Sylvie Barbaroux,
romancière française, a écrit plusieurs livres, principalement sur ses voyages
dans de nombreux pays arabes dont l'Egypte, l'Algérie, la Libye, la Tunisie et d'autres pays
arabes. Dans cette interview, nous essayons de se rapprocher de son expérience
dans le domaine de l'écriture romanesque et connaître les raisons derrière la
passion de cet écrivain pour tout ce qui touche à la culture arabe et islamique
en général.
- Le romancier
britannique Graham Greene a dit une fois, Que l'écriture est une sorte de
psychothérapie. Que pensez-vous ?
Je suis
entièrement du même avis que Graham Greene. J'ai commencé à écrire en 2002 en
laissant évader mon esprit dans mes souvenirs et mon imaginaire pour palier à
mes difficultés du quotidien, souvent décevant car l'Occident est loin d'être
un paradis ; la vie et les mentalités étant si divergentes avec l'Orient. Je
conseille souvent l'écriture à mes amis qui sombrent dans la déprime voire la
dépression. Si elle m'a aidée, pourquoi ne serait-elle pas un très bon
médicament pour les autres ? Encore faut-il vouloir prendre un papier et un
stylo… ! L'écriture est le meilleur palliatif et remède que je connaisse.
-L'Egypte a
toujours existé dans vos livres Quelle est la source de cette grande passion ?
Ce fut en avril 2000 que je découvris, pour la
première fois, l'Egypte durant deux semaines de vacances, en voyage organisé.
Lorsque le dernier jour, l'avion s'arracha du tarmac de l'aéroport du Caire Matar El Gedid, je me mis à
pleurer comme une enfant laissant sa mère. Je laissais une partie de moi en Egypte.
Je ne peux l'expliquer. Depuis, je n'ai eu de cesse de m'y rendre tous les ans,
même une fois divorcée, seule en toute liberté, à prendre mes billets d'avion,
de train, comme une Egyptienne ! D'ailleurs je connais mieux Le Caire que
Marseille ! Depuis, j'y ai de très grands amis égyptiens coptes et musulmans,
du Caire à Assouan ! Tout d'abord, mon intérêt se porte sur l'histoire
ancestrale de ce pays, ses temples, ses pyramides, ses tombes, ses musées.
Cependant, je ne peux voyager sans me rapprocher du peuple, quelle que soit sa
catégorie sociale, du journaliste au fellah, et les instants échangés autour
d'un plateau repas par terre durant le El eftour, ou
devant un thé, sont des moments d'amitié qui comblent les âmes de tous, et les
retrouvailles sont si fortes que la preuve de l'amitié sincère est bien
présente. Alors, je ne suis plus une touriste lambda, mais une personne tout
simplement qui aime les gens. De cette passion est née aussi une amitié avec
des égyptologues, des fellahs de Louxor, d'Assouan, où des privilèges s'ouvrent
à moi si bien sur un site de fouilles que dans une maison paysanne des terres
de Haute Egypte, et aussi auprès de « ma famille adoptive cairote». L'Egypte
est ma seconde terre mère. J'espère un jour pouvoir y vivre, à Assouan ou à Bahariya, sublime oasis dans le Désert Libyque. Inch'Allah !
J'ai commencé à
écrire mon premier roman «Le secret du Fayoum» à Louxor en juillet 2002 après
avoir passé une semaine dans le Désert Libyque. Ce lieu m'a attirée, et
l'Egypte est si mystérieuse, si envoûtante qu'elle m'a inspirée et m'a ouvert
les portes de l'écriture publiée. D'ailleurs, j'écris actuellement mon tout
premier roman policier dont l'histoire se déroule sur un site de fouilles à Saqqarâ, et dont le titre sera « La vengeance d'Horus ».
-Pensez-vous que
la malédiction des pharaons existe vraiment ?
Oh non, la
malédiction des pharaons n'existe pas ! Cela n'est qu'un mythe des 19 et 20ème
siècles où la science était bien plus arriérée qu'aujourd'hui. Imaginez-vous
Howard Carter, le jour de l'ouverture de la tombe de Toutankhamoun
! Dans la tombe il y avait du bois, des étoffes, de la nourriture, des
boissons, son corps qui, même momifié et embaumé, continuait à se décomposer…
Alors, sitôt un trou dans le mur s'était fait que des bactéries enfermées
depuis des millénaires s'envolent et se mêlent à l'air ambiant que Carter
respirait. Et une simple piqûre d'insecte, sur une peau dont l'épiderme
contenait ces bactéries millénaires, avec des antiseptiques peu élaborés et
pratiquement inefficaces et c'était l'infection garantie, et le mal se
propageait rapidement… Alors que je ne suis pas du tout superstitieuse, je suis
une miraculée d'un tragique accident que j'ai subi le vendredi 13 avril 2007 à
Louxor/Est, dans la cuve d'un ascenseur absent, dans un hôtel et qui m'a valu
une chute libre, dans le vide, sur 5 étages… Morte quelques instants, je suis
revenue pourtant à la vie, avec force, courage et souffrance, et très
rapidement j'ai remarché…
Alors, peut-être
qu'Isis m'a protégée pour m'éviter une éternité auprès de son défunt mari et
frère Osiris ? D'une malédiction à Thèbes/Est, voici une bénédiction, ne
trouvez-vous pas ?!
