A tout prendre, le journalisme le plus noble est celui du terrain. Dans le milieu de la presse, on le sait pertinemment quand on ne le devine pas obscurément. Loin des salles de rédaction studieuses où l’on ne navigue que sur le dos d’une souris, c’est sur le terrain que se pratique le dernier vrai journalisme. C’est ce fameux terrain qui vous fait découvrir, sentir, palper, aimer cette terre algérienne si âpre, ce pays d’écorchés vifs, ce terreau de paysans aux mains calleuses, de bergers aux visages burinés par le soleil, de travailleurs broyés, ce pays où la jeunesse se consume comme un joint dans des rêves d’exil impossibles. Ce pays maudit où les artistes sont le chant de la pierre et le silence des oiseaux. Ce pays qui n’accorde aucun répit à ceux qui l’aiment.
C’est le terrain qui vous fait découvrir la sève même de ce pays de contrastes violents. Il vous interpelle pour vous faire prendre conscience de la richesse inouïe d’un patrimoine matériel et immatériel qui part en lambeaux. Qu’il est urgent de sauver, de préserver.
C’est pour cela que le journaliste se doit d’être cet observateur attentif des évolutions et des mutations de la société. Il doit constamment renouveler sa curiosité, vaincre sa peur et ses réticences, veiller à ce que la routine, l’indifférence ou l’accumulation du malheur n’anesthésient point sa sensibilité. On ne peut rien faire sans passion. C’est le premier moteur qui vous tire du lit chaque matin. Il faut essayer de rester autant que possible cette sentinelle citoyenne qui ne doit jamais relâcher sa vigilance face à l’absurde ou à l’arbitraire.
Au pays des routes barricadées et des portes fermées, le journaliste est cette minuscule sortie de secours vers laquelle le citoyen se tourne en premier ou en désespoir de cause. Quand il n’est pas le premier cri de détresse, son article est souvent cette bouée de sauvetage ou cette bouteille à la mer, porteuse du dernier espoir. Plus prosaïquement, le journal, autant que le journaliste, fonctionne comme la courroie de transmission entre des citoyens qui cherchent le chemin le plus court pour attirer, même de manière fugace, l’attention volage de responsables réfugiés dans d’imprenables tour d’ivoire.
Quand il s’habille des flamboyants oripeaux du reportage, le journalisme est souvent la dernière forme de l’aventure humaine. Il n’est nul besoin de franchir les frontières du pays pour partir à la rencontre ou à la découverte de l’autre dans son milieu. Il suffit quelquefois de sortir des grands axes routiers, de franchir une rivière ou un col de montagne pour atterrir dans un monde inconnu, injustement oublié ou pétrifié. A chaque mission, il faut remettre le compteur de ses connaissances à zéro pour tenter de poser des yeux neufs sur les êtres et les choses. Faire le plein d’informations, mais également s’imbiber d’impressions et d’émotions comme une éponge avant de suer à les rendre mot à mot pour les partager avec le lecteur.
Au chapitre des rares consolations d’un métier qui tend à être plutôt un sacerdoce, l’une des plus grandes satisfactions du journaliste est de faire découvrir ou redécouvrir au lecteur ce lieu, cette pratique, cette tradition, ce nouveau phénomène ou bien encore cette période historique si proche de lui mais dont il ne soupçonnait même plus l’existence. Faire connaître un personnage ou un site historique méconnu, faire le portrait du dernier paludier, voir la mort dans le regard d’un tailleur de pierre des Aurès, partager la liesse où la tristesse d’un peuple se faire l’écho sont des moments marquant dans la vie d’un journaliste.
Dans un pays où la justice est souvent absente et l’administration omniprésente, les citoyens doivent lutter y compris pour les droits les plus élémentaires. Celui d’un toit, d’une route ou d’une conduite d’eau. Mais les Algériens ont plus que jamais faim de pain et de dignité. Ils ont soif d’eau et de liberté. C’est ce combat quotidien que le journaliste d’El Watan se donne pour mission d’accompagner. Celui des travailleurs qui luttent pour arracher leurs droits. Celui de syndicalistes qui résistent autant à la matraque qu’au chant des sirènes. Des paysans qui se battent contre des lois scélérates pour survivre sur des terres ingrates ou spoliées.
Des artisans qui s’échinent à maintenir en vie un savoir-faire hérité des premiers ancêtres, mais dont personne ne veut entendre parler. Des artistes et des intellectuels bâillonnés pour avoir dit des vérités pas toujours bonnes à dire. Des vrais industriels qui tentent de bâtir quelque chose d’authentique et que l’import-import n’a pas encore englouti. Des hommes et des femmes qui se battent pour tenter de préserver une tradition ou simplement pour imposer de nouvelles normes de civisme ou de citoyenneté. Le pays entier est un chantier à l’arrêt. Tout est à reconstruire.
Quelque part, il faut avoir l’âme candide d’un Don Quichotte armé d’une plume bien légère pour partir en guerre contre les puissants moulins à vent de l’injustice et de l’arbitraire. Des mots contre les maux, le combat semble perdu d’avance. Pourtant, ça marche encore. Quelquefois.
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Posté Le : 07/10/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Djamel Alilat
Source : www.elwatan.com