «Le rêve de l'autre», Ed. Joëlle Losfeld, Paris, 2013.




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