-Vous avez une
plume d'or. Quel est le secret de cette écriture douce claire et éloquente ?
Oh, je vous
remercie pour ce compliment très flatteur ! Mon secret ? Rester moi-même, une
femme simple, avec beaucoup de vécu. J'écris avec mon cÅ“ur. J'aime la vie, les
gens qui méritent mon attention. Je pense que ce cocktail de sensibilité et
d'humanité reste et restera mon unique fortune ! Toujours voyager avec les yeux
ouverts, en relativisant, sans m'apitoyer sans fondement. Le fait d'avoir vécu
sept années en Libye, à Tripoli, d'avoir voyagé en Tunisie, au Maroc, dix ans
d'Egypte, j'ai aussi compris les différences existentielles, le respect des
religions, des gens, du vieillard au plus jeune, du plus pauvre au plus riche,
car je n'oublie jamais que je fais partie des « pauvres Français », sans emploi
(perdu à cause de mon accident et suis à présent dans la plus grande
précarité), simplement. Pourtant, partir m'échapper au moins une fois par an,
coûte que coûte, reste pour moi une nécessité qui, à mon retour, active mes
envies d'écrire. C'est aussi dans les difficultés de l'existence que j'apprends
la modestie, guidant ainsi sur papier ce qui m'a touchée ou déplu. J'ai eu deux
vies, je refuse de vivre la seconde comme la première. Aussi, l'Egypte m'a
appris la fragilité de l'existence, alors je vis autrement que nombre d'autres
Français… ! Peu importe ce que j'ai dans l'assiette, le principal étant de
nourrir mon esprit d'échanges, de partages, de découvertes, et soudain, mon
cÅ“ur devient plus rempli que mon estomac ! Tout cela guide ma sensibilité sur
le papier, avec générosité.
-Que pensez-vous
de ce qui se passe ces jours-ci dans le monde arabe ?
Je ne fais pas de
politique ; très rarement chez moi ! Ce que je peux en dire est que les
révoltes tunisiennes étaient évidentes ; la Tunisie est le plus petit et le plus pauvre pays
d'Afrique du Nord, et la jeunesse ne se laisse plus « manipuler» comme ses
parents et grands-parents, c'est légitime. Quant à l'Egypte, j'avoue que cela
fait plus de deux ans que je sentais sur place un changement dans les
comportements des Egyptiens, comme de l'agressivité à l'égard des touristes,
des étrangers, je ne retrouvais plus la même ambiance, ce charme qui me berçait
vers des rencontres et des amitiés fortes, tout semblait s'envoler. Je sentais
un malaise, que quelque chose se préparait ; et je ne me suis pas trompée… A
présent, la Libye
(pour rester en Afrique du Nord et Moyen-Orient)… Dans ces pays, on se fait
tellement d'idées (fausses) sur le soi-disant confort occidental… Cependant,
l'oppression de ne pouvoir s'exprimer aussi par un vote équitable, législatif,
pour le peuple est une frustration qui doit changer. Pourtant, une chose me
gêne, me préoccupe : je ne comprends pas pourquoi ces révoltes, sans avoir pris
la précaution de créer un nouveau parti jeune, plus moderne, plus démocratique
(dans la clandestinité, pour éviter l'emprisonnement), avant la révolution… ?
Car tout pays, quel qu'il soit, ne peut se gérer seul. Ce que je crains
aujourd'hui, c'est que les peuples soient déçus, qu'il n'y ait pas le
changement voulu, et tout cela parce que reviendront aux pouvoirs des hommes
qui ont toujours, encore, des idées rétrogrades. J'espère très sincèrement
retourner dans quelques années dans ces pays qui sont si chers à mon coeur, et
voir les gens heureux, même si nous savons que, malheureusement, il y aura
toujours des riches et des très pauvres en Orient comme en Occident. Trop
consciente de cela, ça sabre le moral. Je ne peux que radicaliser en disant que
lorsqu'on naît pauvre on devient rarement riche… Oui, je comprends les révoltes
orientales actuelles, je les suis avec attention, en espérant que les batailles
ne seront pas vaines… Inch'Allah, comme on dit… Et Mabrouk pour l'avenir ! Je considère aussi que l'Occident
doit laisser les peuples agir pour leur bien-être, et n'intervenir que si
l'Orient sollicite de l'aide. Un «nouveau pays » doit être construit par ses
enfants.
