Il y a quelques
semaines, j'ai publié une chronique pour tenter de décrire le sentiment
d'impuissance éprouvé vis-à-vis du drame du peuple syrien (1). Ce sentiment est
loin d'avoir disparu. Bien au contraire, il s'est aggravé et j'en suis réduis à
reconnaître mon incapacité à formuler la moindre once d'optimisme quant à cette
guerre civile et confessionnelle qui commence à peine à dire son nom. Il faut
aussi relever qu'il est très difficile de s'exprimer à propos de la Syrie. Alors que
chaque jour, des civils meurent par dizaines, on en est encore, du moins dans
le monde arabo-berbère, à subir les habituels mais ô
combien fréquents délires conspirationnistes. Jour
après jour, via internet, via des blogs,
des Syriens racontent leur terrible sort mais cela ne semble pas suffire à
convaincre celles et ceux qui parlent de complot et qui nous expliquent que les
tueries de civils sont des machinations ourdies par des agents provocateurs à
la solde de l'Occident et de l'entité sioniste (une phrase digne des années
1970 et qui retrouve actuellement une nouvelle jeunesse).
Voilà donc Bachar al-Assad et son régime
parés de toutes les vertus. Ils seraient le dernier rempart, la dernière digue
face aux appétits d'un Occident décidé à prendre, ou à reprendre, le contrôle de
tout le monde arabe. Etrange renversement de situation où l'anti-impérialisme
pousse à une indulgence coupable vis-à-vis d'une dictature sanguinaire qui n'a
jamais épargné ses opposants et dont on se demande de quoi elle peut bien se
prévaloir en matière de résistance et de victoires face aux « ennemis » de la
nation arabo-musulmane. De quoi Assad
père et fils sont-ils le nom ? Hors propagande, de quels combats réels, de
quels succès leur régime - cette djoumloukiya ou
république monarchique - peut-il se prévaloir ? Bachar
al-Assad, héros du monde arabe ? Si c'est le cas,
alors peut-être vaut-il mieux faire partie du camp des traîtres…
Au-delà de
l'horreur et de l'indignation que peut susciter ce qui se passe à Homs, Hama ou
ailleurs, il est évident que la thèse du complot en dit long sur l'état de
désarroi actuel du monde arabe. Certes oui, les révolutions se grippent ou
tournent mal. Certes, les urnes ont offert le pouvoir à des islamistes qui
commencent à montrer les crocs. Mais est-ce une raison pour sombrer dans le complotisme ? Il faut reconnaître que l'une des questions
que nous pose la situation syrienne n'est pas simple. Est-ce parce qu'elle est
défendue par des acteurs peu recommandables ou qui ont prouvé par le passé que
l'on ne pouvait leur faire confiance qu'une victime a moins de droits ? Pour
être plus précis, le fait que le Qatar soit à la pointe de l'action
diplomatique contre le régime d'Assad (n'oublions pas
l'Arabie Saoudite) justifie-t-il que l'on puisse se détourner de la souffrance
des Syriens ou, plus grave encore, que l'on puisse en douter ? Il est évident
que l'émirat a son propre agenda et que la subite affection de son souverain et
maître pour la démocratie (à condition que cela ne soit pas chez lui ou dans le
Golfe) doit beaucoup aux conseils amicaux et calculs de ses parrains
étasuniens. Mais il n'empêche : dans cette affaire, le camp occidental et ses
alliés (arabes et turc) sont, qu'on le veuille ou non, du côté des victimes.
Faut-il donc se jeter dans les bras d'Assad parce que
la France et
les Etats-Unis tentent d'obtenir son départ ?
Bien entendu, il
est impossible de ne pas tenir compte de l'histoire récente. L'Irak depuis
2003, la Libye
depuis l'automne dernier nous montrent à quel point la chute d'une dictature peut
générer le chaos et une régression dramatique qui remet en cause les fondements
même du pays concerné. C'est ce qui rend la situation actuelle compliquée cela
d'autant que nous semblons revivre une résurgence de guerre froide, la Russie et la Chine ayant décidé de ne pas
abandonner le régime syrien ne serait-ce que parce qu'il est l'un de leur
meilleur client en matière d'armement. Et là aussi, comme pour la chronique
mentionnée précédemment, il ne faut pas oublier de dire que les pays
occidentaux qui ont tordu le coup à la résolution 1973 de l'ONU (protection des
civils libyens) en la transformant en blanc-seing pour organiser la chute de
Kadhafi, portent aujourd'hui une énorme responsabilité dans ce qui arrive au
peuple syrien. Car c'est bel et bien le souvenir de ce tripatouillage peu
glorieux qui incite Moscou et Pékin à opposer leur veto à toute résolution
condamnant le régime de Damas.
On peut
reconnaître sa propre impuissance. On peut déplorer l'incapacité de la
communauté internationale à obliger Damas à respecter l'intégrité physique de
son peuple. On peut même critiquer l'opposition syrienne pour ses divisions et
certaines de ses accointances. Mais on n'a pas le droit de renvoyer dos-à-dos
la victime et le bourreau. On n'a pas le droit de trouver des excuses au régime
de Bachar al-Assad et
encore moins de le disculper. C'est bien pour cela qu'il faut abandonner la
théorie du complot à celles et ceux qui n'ont ni les moyens ni l'envie de
réfléchir autrement…
Note:
(1) Les enseignements du drame syrien, jeudi 1er
décembre 2011.
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Posté Le : 09/02/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Akram Belkaid: Paris
Source : www.lequotidien-oran.com