Algérie

«Une si haute stature, engagée et patriote»



«La vérité éclatante ne peut être perçue car elle crève les yeux.»Paul Valéry
Lorsque je demandai, il y a quelques années, à ma fille cadette, si elle avait une idée sur Temam Abdelmalek, dont le collège où elle était scolarisée porte le nom, sa réponse a été aussi brève qu'expéditive : «C'est un moudjahid», m'avait-elle sommairement répondu. J'ai compris qu'il y avait encore beaucoup de travail à faire pour transmettre le relais mémoriel intergénérationnel afin q
ue l'histoire contemporaine de notre pays ne soit guère occultée ou, pire, sélective. Et c'est précisément l'école qui doit en être le fer de lance.
Je me suis donc substitué à l'institution censée le faire. J'ai pris sur moi de donner à ma fille des informations sur le parcours de cet homme. Le hasard a voulu que moi-même j'ai eu à compléter mes connaissances par le biais de Sid Ali, fils du défunt, qui a bien voulu me fournir des documents qui ont contribué à davantage m'imprégner des postures courageuses, engagées et justes de M. Temam, qui m'ont forcément amené à mieux l'apprécier.
Enfance à la Casbah
Mais qui est donc Abdelmalek Temam '
Il est né le 25 février 1920 à La Casbah d'Alger, au 8 impasse Hannibal. Il avait un frère, Mohammed, artiste-miniaturiste et conservateur des musées des Antiquités, et une s?ur, Saliha, couturière-brodeuse. Il avait aussi quatre cousins germains, qui étaient considérés comme des frères et s?urs, dont M'hamed, Cherif, Mourad, tous trois cadres aux services des impôts et contributions, et Djamila, femme au foyer. Son père, après avoir été propriétaire de deux commerces à La Casbah, s'était ensuite installé à Fès, au Maroc, et avait exercé le métier d'avoué de justice. Abdelmalek avait cinq ans au départ de son père qu'il ne reverra plus.
Comme tous les enfants de La Casbah, il intégra l'école M'Sid Fateh, mais s'était vu refusé le certificat d'études, malgré le fait qu'il fût bon élève. Cela faisait partie de l'injustice de la colonisation. Il poursuivit les cours du soir jusqu'à sa réussite à l'examen des études secondaires.
Il côtoya dans son entourage Rouiched, El Anka, Mustapha Ketrandji, Habib Reda et Abdelkader Benchoubane, en autres.
Doué en sport, il intégrera en 1938 la section gymnastique du club AGVGA puis, vers 1940, il rejoindra la section de basket-ball du Mouloudia d'Alger.
Il y restera environ cinq années. Cette équipe remportera, en 1942, le championnat d'Alger, avec dans son effectif, aux côtés de Temam, des joueurs tels que Rebaïne, Rafif, Dehimen et Bachtarzi.
Durant la même période, il intégrera la vie politique en tant que militant du PPA, où il fait partie du comité de rédaction du journal du parti La nation algérienne.
Il participa, en décembre 1942, après le débarquement des Alliés, à la création du Carna, (Comité d'action révolutionnaire nord-africain). Il a fait partie de l'équipe du journal L'Algérie libre, avec Benkhedda et Aïssat Idir.
Membre du comité central du MTLD en 1947. Au milieu de l'année 1955, il rejoint le FLN, à ce titre il contribuera très activement à la création du journal El Moudjahid, dont il a été le fondateur et le directeur pendant la période où il était imprimé à Alger. Il avait rédigé plusieurs articles, dont l'éditorial du tout premier numéro. Ici un petit extrait : «Avec l'avancée de la Révolution, le besoin d'un porte-parole devient d'une absolue nécessité.
On ne pouvait pas laisser la Guerre de Libération sans porte-parole, pas plus que le FLN ne pouvait rester muet.»
Abdelmalek parle de ses débuts à El Moudjahid.
Comme vous le devinez aisément, les conditions matérielles, à cause de la répression, n'étaient pas brillantes et on se débrouillait avec des moyens de fortune. On imprimait avec une Ronéo à main, clandestinement bien entendu, chez Mustapha Benouniche, dans sa villa à Kouba, où sa famille s'affairait à nous aider, et dans l'église Saint-Croix, et ce, grâce à l'abbé Declerq, sympathisant du FLN, aumônier de la prison de Barberousse.
