Algérie

Une symbolique inaltérable



Incendies, feux de forêt, pyromanie, flammes... le Feu a traversé la littérature sous différentes formes et symboliques. Il est tantôt acteur à part entière, tantôt élément esthétique ou métaphorique.Depuis la caverne de Platon où une flamme projette sur le mur les ombres d'hommes enfermés, jusqu'à Cocteau qui disait vouloir sauver le feu si sa maison brûlait, en passant par Prométhée volant le feu sacré aux dieux de l'Olympe pour l'offrir aux humains, la littérature a de tout temps maintenu un lien intime avec cet élément fascinant, pourvoyeur intarissable d'allégories et de richesses stylistiques.
Sa présence dans les textes littéraires est tellement récurrente qu'elle a très vite attiré l'attention des chercheurs, critiques et spécialistes qui ont questionné les multiples formes et les différentes symboliques qu'il revêt chez les auteurs.
Le célèbre philosophe Gaston Bachelard (1884-1962) est sans doute celui qui a le plus produit sur le sujet. Sa double expertise de scientifique et de philosophe spécialiste en littérature, lui a permis d'être la référence majeure pour les chercheurs modernes quant à la symbolique du feu dans les ?uvres littéraires. La psychanalyse du feu (1938) et Fragments d'une poétique du feu (Posthume, 1988) constituent deux véritables encyclopédies et, néanmoins, ?uvres monumentales pour ce qui est d'analyser, décrypter et éclairer la présence massive du feu dans la création littéraire. Le philosophe a même subdivisé les poètes européens en éléments naturels, dont Héraclite, Hölderlin, Goethe, ainsi que les Romantiques, de par « la consumation totale du moi dans la nature qu'il inspire ».
Dans son essai philosophique La psychanalyse du feu, Bachelard analyse le feu en tant qu'élément littéraire à travers ses différentes symboliques chez les figures de la mythologie mais aussi les auteurs modernes. Dans Fragments d'une poétique du feu, il questionne trois figures devenues indissociables de cet élément : le Phénix, Prométhée et Empédocle.
Dans la littérature algérienne, le feu n'est pas en reste. Il est symboliquement lié au subconscient collectif produit par l'Histoire et la culture du pays, à commencer par sa portée religieuse (l'enfer) et sa force allégorique traduisant tantôt l'incandescence, la passion, la purification, tantôt la destruction et la ruine. L'une des ?uvres majeures de Mohamed Dib est L'incendie qui se déroule dans les montagnes apparemment paisibles de la région de Tlemcen où l'incendie fait des ravages, dans les gourbis agricoles et dans le c?ur des hommes. En vacances chez sa famille, le petit Omar, effaré, assiste à cet embrasement. Les fellahs s'insurgent, se révoltent et décrètent la grève pour protester contre leur condition misérable. Pour les colons, ils deviennent des « incendiaires » tout désignés. Les arrestations commencent. Dans La colline oubliée de Mouloud Mammeri, l'un des passages les plus marquants évoque la métaphore insurrectionnelle du feu : « Quand trop de sécheresse brûle les c?urs, quand la faim tord trop d'entrailles, quand on rentre trop de larmes, quand on bâillonne trop de rêves, c'est comme quand on ajoute bois sur bois sur le bûcher. À la fin, il suffit du bout de bois d'un esclave, pour faire, dans le ciel de Dieu et dans le c?ur des hommes le plus énorme des incendies.»
Pour sa part, Kateb Yacine était personnellement marqué par le feu en raison de la maladie mentale de sa mère. Il racontait dans une interview : « Je suis né d'une mère folle très géniale. Elle était généreuse, simple, et des perles coulaient de ses lèvres. Je les ai recueillies sans savoir leur valeur. Après le massacre du 8 mai 1945, je l'ai vue devenir folle. Elle, la source de tout. Elle se jetait dans le feu, partout où il y avait du feu. Ses jambes, ses bras, sa tête, n'étaient que brûlures.» La littérature des années 1990, née et grandie, dans la douleur et la peur liées au terrorisme islamiste, n'a pas non plus désempli d'un usage allégorique massif du feu.
Poétique, polyvalent, fondamentalement romanesque, source d'inspiration, de fascination et d'images « incandescentes », le feu traverse la littérature comme une présence intemporelle et indémodable. Il est même, au-delà des métaphores, et de par ses multiples facettes, le symbole psychanalytique du rapport de l'écrivain à sa création mais aussi au monde qui l'entoure.
S. H.


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