Une 'uvre plus qu'utile

La démarche empruntée par l’auteure, enseignante au département d’art dramatique de l’université d’Oran, repose d’abord sur les apports esthétiques et philosophiques des grands noms du quatrième art. Procédant à un plongeon historique qui fait naturellement la part belle aux rénovateurs de l’art de Sophocle, à l’image de l’immense Shakespeare et son œuvre majeure, Hamlet, la professeure de théâtre évoque quelques-unes des productions significatives, mais insiste surtout sur les contextes sociaux et historiques qui ont présidé à la naissance et au rayonnement de ces productions phares de l’activité théâtrale. Dans une optique critique, elle parle longuement des grands courants théâtraux qui ont traversé les siècles du classicisme, des lumières et du romantisme en Europe, avec des précisions sur les notions de romantisme, de classicisme nouveau et de réalisme dans l’acte de créer et de donner du sens à un art constant, un art inventif, jamais à court d’idées. Dans son œuvre de prospection, Thamer donne ici et là des repères et des datations, mais n’oublie pas d’éclairer le lecteur en se basant sur des expériences pratiques réalisées localement, c’est-à-dire en Algérie et à l’échelle du monde. Régulièrement, elle rappelle que l’activité théâtrale est avant toute chose une activité humaine, avec son vécu, ses traumatismes, ses légendes et ses rêves. Ainsi, nous apprenons, au fur et à mesure, que toute vérité au théâtre est relative parce que soumise au mouvement de la vie et à ses soubresauts, parce que dépendant intimement de l’évolution humaine, de ses besoins et de ses aspirations à les expliquer esthétiquement et historiquement. Acquise à l’idée que le théâtre reste avant toute chose une expression évolutive gorgée de quêtes existentielles et de mutations, Anoual s’intéresse de manière concrète aux croisements d’expériences et souligne, avec moult arguments et exemples, le poids des langues d’appropriation, des terroirs d’expression, des influences patrimoniales, des terminologies langagières, des cultures spécifiques de chaque peuple et des notions de modernité. Pour ce faire, la critique de théâtre qu’elle est ne quitte jamais le terrain de l’analyse et n’arrête pas de dérouler son questionnaire autour de pratiques théâtrales reconnues. Nous faisant toucher du doigt des lectures d’expériences précises, l’ouvrage, édité par «Dar El Qods El Arabi» en 2011, intègre aussi bien les problématiques des écoles de théâtre accomplies que les codes des courants théâtraux aux règles non encore écrites parce que considérés chez certains comme expérimentaux. Son auteur nous interpelle une nouvelle fois sur la nature des pistes d’approche et demande instamment à ce qu’on revisite, de manière moins corsetée et avec une nouvelle terminologie, plus en rapport avec notre temps, nos fiches de lecture, des fiches restées trop longtemps figées pour cause d’absence de mise à niveau, pour ne pas dire de paresse intellectuelle. Dans sa démonstration théorique, l’enseignante en théâtre, impliquée dans le suivi régulier de l’activité théâtrale nationale, n’est jamais dans l’affirmation absolue mais bel et bien dans le questionnement ininterrompu des discours irrigant les divers courants éthiques et esthétiques qui influencent l’art des planches à travers les âges. Tout au long des 400 pages du livre, elle ne cesse d’interroger les ferments sociaux et culturels de l’action théâtrale, et, surtout, de faire parler des cas d’école, des espaces de réflexion probante, des analyses pertinentes, des rites communautaires spécifiques et des croyances partagées autour desquels le théâtre s’est, pour partie, édifié. A travers son regard critique, Thamer contribue de manière fort originale à contextualiser les œuvres qui ont fait date dans l’histoire du théâtre tel qu’on le définit aujourd’hui, à s’adosser sur les comparaisons d’expériences probantes et, ceci, afin de permettre aussi bien au lecteur qu’aux chercheurs de mieux saisir la nature d’un genre artistique à chaque fois le même et à chaque fois renouvelé.