Algérie

"UNE SOCIETE DOIT TOUJOURS REMETTRE EN QUESTION CERTAINS ASPECTS DE SA VIE ET SON IDENTITE"



La responsabilité de l'élite intellectuelle, soutient le politologue Mohamed Hennad, est éminemment importante dans l'accession d'une société à la modernité. L'Histoire, l'identité ou encore la religion ne doivent en aucun cas, ajoute-t-il, être hissées au rang du sacré. "Pour un Etat moderne, ce ne sont là, à la limite, que des affinités personnelles relevant de la sphère privée plutôt que de la sphère publique, laquelle est déterminée par la notion de citoyenneté."Liberté : Pourquoi, selon-vous, l'évocation de certains aspects de l'Histoire sont toujours sujets à polémique '
Mohamed Hennad : Il semble que, d'une manière générale, notre société se sent tellement fragile qu'elle refuse tout questionnement de l'ordre social établi au nom d'une prétendue identité immuable laquelle est, en fait et aussi paradoxalement que cela puisse paraître, elle-même sujette à caution. Tout se passe comme si, inconsciemment, notre société avait peur d'ouvrir la boîte de Pandore ! Evidemment, cela constitue une aubaine pour un régime politique despotique qui essaie d'en tirer le maximum en faisant valoir un certain "récit national" relevant de l'ordre des mythes plutôt que de la vérité historique, même relative. Le but étant de tenir la population "en laisse" en lui faisant toujours "prendre conscience" des menaces qui la guettent du fait de la jonction d'ennemis d'ici et d'ailleurs ! Car les remises en cause identitaires et historiques ont aussi pour but de changer les rapports de force sociopolitiques existants que le groupe dominant tient à préserver.
À l'instar de l'Histoire, la religion ou encore l'identité soulèvent également des polémiques...
En effet, tout ce qui relève de l'Histoire, de l'identité (plutôt l'ethnicité) et surtout de la religion est tabou chez nous. Or une société ne peut pas continuer à vivre sur son seul passé. Le propre de la condition humaine est le changement.
Comme toute autre société, la société algérienne aspire au progrès et réalise qu'elle est très en retard sur ce plan. De même, notre élite intellectuelle est consciente du fait que l'on ne peut pas aller de l'avant en continuant à vivre avec les mêmes représentations, mais elle demeure frileuse, voire trop craintive pour imposer la liberté du débat par rapport à ce que l'on nomme "constantes nationales" ; à savoir, l'islam, l'arabité, l'amazighité auxquelles s'ajoute celle "de Novembre" que le groupe au pouvoir exploite à fond pour perdurer. Mais, en fait, que veut dire être "musulman", "Arabe", "Amazigh" ' Pour un Etat moderne, ce ne sont là, à la limite, que des affinités personnelles relevant de la sphère privée plutôt que de la sphère publique, laquelle est déterminée par la notion de citoyenneté. L'Etat de droit ne se fonde pas sur la race, l'ethnie, la religion ou un récit historique quelconque même si tout ceci pourrait être utile au vivre ensemble.
S'agit-il, aussi d'un problème lié au choix de l'orientation idéologique, comme l'affirment certains, adoptée dès l'indépendance '
À mon sens, il y a deux faits qui ont concouru à la situation actuelle. D'abord, le traditionalisme, voire l'archaïsme de notre société qui l'a rendue colonisable. Après la colonisation, notre société a été exclue de la civilisation du fait de la logique coloniale elle-même, mis à part un nombre restreint d'autochtones qui ont pu réussir. Ensuite, la manière avec laquelle nous avons obtenu notre indépendance, notamment du fait de la violence, laquelle a continué après cette indépendance. Cette violence a fait qu'il était impossible pour l'élément européen de rester dans le pays dans le contexte d'une nouvelle souveraineté nationale, algérienne cette fois-ci. Deux raisons à cela : l'OAS, d'une part, et, dautre part, le coup d'Etat militaire opéré contre le GPRA par l'armée des frontières si bien que les nouveaux maîtres aimaient bien régenter le pays à huis clos, car la présence d'Européens n'aurait pas permis cela ! D'ailleurs, beaucoup de leaders pendant la guerre faisaient état de leurs inquiétudes qant à l'avenir du pays une fois l'indépendance acquise. Ils craignaient de voir le pays gouverné par des gens rustres. Ils n'avaient pas tort.
Comment transcender ces polémiques et aspirer à des débats libres et sereins '
Contrairement aux débats, les polémiques n'ont pas pour fonction d'être constructives dans la mesure où le but du polémiste n'est pas de convaincre mais de vaincre.
Il faudrait, donc, faire la part des choses entre les deux démarches pour savoir à quoi s'en tenir. Cela étant, il est évident que l'on ne pourra jamais avancer au niveau des débats sans la présence d'une élite intellectuelle qui prendrait en charge le problème de la liberté d'expression et de conscience quitte à payer un certain prix. Force est de constater que notre élite préfère souvent se taire, sinon caresser dans le sens du poil la société au lieu de la secouer pour son bien en prenant, en exemple, les sociétés développées, non seulement celles qui le sont depuis longtemps, mais surtout celles qui le sont devenues depuis quelques décennies et celles qui sont en train de le devenir.
Ainsi, on comprendra que, pour pouvoir aller de l'avant, une société doit toujours remettre en question certains aspects de sa vie et son identité, laquelle doit être toujours entendue comme plurielle et évolutive pour la simple raison que les humains ne sauraient être considérés comme des moutons de Panurge. Il faudrait aussi faire la part des choses entre donner son point de vue et décider. Quand quelqu'un donne son point de vue concernant un problème donné, cela ne veut pas dire qu'il décide de quoi que ce soit. Un point de vue reste toujours discutable.
En fin de compte, tout débouche sur l'Etat. C'est lui, nanti d'un pouvoir légitime, qui est censé prendre en charge cette question de la liberté du débat. Pour cela, le citoyen devrait être initié à cette vertu dès sa prime enfance, à travers notamment l'éducation et l'enseignement et les différentes formes desocialisation.

Propos recueillis par : KARIM BENAMAR


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