- Comment
voyez-vous le roman arabe contemporain?
J'ai très peu lu
de romans arabes, et je le regrette. J'adore la sensibilité de Yasmina Khadra (que j'ai croisé dans ma ville le 12 février 2011
!), le grand et très célèbre Naguib Mahfouz, Alaa El Aswany avec son best seller L'immeuble Yacoubian
, Marek Halter avec, entre autre, « La
Bible au féminin » ne sont que pures merveilles. Dommage que
je ne sache pas lire l'arabe, car j'aurais aimé lire les originaux et faire ma
propre traduction. La littérature arabe est magnifique, aussi harmonieuse que
ses arabesques… J'apprécie énormément la plume arabe, même dans les journaux
comme le « Al Ahram », « Le Progrès Egyptien », j'y
trouve de la poésie, mais surtout de la délicatesse dans les mots qui sont
choisis à la perfection pour éviter des heurts en favorisant le romantisme. Je
ne sais ce que proposent actuellement, les livres arabes et les journaux, mais
j'espère que la liberté d'expression gagnera du terrain pour que le cÅ“ur ouvert
guide la plume des penseurs d'aujourd'hui et de demain. Ne plus avoir de
censure, laisser les idées s'exprimer c'est respecter la liberté d'exister pour
chaque être humain, homme ou femme. C'est à travers les intellectuels et la liberté
de penser, de s'exprimer que le monde arabe et ses romans progresseront, car
cela n'enfreint aucunement les lois du Coran ; les sourates restent paroles
divines, les pensées des écrivains, elles donnent du rêve et de la réflexion.
Le roman arabe contemporain conservera sa délicatesse des Contes des 1001 nuits
!
- Que pensez-vous
de la femme arabe ?
Je vous remercie
de me poser cette question, Rachid ! La femme arabe aujourd'hui me fait penser
à ma mère et ma grand-mère durant les révoltes françaises de Mai 1968. Elle ne
veut plus être « prisonnière » de son statut de mère et d'épouse, n'être que là
pour servir l'homme, les enfants, et tenir son balai. La femme est courageuse,
la première levée, la dernière couchée et ce, durant toute sa vie (je suis mère
de deux grands enfants adultes à présent, et divorcée à deux reprises, vivant
seule depuis six ans… donc la femme d'ici est la même qu'ailleurs…) La femme a
un intellect, une intelligence tout comme l'homme, seul un petit bémoliserait
dans la force physique. La femme arabe veut travailler, sortir de chez elle et
se sentir utile, avoir des choses à raconter le soir en parlant de sa journée
de travail. De plus, je vous avoue que lorsque je vois une femme répudiée ou
veuve abandonnée, dans la pauvreté la plus extrême, dans la rue, à chasser les
regards autour d'elle, à avoir du mal à tendre la main pour recevoir un morceau
de pain ou quelques pièces de monnaie, j'ai mal au cÅ“ur. Avec de l'instruction,
de l'éducation, la jeune fille pourra mêler une vie professionnelle et
familiale, et si un jour, le mauvais sort entre dans son foyer, elle aura au
moins un travail pour l'aider à survivre avec ses enfants. J'ai un rêve en
tête, totale utopie car je n'aurai jamais d'argent : acheter un grand domaine,
en faire un hôtel restaurant 5* avec uniquement des femmes répudiées et veuves,
en leur offrant les formations adéquates, un lit, à manger, du travail. Dès
qu'elles désireraient avoir leur propre logis, elles en seraient libres. Pour
les motiver à bien faire leur travail, une prime mensuelle leur serait versée
sur un compte bloqué qui, tous les mois de septembre, serait débloqué pour
payer la rentrée scolaire de leurs enfants. Mais, attention, si le travail
n'était pas bien fait, au bout du troisième avertissement, elle serait
renvoyée. Voilà une idée que je lance aux personnes qui voudraient aider ces
femmes et qui en auraient les moyens financiers… La femme arabe doit avoir les
mêmes droits, en tous points, que l'homme. Trop de lois ont été faites il y a
des siècles très lointains. Aujourd'hui, le monde évolue, les êtres aussi.
Alors, j'espère que mes idées ne froisseront personne ; voici ma voix de femme
aux femmes, sans frontière, la voix de l'amour tout simplement et de la paix
surtout.
-Quel est le plus
grand livre à votre avis ?
