Algérie

Une road-documentaire qui détonne d'émotion



Le film permet aux spectateurs de voyager, allant d'Alger à Saïda, en passant par Béjaïa ou Biskra et jusqu'aux tréfonds de l'Algérie rurale.La semaine dernière, à Oran, dans la foulée des films projetés dans le cadre des rencontres internationales du cinéma, au siège de l'association Graine de paix (quartier de St-Eugène), le public oranais a découvert un film pour le moins détonnant d'originalité.
Il s'agit de Fais soin de toi, un film documentaire de Mohamed Lakhdar Tati, tourné en mode road movie, un peu partout dans l'Algérie de 2014. Le pitch est bien simple : le réalisateur prend sa caméra et va à la rencontre des Algériens, qu'ils soient du Sud ou du Nord, citadins ou ruraux, en leur posant à toutes et à tous la même question :
«Que pensent-ils du sentiment de tomber amoureux ' Quelle est leur définition de l'amour '» Le film se veut original, car c'est sans doute la première fois qu'un cinéaste demande, de but en blanc, aux Algériens de s'exprimer sur ce thème, sans tabou ni complexe.
Tour à tour, d'une drôlerie désopilante, faisant s'esclaffer toute l'assistance, et tour à tour prenant un ton grave et empli d'émotion, le film ne laisse certainement pas indifférent.
En tentant de répondre à ces questions, les gens filmés par Mohamed Lakhdar Tati se sont ainsi peu à peu dévoilés, et à mesure qu'ils décortiquaient le thème du film, à grands renforts de témoignages personnels, le spectateur averti pouvait apercevoir, çà et là, quelques contradictions dans leurs propos, mais des contradictions qui ne gênaient pas, tant ils semblaient couler de source, sincères.
D'ailleurs, le réalisateur s'est contenté de les laisser parler, sans qu'à aucun moment, il émît son opinion, ou s'érigeât en juge, pointant du doigt tel ou tel propos contradictoire. Le film permet aux spectateurs de voyager, allant d'Alger à Saïda, en passant par Béjaïa ou Biskra et jusqu'au tréfonds de l'Algérie rurale.
On peut ainsi suivre les péripéties d'un habitant de Béjaïa, qui fait le trajet, en compagnie du cinéaste, jusqu'à Saïda, là où sa bien-aimée habite.
Dans un bus de voyageurs, un vieux retraité de Biskra, poète à ses heures, raconte son amour contrarié pour une dulcinée lors de sa prime jeunesse, quand lui-même exerçait le métier de chauffeur. Son amour était tellement incommensurable que lorsqu'il conduisait le gros car, pour peu qu'il vît, de par la vitre, une femme ressemblant peu ou prou à sa bien-aimée, il freinait aussi sec, faisant tomber tous les voyageurs de leurs sièges.
Le témoignage de cet homme s'arrêtera brusquement un moment, lorsqu'il fut submergé par l'émotion. Fais soin de toi est aussi une bonne occasion de découvrir, par des images resplendissantes, une Algérie paisible, celle des routes nationales, de la plénitude du paysage et des petites gens, le plus souvent loin des feux des projecteurs.
Le film met aussi en exergue, par des exemples édifiants, quelques fléaux qui prévalent encore dans la société, celui de la violence faite aux femmes, ou encore celui du racisme primaire dont souffrent encore une catégorie de la population, notamment celle qui habite le Sud.
Ainsi, une des intervenantes, originaire de Biskra, fait part des hostilités de sa belle-famille de la voir épouser leur fils, sous le prétexte qu'elle a la peau noire. Le film a aussi le mérite de faire réfléchir et de susciter le débat, car, bien entendu, il n'est pas question de dire que le spectateur adhère, du début jusqu'à la fin, tout ce qui a été déclaré par les différents antagonistes.
Il n'empêche : personne n'en reste indifférent. Après la projection, un débat a été ouvert, et comme le réalisateur n'était pas présent, on fit appel à lui par voie téléphonique afin qu'il réponde aux questions des spectateurs. On peut affirmer que l'assistance présente à la projection a aimé le film à l'unanimité, car il s'était agi, selon l'avis de beaucoup, d'un film qui donne la parole libre aux citoyens, et qu'il brise pas mal de tabous qui ont la peau dure.
Le seul reproche, émis par quelques personnes, est le fait qu'il soit trop long, dure plus de deux heures. Pour l'anecdote, Fais soin de toi, un titre paraissant au départ saugrenu, est en fait tiré d'une réplique du documentaire, lorsqu'un jeune de Béjaïa lit face à la caméra un texto envoyé par sa copine, et qui se termine par cette «injonction» : «Fais soin de toi.»
A celles et ceux qui ne l'ont pas encore vu, rappelons qu'il sortira dans les salles algériennes en janvier 2019. Enfin, soulignons aussi que le réalisateur a dédié son ?uvre, au générique de fin, à la mémoire de notre collègue Nesrine Sellal, disparue l'été 2014, et qui avait un rôle important dans ce road-documentaire.


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