Algérie

Une victoire sur le déni


Le colloque sur les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata des mois de mai, juin, juillet et août 1945 a bien eu lieu à l'Hôtel de Ville de Paris, mercredi, et ce fût un événement marquant. Paris (France). De notre bureau Initié par la mairie de la capitale française, l'événement est accueilli comme une « nouvelle perspective sur une page douloureuse de l'histoire des deux pays ». Les interventions et les débats ont résumé le sens du nouveau combat sur le champ de la morale politique et le respect de la mémoire des victimes. Il s'agit de qualifier les responsabilités de l'Etat français autrement que par une rhétorique diplomatique. Cette rencontre du 6 mai a eu le mérite de braver un lourd silence entretenu depuis les faits incriminés, il y a 64 ans. L'assistance a déploré cependant l'absence de la presse française, représentée en la circonstance par le seul journal L'Humanité qui a consacré deux pages aux événements de Sétif, Guelma et Kherrata. Cette désinvolture serait « symptomatique d'un état d'esprit en rapport avec ce bon principe de devoir de mémoire à géométrie variable ». On a tenté d'expliquer les origines de cette folie meurtrière de 1945 qui a duré quatre mois. Quatre long mois durant lesquels « la chasse au faciès » a été d'une impitoyable sauvagerie. L'armée, la gendarmerie, la police et des miliciens civils ont agi sous les ordres du « gouvernement le plus à gauche que jamais les Français n'ont eu », selon les mots de Jean-Louis Planche, historien qui a dégagé des archives des pièces à conviction concernant, notamment, l'utilisation de bombes à fragmentations destinées contre l'armée allemande .Un seul engin pouvait tuer 400 personnes sur un rayon de 200 mètres. Il rappelle aussi qu'au 1er septembre 1945, à Constantine, qui n'a pas été touchée par les massacres, une noria de camions bennes venus par la route de Guelma vidaient leurs cargaisons de cadavres dans des fosses creusées hâtivement à la périphérie de la ville. Une couche de chaux séparait deux piles de cadavres. L'historien fait découvrir à l'assistance médusée un croiseur amarré à 6 km face à la baie d'Alger qui avait reçu l'ordre de se tenir prêt à « ouvrir le feu sur La Casbah ». Durant cette journée d'étude du 6 mai, des citoyens des deux rives attendaient pour en savoir plus ou « prendre la parole » comme dans un geste de soulagement après de longues décennies d'un silence forcé. Un témoin octogénaire a déclaré : « Je me tais depuis 64 ans, j'étais à Sétif. J'ai vu, j'ai eu peur, j'ai refoulé ma terreur dans le plus profond de mon être sans jamais quitter l'angoisse qui me hante ». Il s'appelle Ahmed Kellal. Il est retraité de l'éducation nationale. Quand il a pris le micro, la gorge nouée, il a déroulé les secondes, les minutes et les heures de cette matinée du mardi noir du 8 mai 1945, mémorisée dans ses détails. « J'étais collégien avec Kateb Yacine. Je voyais les gens arriver en foule. Les premiers, des scouts. Ils portaient les fanions de leur mouvement. Et puis, subitement, une rafale et des salves de coups de feu sont parties des fenêtres et des balcons. Les manifestants sont tombés dans un traquenard. C'était voulu. J'avais 16 ans et c'était la Saint-Barthélemy. » Trois mois plus tard, j'ai revu Kateb. Il était tourmenté, en proie à une terrible désillusion. Rien ne sera plus jamais comme avant, disait-il. Il m'a raconté que sa maman a été torturée et qu'elle était devenue folle. Elle s'est mutilée par le feu. Ses pieds, sa tête et son dos portaient d'affreuses brûlures. Kateb en était bouleversé. Maître Nicole Dreyfus, avocate de la famille de Maurice Audin, résume cette phase de notre histoire par ces mots : « En Algérie, la victoire sur la barbarie a été l'usage de la barbarie. »
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