Voici une
question bien difficile… Jusqu'à aujourd'hui, je vous avoue que j'ai été très
touchée par « Les hirondelles de Kaboul » de Yasmina Khadra
et par « L'immeuble Yacoubian » d'Alaa
El Aswany. Dans le premier nommé, beaucoup d'émotions
qui m'ont touchée en plein cÅ“ur. Pour le second, hormis le fait que l'histoire
se déroule dans mon quartier cairote, j'y ai trouvé de l'audace de lever le
voile sur des sujets tabous.
-Il y a beaucoup
d'orientalistes qui ont déformé l'histoire arabe et ne sont pas neutres dans
leurs écrits... Mais d'autre part il y a les orientalistes qui
ont fourni de précieux services dans ce domaine... n'est-ce pas ?
Oui, en effet, et
par respect de la pensée de chacun, je n'en nommerai aucun. C'est à travers les
divergences d'opinions que les avis et que le dialogue peuvent s'ouvrir.
L'histoire se fait par la politique, les conflits, les guerres,
malheureusement. Je pense que tant que la religion restera mêlée à la
politique, l'histoire arabe ne pourra pas trop changé et les conflits
d'opinions seront toujours très, trop divergents. Je suppose que tous les
orientalistes ont vécu dans les pays arabes pour porter leurs avis et être
crédibles, car ce n'est pas uniquement dans des livres que l'on consulte derrière
un bureau, que l'on peut comprendre l'histoire et le présent
arabes. C'est ainsi que, personnellement, je pense et ressens les
changements, les craintes des peuples, leurs colères, leurs espoirs ou leurs
remords. On ne doit pas déformer l'histoire, quelle qu'elle soit, mais la
décrire réellement comme elle est. Et puis, qui sommes-nous ? Et les
orientalistes qui sont-ils de plus que le commun des peuples, pour déformer…?
En montrant l'histoire telle qu'elle est, c'est ouvrir les yeux des peuples
pour que les mêmes erreurs cessent et ne se reproduisent plus ; là, alors, il
s'agit de précieux services aux peuples et pour l'histoire !
-Vous avez choisi
de superbes photos du désert égyptien et arabe. Ce qui signifie que vous avez
un troisième Å“il élégant Est-ce l'appareil photo est mieux que la plume pour
exprimer votre vision du monde ?
Rachid, toutes
les photos que vous avez pu voir sur les déserts libyque
et arabique égyptiens sont les miennes. Là, je souris en vous répondant ! Car,
surtout en Egypte, mes amis m'appellent « Japanese Woman » ! Je ne sors jamais sans mon appareil photo ! C'est
simplement qu'en rentrant chez moi, j'apprécie de revivre, sans cesse, mes
souvenirs du terrain, je me souviens, alors, des mots, des phrases échangées
dans mon arabe basique, des parfums…
Je partage ainsi
mes photos, mes souvenirs sur mon blog, mon facebook, pour faire découvrir des contrées peu visitées,
aux éventuels touristes qui désireraient s'y rendre, ou tout simplement,
n'osent pas ou ne connaissaient pas ces endroits fabuleux ! Chacune de mes
photos a été prise par une attirance instantanée à un moment précis. Un regard,
un sourire, une attitude, un coucher de soleil… Alors, d'une simple photo que
je regarde à nouveau lorsque j'ai la nostalgie du pays, seule chez moi, je
prends ma plume et me mets à écrire un roman, un récit de voyage, créer un
livre photo comme pour le « Jardin Majorelle » à Marrakech. Mes yeux sont mon
premier appareil photo ! Alors, oui, c'est à travers ce que je vois,
photographie et analyse autour de moi, tous les jours, où que je sois, que le
monde réel se dessine et mon esprit alors l'étudie. Suivant le cas, mes images
et mes mots auront la couleur pastelle, ou inversement, couleurs sombres du
monde moderne actuel qui me désole. Mais je ne dis pas que l'appareil photo
soit mieux que la plume. Non. Les deux sont complémentaires. Car d'une photo,
les avis de chacun pourront être bien différents. Quant à la plume, l'auteur se
doit de transmettre ses émotions sans qu'il puisse y avoir interprétation.
Des lecteurs
aimeront et d'autres pas ; mais ils auront lu les idées de l'auteur,
essentiellement. Si un auteur écrit à partir d'une de ses photos, sa plume sera
l'arabesque qui orne une salle de prière dans une mosquée (ou une église). Le
bâtiment étant alors l'âme, l'esprit, la pensée, et l'arabesque de quelques
versets coraniques (ou passages de la
Bible), enjolive le complément d'idées.
*Ecrivain et
journaliste
-
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Posté Le : 11/08/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Rachid Filali*
Source : www.lequotidien-oran.com