Algérie

Une version fascinante du geste d'Abraham



Avoir raison trop tôt ou trop tard, c'est ne pas avoirraison. Un tribunal algérien vient de condamner, selon un confrère, un Algérienà 20.000 DA d'amende pour maltraitance d'un chevreau. Ce dernier a étédécouvert ligoté dans la malle d'une voiture lors d'un banal contrôle routier,manquant d'air et trop près de l'asphyxie fatale. Placé dans le puzzle géantdes droits des animaux, celui du débat mondial sur l'environnement ousimplement vu à travers les critères de la norme et des comportements,l'Algérien est coupable. Il est coupable d'avoir mis un chevreau dans une malleet de l'avoir ainsi torturé, malmené, ligoté et d'avoir presque provoqué samort. Le Tribunal avait donc raison de prononcer un verdict plus lourd que lavente au détail du chevreau s'il avait été égorgé et dépecé. Reste cependant lereste. C'est-à-dire l'Algérie. Un pays large, moins grand qu'il ne le croit etqui est passé par une décennie où l'on retrouvait facilement cinq personnes àla fois ligotées dans une malle de voiture, banalisée ou pas, mortes, presqueou souvent. Cela se passe quelques années seulement après la chronologiematinale des massacres collectifs, des disparitions forcées, des attentats à labombe et des tirs amis et des événements de la Kabylie. Cela se passe quelquesmois seulement après l'affaire Khalifa, juste entre deux émeutes avec morts demanifestants, entre deux détournements de fond et la découverte d'un quota decadavres flottants près des ports. Cela se passe à l'intérieur de la grosseparenthèse ouverte avec l'assassinat de Boudiaf et celle mal fermée del'abstention du 17 mai dernier. Cela se passe chez nous, avec nous, sous nosyeux et dans le même pays qui nous écrase et que nous écrasons. Cela a-t-ildonc un sens ? Un peu pris séparément, aucun vu à travers l'histoire nationale.Condamner un Algérien pour la maltraitance d'un chevreau est un geste noble surune scène déserte. C'est une réponse logique dans un pays qui ne l'est plus.C'est un verdict qui fait rire si on l'éclaire avec sa propre nationalité. Danstous les cas, les conclusions sont énormes et innombrables. Elles vont dupronostic sur l'augmentation possible du prix de la viande sur demande deschevreaux, à celle du constat philosophique et historique sur les infiniespossibilités de la Réconciliation nationale, à celles populistes surl'inégalité des chances de l'Algérien face à son chevreau, à celles hindouistessur les meilleurs choix des réincarnations, à celles stratégiques du messagealgérien au State Department américain sur sa nouvelle conception des droits del'homme après dix ans de dérives. A la fin, dans unpays qui politise tout et ne peut pas ne pas le faire, la seule conclusionvalable est celle-ci : un chevreau a plus de chance que vous d'obtenir lajustice, le respect et la réparation. Le message subliminal étant celui-ci :vous vivrez mieux si vous le vivez en mouton. C'est ce qu'à dit en substance G.Orwell dans son sublime Animal farms. Racontée par le chevreau, l'histoirealgérienne sera sûrement meilleure que celle que se racontent les Algériens. Al'avenir, l'avenir va sûrement prouver que le chevreau va bien voter, ne vajamais manifester, n'ira jamais ailleurs qu'ici et ne mangera jamais plus queson herbe et ne cessera jamais d'applaudir, sinon de bêler et ne demanderajamais une autre nationalité. Faut-il en vouloir à la Justice algérienne ? Non.Son seul tort est d'avoir fonctionné normalement dans un pays qui ne l'est paset d'avoir conclu l'épopée de la justice pour tous par le verdict d'une justicepour un chevreau. C'est au moins ça de sauvé et cela indique clairement le sensdu salut. Une version fascinante du geste d'Abraham.


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