Algérie - Revue de Presse

Une route, c'est dangereux



Ils viennent réaliser une autoroute qui coupe le pays de long en large en l'absence d'un tracé cardinal sérieux. Nous les payons avec du gaz et du pétrole découverts par d'autres, qui nous poussent à un fastidieux comptage à longueur de journée, surtout depuis l'échappée des cours. Ce qui n'est pas sérieux. Et au lieu de s'en tenir à l'exécution d'un bon de commande appelé « marché », ils marquent une pause dans les travaux, s'arrêtent pour casser la croûte et ils fouillent les profondeurs au lieu de continuer leur chemin. Ils trouvent des nécropoles là où l'on devrait s'attendre au millionième charnier de la « guerre de sept ans ».

Près de Skikda, à hauteur du lieudit les « Eucalyptus », un bulldozer a rencontré notre histoire, par hasard. Comme toujours. Une nécropole qui donne du fil à retordre à un ministère habitué aux surfaces policées des scènes de théâtre et aux claquements de doigts pour mieux consommer notre arabité pervertie et notre amazighité repoussée vers la préhistoire. Mais là, il s'agirait d'une nécropole romaine au datage difficile par les moyens dont disposent le peu d'archéologues qui nous est resté. La romanité des lieux proviendrait du « procédé d'inhumation et par la position des squelettes dont les têtes seraient dirigées vers l'Ouest ». Que Dieu préserve cet Ouest vers lequel regardaient déjà les Romains, même morts.

C'est que l'Ouest à l'époque avait un roi du nom de Syphax qui le représentait tellement bien. C'était un moudjahid auquel aucune place publique, aucune rue, aucune caserne n'a porté le nom. La place Syphax. Cela sonne tellement bien qu'on a envie d'attribuer son nom à tout le pays. « Vous êtes d'où » ? « Je suis Syphaxien ».

Mais ce n'est là que de l'Histoire ancienne qui dérange ceux pour qui notre Histoire n'a pu commencer qu'avec eux et qui ne nous ont laissé que quelques archéologues pour faire cracher au temps les vérités sur le nôtre. Sur nos douleurs et nos héros, écrasés par quelques gazoducs pour le grand bonheur de la négation du nom, à l'ombre des bulldozers et des autoroutes que la descendance de Syphax ne sait plus construire toute seule.

Résultat, les travaux de l'autoroute Est sont suspendus par une Histoire qui nous rattrape pour l'avoir laissée se noyer dans la confusion, pour lui avoir tourné le dos sans faire le pas qu'il fallait, vers l'avenir qu'il fallait. L'avenir qu'il fallait, c'est précisément cet arbitrage serein entre des généalogies différentes qui ont trouvé en ce pays un point de rencontre, une communion, même dans la guerre. Il fallait tout simplement le découvrir avant que les constructeurs de nos autoroutes ne nous disent que le chemin emprunté n'était pas le bon à l'aide d'un bulldozer. Qu'il faut découvrir plus sérieusement toutes nos nécropoles car, avec les morts, il y a au moins un espoir de mieux nous connaître.




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