Une partie de la mémoire des Constantinois s'en va

A. Lemili«Ils sont entrés comme s'ils étaient chez eux.» «Eux» ce sont des travailleurs chinois qui ont investi la salle de cinéma Cirta pour commencer à déblayer les décombres. Des décombres est-il besoin de le rappeler qui s'y trouvaient depuis....1995, soit près de vingt ans, sans que jamais rien n'ait été tenté pour redonner une allure à la salle mythique, tellement chère aux Constantinois pour ce qu'elle leur rappelle de souvenirs personnels.«Ils», ou sinon les Chinois, sont entrés comme chez eux mais en prenant tout de même le soin de se diriger vers les cinq agents de la cinémathèque qui palabraient des conditions de vie devenues difficiles, des dépenses exorbitantes de la veille, des sucreries qui ont terminé leur course dans le sachet d'ordures mais aussi du «virement qui n'arrive toujours pas» pour se présenter munis «...d'une espèce de bidule qui se chargeait de traduire leurs pensées en langue nationale et en français, c'est selon», nous dira H. C., un retraité de la salle de répertoire qui de temps à autre passait saluer les «anciens».C'est donc désormais acquis, l'établissement de gestion touristique de l'Est a récupéré une salle dont les responsables ont tellement bataillé par tribunaux interposés, des tribunaux qui les ont pourtant et à chaque fois désavoués, et ce jusqu'à la Cour suprême laquelle a donné gain de cause au département de la Culture. Toutefois malgré le retour dans son giron, ledit département n'a jamais rien fait pour réhabiliter la salle Cirta.Mais c'est également au-delà de la seule salle que s'étend l'hégémonisme durepreneur, en l'occurrence l'EGT qui n'est en fait que l'exécuteur des hautes ?uvres de milieux d'affaires nettement plus importants, plus influents et surtout visionnaires, dont le groupe Sheraton. En effet, Cirta-Films, la société de production et de distribution de films laquelle, depuis 1999, occupe une grande partie des annexes de la salle a été informée de vive voix par des responsables (EGT, direction de wilaya du tourisme et semblerait-il d'un émissaire du premier ministère) qui ont fait le déplacement sur place pour se voir invités à déménager dans «les délais les plus brefs». Vraisemblablement juste après le mois de Ramadhan. Quoiqu'il en soit, l'opération dans son ensemble a quelque peu de retard sur le timing prévu sachant que l'hôtel Cirta, ce palace par lequel tout est en train d'arriver compte tenu de la réhabilitation majestueuse dont il sera, est-il dit, l'objet dans la mesure où celle-ci devait être entamée depuis le début du mois en cours. Des aménagements pharaoniques vont être entrepris à l'effet de transformer dans le plus infime détail les lieux, notamment l'environnement extérieur avec la démolition de nombreux fonds de commerces afin de matérialiser les modifications prévues et qui ne sont pas des moindres puisqu'il est question de la réalisation de SPA, centre de remise en forme et d'une piscine aux normes internationales prévalant dans le secteur de l'hôtellerie. En prévision de ce qui s'annonce comme un grand chantier pour les dix mois à venir, les délais contractuels étant de neuf, les commerces de laine et autres fast-foods ont fait l'objet d'une compensation financière et d'un espace devant accueillir l'activité.Enfin, la réhabilitation des lieux ne se limite pas uniquement au mythique hôtel Cirta, mais également à l'autre propriété de l'EGT Est, en l'occurrence Le Panoramic, situé à quelques centaines de mètres, mais, s'agissant notamment de parking (un espace essentiel en hôtellerie), aux conditions d'accueil de la clientèle très restreintes pour ne pas dire inexistantes.Notons pour l'anecdote que les curieux font une halte quasi mystique depuis le jour où les Chinois ont commencé à s'affairer sur les lieux. En premier, c'est le dynamisme qui retenait au plus haut degré l'attention des badauds, ensuite, ces derniers ne pouvaient s'empêcher de s'imprégner pour une dernière fois de l'image de lieux qui ont fait leur enfance et celle de leurs parents.A. L.