Un intellectuel accompli
Je tiens ici à rendre un hommage particulier à Abdelkader Ouamara, spécialiste des éditions clandestines, qui était un exemple d'abnégation militante ; la distribution, quant à elle, se faisait par les voies de l'organisation du FLN. Il faut citer les noms de deux grands militants : Hachemi Hamoud, qui était à un moment donné coordinateur de la Zone d'Alger, mort sous la torture en 1957 avec Larbi Ben M'hidi, et Drareni Mohamed, mort au maquis en 1959.
Abdelmalek était membre suppléant au Congrès de la Soummam, dont il a été le rédacteur du volet économique, il était aussi membre suppléant du CNRA. Après la grève des Huit-Jours, lorsque tous les membres du CCE avaient quitté l'Algérie pour Le Caire puis Tunis, Temam devint, de février 1957 jusqu'en juin 1957, responsable de la Zone autonome d'Alger et désigné comme seul représentant du CCE.
Après son arrestation, il fut condamné à dix ans d'emprisonnement.
A l'indépendance, il a été nommé directeur général du plan et des études économiques. Cette mission terminée en 1965, il s'attela à la création de la Banque nationale d'Algérie, dont il fut le président-directeur général de 1966 à 1976. Au mois de février 1976, il fut nommé ministre des Finances.
Il décéda le 11 février 1978, après huit mois d'hospitalisation. Quand il est parti, le siècle dernier commençait à basculer, un peu plus vite encore. Ce siècle qu'il aura traversé dans les luttes. Celle de la Libération nationale, et l'autre, aussi prenante, qui a trait à la restauration d'un pays exsangue, où tout était à construire. Abdelmalek est mort à la tâche, relativement jeune, à 58 ans.
On retiendra de lui et de ce destin enviable l'engagement patriotique sans faille d'un homme dont le privilège a été d'arracher au temps et à la mort des bribes d'éternité, même si l'écriture de l'histoire reste parfois ingrate.
C'est dire que cette trajectoire n'a pas eu le rayonnement qui sied à l'?uvre accomplie. Il est vrai que si Abdelmalek n'était pas homme à s'exposer aux feux de la rampe et aux appels des médias, même s'il en a été un précurseur pendant la guerre comme fondateur d'El Moudjahid.
«C'est au prix de l'effacement que je puis le mieux faire aboutir les choses, alors je choisis l'ombre», avait-il confié à un de ses proches.
Ce tour d'horizon ne serait pas complet si on n'évoquait pas le kidnapping, en novembre 1972, de son fils, alors âgé de 15 ans, par un ravisseur qui demandait une rançon. Cette affaire avait fait grand bruit à l'époque. Le jeune garçon avait été séquestré dans une villa en bord de mer à Surcouf, pendant 24 jours. Il avoue avoir été bien traité, mais le ravisseur avait été arrêté et condamné à la peine capitale. La justice de Boumediène voulait en faire un exemple.
Dans le portrait émouvant, dressé par le grand économiste Georges Corm, on décèle toute la stature de Temam : «Lorsqu'on sait le rôle d'imaginaire héroïque, que la lutte anticoloniale et la Révolution algérienne ont joué dans la conscience collective arabe de ma génération, ma rencontre avec la stature imposante de Abdelmalek a constitué un tournant majeur dans mon existence.
Il fut l'une des personnalités les plus attachantes que j'aie rencontrées de ma vie et dont je garde jusqu' à aujourd'hui un souvenir toujours vivace et ému. Par lui, et à travers lui, je me suis senti algérien, ai vécu tous les problèmes de l'Algérie et ai fait d'elle ma seconde patrie.
Le contact entre lui et moi s'est vite établi, c'est pourquoi je me jetais avec toute mon ardeur dans le soutien que je pouvais lui apporter dans ses nouvelles fonctions de ministre. J'eus alors l'occasion de travailler avec de nombreux cadres du ministère des Finances, à leur tête Mahfoud Aoufi, grand serviteur de l'Etat, et Yacine Damerdji.»
Hachem Malek n'a croisé Abdelmalek que pendant une courte période, car ils n'étaient pas dans les mêmes lieux de détention : «Personne parmi les autorités ne se doutait que Abdelmalek était un important responsable politique. Il restait extrêmement discret sur ses réelles activités.»
