Algérie

Une nuit à Agouni-Fourou



De notre envoyé spécial aux Ouacifs, Mohamed Kebci
La wilaya de Tizi-Ouzou a enregistré, avant-hier, une série de feux de forêt d'une dangerosité sans pareille, mettant en péril des populations entières laissées seules face à cette tragédie.
Il était près de treize heures quand un appel à la mobilisation générale retentissait du haut du minaret de la mosquée d'Agouni-Fourou, vaste et populeux village de la commune d'Aït-Toudert, dans la région des Ouacifs, à près de cinquante kilomètres du chef-lieu de la wilaya de Tizi-Ouzou. Le préposé à l'appel invitait sur un ton grave les villageois à se munir de pelles et de pioches pour éteindre un important feu de forêt qui s'était déclaré à Ighil-Boulemane, sur le chemin communal qui ceinture le village par le bas. C'est alors que des centaines de jeunes villageois, armés de l'outillage demandé, se sont rendus instantanément sur les lieux. Sauf qu'au lieu d'un seul foyer, il fallait faire face à plusieurs autres qui se sont déclarés simultanément en plusieurs endroits de la forêt dense et touffue qui ceinture le village sur près de trois kilomètres. Et le vent violent qui soufflait, ajouté à la très forte chaleur sévissant dans la région, n'a pas été pour faciliter la mission des nombreux volontaires dont les rangs grossissaient à la faveur de l'arrivée de renforts venant des villages et communes environnants comme Aït-Aggad et Aït-Ergane.
Des renforts pas qu'en ressources humaines, puisque des communes qui ont répondu instamment à l'appel de détresse lancé par le comité de village sur les réseaux sociaux ont diligenté sur les lieux des camions citernes. Et par malchance, les foyers de feu se multipliaient avec un vent qui redoublait de férocité au grand dam des volontaires appelés ainsi à agir sur plusieurs points. Au point de frôler la catastrophe avec l'arrivée des toutes premières flammes tout près de maisons situées en retrait du village vers quinze heures. Une vieille femme a été évacuée, atteinte par les flammes en quittant sa demeure. Fort heureusement qu'elle en est sortie indemne alors que la rumeur de son décès a circulé longuement.
À un certain moment, on a cultivé l'espoir d'une sortie de cet enfer avec l'arrivée annoncée sur les lieux de canadairs et de renforts d'Alger, dans la foulée d'une visite éclair dans la commune du wali. Des promesses qui se révélaient être de simples paroles en l'air et les rappels du maire, vains, ont fini par convaincre les volontaires qu'il ne fallait compter que sur soi-même.
Sauf que leur bravoure et leur volonté se sont révélées insuffisantes face à la furie des gigantesques feux qui ont pris comme à la gorge le village. Vers 21h, les flammes de près de dix mètres de hauteur arrivaient au-devant de bien des demeures du côté notamment de Tighilt-Zeggaghen-Asyakh que les occupants commençaient à fuir, la mort dans l'âme, dans une atmosphère de pleurs et de cris stridents de femmes et d'enfants. À cet instant, la conviction de ne plus pouvoir poursuivre cette bataille inégale était largement partagée et l'ordre fut donné d'évacuer les maisons notamment celles des quartiers de Buchiker, Agouni-Mellidi et Taddart. Les rues et ruelles du village étaient alors prises d'assaut par les femmes, les enfants, les vieux et les vieilles, certains en direction de l'école primaire, sise à Tamourt-Oufella, épargnée par les feux, alors que la majorité des familles était évacuée soit chez des proches aux Ouacifs et autres villages environnants comme At-Aggad et Agouni -Gueghrane qui ont offert le gîte et la pitance le temps de cette nuit qui restera gravée dans la mémoire de ce village martyr qui, à lui seul, a fait don de pas moins de 110 de ses meilleurs fils et à la fleur de l'âge pour l'indépendance nationale.
Le lendemain, et tôt dans la matinée, les familles ayant quitté leurs maisons ont commencé à y retourner, heureuses et ravies de les trouver indemnes. Seuls quelques foyers de feu étaient encore signalés la matinée du côté du vieux quartier de Taddart, maîtrisés, alors que d'autres feux, mineurs, étaient également enregistrés en toute fin de journée vite étouffés par des éléments de la Protection civile et des volontaires du village.
Ceci dit, les villageois d'Agouni-Fourrou comme ceux des villages voisins, At-Toudert, Tougenseft et Tahchat notamment, ne sont pas prêts d'oublier cette nuit cauchemardesque avec le sentiment profond qui représente le cadet des soucis de ceux censés leur venir en aide en pareille tragédie, eux qui parlent crûment de situation de «non-assistance à populations en danger de mort», comme a tenu à le souligner avec force, un septuagénaire.
Hier, le village comme toute la région des Ouacifs, offrait une image de désolation qui renseigne sur l'étendue des dégâts occasionnés à la flore mais également à certains particuliers qui ont perdu, qui un atelier de menuiserie, qui un hangar et qui un véhicule, calcinés par la furie des feux. Et des foyers s'étaient aussi déclarés du côté de la commune d'Aït-Boumehdi, notamment.
Il faut, ceci dit, mettre en valeur l'esprit de solidarité qui s'est manifesté à l'occasion de cette tragédie avec des bienfaiteurs anonymes dont certains,ont mis leurs maisons à la disposition des familles évacuées de leurs demeures menacées par les feux, alors que d'autres continuaient encore hier, à offrir lait, eau minérale, pain, gâteaux, couches et autres lingettes aux villageois touchés par ces feux.
D'autant plus que l'approvisionnement en eau et en électricité n'est toujours pas rétabli a contrario de celui en gaz naturel remis en marche mardi soir, alors que les réseaux téléphoniques mobiles Ooredoo et Djezzy étaient encore inopérants.
M. K.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)