Algérie

Une petite librairie pour «ouvrir les esprits»



A Singapour, le nombre de librairies se compte sur les doigts des deux mains. Certaines de ces boutiques ont traversé les générations, d'autres sont nées en pleine ère du numérique. C'est le cas de BooksActually, petite librairie indépendante d'un quartier familial de la cité-Etat d'Asie du Sud-Est.Tiong Barhu fait partie de ces quartiers résidentiels de Singapour où il est encore possible de flâner loin du tumulte de la circulation. Ici, les grandes enseignes n'ont pas encore remplacé les habitations. Le linge sèche toujours à la fenêtre au gré de la météo. Le week-end pourtant, l'image du quartier change quelque peu. Au numéro 9 de la rue Yong Siak, de nombreuses personnes, toutes nationalités confondues, entrent et ressortent d'une petite boutique : BooksActually.
A l'entrée, Pico, le chat de garde, trône fièrement sur une pile de livres.
Il fait partie des trois «hôtes permanents» que la librairie héberge. Cake et Lemon, les deux autres matous, ronronnent sous les caresses des clients. Des lampes dispersées dans tout le magasin apportent une atmosphère chaleureuse et intime. S'il ne faisait pas 30°C à Singapour, une cheminée ne jurerait pas dans le décor. L'ambiance cocooning de la semaine laisse pourtant place à l'euphorie le week-end où la librairie ne désemplit pas.
«Vous ne trouverez pas de Cinquante nuances de Grey ici !»
Eugene, un Singapourien de 27 ans, se rend régulièrement à BooksActually, «J'aime l'odeur du livre mais je viens surtout ici car je peux trouver des ouvrages controversés», explique-t-il. Alors que l'homosexualité est toujours interdite dans la cité-Etat, que les manifestations et débats publics sont limités et que l'opposition politique est pour ainsi dire inexistante, la liberté d'expression se fraye tout de même un chemin entre les lignes des livres.
Kenny, le fondateur de BooksActually, ne se prive pas. «Je vends de tout. Je ne sens pas du tout la censure. Vous êtes dans une librairie indépendante, ici. Je ne perçois pas d'aide de l'Etat. Evidemment, je ne vends pas de livres à caractère haineux», explique-t-il. Le libraire prend d'ailleurs un malin plaisir à exposer le Marquis de Sade à hauteur de regard sur l'une de ses étagères. «Vous ne trouverez pas de Cinquantenuances de Grey ici», ajoute-t-il avec l'oeil qui frise.
L'étagère poésie est, elle aussi, bien garnie. Un genre littéraire très populaire à Singapour. «J'essaie de vendre de la poésie accessible et de promouvoir nos auteurs locaux, mais surtout de bons livres», explique Kenny. Il y a sept ans, Kenny Leck a monté sa propre maison d'édition, Math Paper Press, pour donner une chance aux écrivains singapouriens qui n'auraient pas trouvé de soutien financier auprès de l'Etat. Aujourd'hui, ces mêmes auteurs viennent régulièrement à BooksActually lire leurs ouvrages aux oreilles curieuses.
Devoir de mémoire
Mais ici, les histoires ne se racontent pas seulement dans les livres. Au fond de la boutique, des objets d'un autre temps sont exposés. Ju, jeune femme d'une trentaine d'années taquine sa petite soeur. «Tu vois, ça, c'est une cassette», lui explique-t-elle ironiquement. Cassettes, vinyles, verres, bouteilles vides, du sol au plafond les trésors de nostalgiques remplissent des étagères qui semblent avoir remplacé les murs.
«Lorsque j'ai ouvert ma librairie il y a douze ans, j'ai placé ces vieux verres à pied en décoration, un client m'a demandé s'ils étaient à vendre. A Singapour nous sommes très pragmatiques et l'homme d'affaires que je suis à sauté sur l'occasion : "Bien sûr monsieur que ces verres sont à vendre !"». Depuis, Kenny, collectionneur devant l'Eternel, vend toute sorte d'objets vintage. Certains font d'ailleurs partie de sa propre collection, «des chapitres de son enfance» comme il aime à dire. Bien sûr, ceux qui ont une valeur sentimentale resteront dans son jardin secret.
A Singapour, où vivent 6 millions de personnes, les changements se font très rapidement. «C'est la mémoire de nos grands-parents qu'il y a ici et que l'on doit conserver», explique-t-il, avant d'ajouter, «le devoir de mémoire se fait grâce aux livres évidemment, mais aussi à travers un simple verre, une simple tasse qui, de mains en mains, ont traversé les années».
«Je vends des livres, oui, juste des livres !»
BooksActually n'est pourtant pas de ces établissements qui se transmettent de génération en génération. La librairie a ouvert il y a douze ans grâce à la volonté de Kenny Leck, dévoreur de livres dans l'âme. Après avoir passé son enfance dans les bibliothèques, Kenny, fils d'un chauffeur de taxi et d'une femme de ménage, refuse le parcours classique de ses camarades qui vont à l'université. Une fois son service militaire obligatoire terminé, il est embauché par Borders, la chaîne américaine de librairie.
Quatre ans plus tard, il décide de monter son propre établissement. Les débuts ne sont pas simples. Les librairies ne font pas, ou très peu, partie du paysage singapourien. «Au départ, les gens me demandaient s'il s'agissait d'un espace de travail. Je leur répondais simplement : «Je vends des livres, oui, juste des livres !» Ils avaient du mal à croire que l'on puisse vendre simplement des livres», se souvient Kenny. Douze ans plus tard, si BooksActually a gagné en popularité, la librairie reste à taille humaine et toujours aussi chaleureuse. Prochaine étape pour le libraire : se mettre aux ebooks, les livres sur Internet. «J'ai déjà du mal à ouvrir mes mails, ironise-t-il. C'est un sacré défi pour moi, mais le plus grand défi est bien évidemment de réussir à ouvrir les esprits».


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