Pour Laïd Lachgar : «Peu de personnes savaient que Temam était membre suppléant du CNRA, car il se montrait toujours modeste, simple et ne voulait aucune publicité. Je l'ai connu après la grève des Huit-Jours. Alger était pratiquement décapitée. Tous les militants étaient arrêtés, les membres du CCE avaient rejoint la Tunisie. J'étais agent de liaison à Constantine et on m'avait indiqué le responsable du CCE d'Alger Temam, alias Si Rezki, pour un rendez-vous près du stade Cerdan.
Nous avions pour mission d'organiser l'acheminement de tous les documents et correspondances entre les Wilayas et le CCE, nous devions également organiser l'acheminement de l'habillement, de l'armement et du financement.
Temam était la courroie de transmission entre Alger et toutes les autres Wilayas. Après qu'il fut arrêté en juin 1957, nous nous sommes rencontrés de nouveau en prison à Serkadji en 1958, où il avait été condamné à dix ans d'emprisonnement. Si les autorités françaises avaient su à cette époque quelles étaient ses réelles responsabilités, il aurait certainement été condamné à mort.»
Intègre et compétent
Ahmed Houhat a de lui le souvenir d'un dirigeant intelligent, qui savait laisser ses proches collaborateurs travailler en toute liberté et bien mettre en pratique leurs capacités. Il n'avait pas du tout un style de gestion bureaucratique ou inutilement autoritaire. Ce que je sais aussi, c'est qu'il était très proche de Benkhedda dès le déclenchement de la Révolution, il était son collaborateur direct.
Mohamed Saïd Maâzouzi, qu'il l'a connu en 1960 à la prison d'El Harrach, témoigne qu'il l'a beaucoup marqué : «C'était quelqu'un qui restait toujours égal à lui-même, ne se mettait jamais en colère, savait écouter les autres. C'était un grand monsieur et je le dis avec la conviction la plus profonde.»
Pour Sid Ali Abdelhamid, Si Abdelmalek était un ami proche et de longue date : «Je l'ai connu en 1941, à l'époque où il était basketteur au Mouloudia et moi à l'USMA ; en novembre 1942, Temam avait fait partie du Carna en même temps que Mohamed Taleb, Hocine Asla, Ali Hanid, Mahmoud Abdoun et moi-même.
En 1945, il avait effectué un voyage au Maroc, où le parti l'Istiqlal lui avait remis une somme de 500 000 francs, ce qui représentait une grosse somme à l'époque, qu'il avait ramenée en Algérie et mis dans les caisses du PPA et ça peu de gens le savent.»
Corn raconte que missionné par Temam à Londres pour négocier un prêt à l'Etat algérien par la banque saoudienne (SAMA), quelle ne fut sa surprise de constater que la rencontre était programmée dans les bureaux d'une banque américaine,
La Morgan Trust, et qu'en face il n'y avait que des fonctionnaires de cette banque.Il s'en est offusqué, de même que Mahfoud Zarouta, secrétaire général de la BNA, qui l'accompagnait. Ils refusèrent de négocier et en référèrent à Temam qui était d'accord.
Mais une demi-heure après, le vice-gouverneur saoudien fit son apparition et suivit les négociations. Mais les Américains exigèrent, via la SAMA, que la Banque centrale d'Algérie mette en gage ses réserves d'or contre l'obtention d'un prêt. Inacceptable, et Temam, joint au téléphone, nous dit d'interrompre les négociations et de rentrer à Alger.
Nos interlocuteurs demandent de patienter le temps de contacter les Saoudiens. Ceux-ci, interloqués d'une attitude aussi ferme à laquelle eux, les superpuissants, n'étaient guère habitués.
Ce fut une fierté pour nous, pour l'Algérie qui avait une conception forte de sa souveraineté et de sa dignité. La conclusion du prêt a eu lieu sans mise en hypothèque du stock d'or algérien.
A la fin de sa vie, Temam me fit part de toutes les difficultés rencontrées dans l'exercice de ses fonctions, de son pessimisme de réformer le fonctionnement du pouvoir en Algérie compte tenu des réseaux d'intérêts. Je le quittais souvent avec un serrement au c?ur douloureux.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)