Une fuite dans les installations de la plateforme pétrochimique a provoqué l’apparition d’une nappe de brut à quelques dizaines de mètres des plages de Skikda. Alors que les autorités déclarent que l’incident est clos, les pêcheurs affirment que la fuite continue et que la marée noire s’aggrave.
Depuis la plage du Titanic, on aperçoit une grande nappe noire. A une cinquantaine de mètres de la côte, elle s’étend sur plus d’un kilomètre. Bien plus loin, au large, deux taches rouges, les stations de pompages des sea-lines de la plateforme pétrochimique de la ville. C’est de là que provient le pétrole qui pollue la baie de Skikda. A l’origine, ces plateformes rouges, servaient aux bateaux bien trop grands pour s’approcher de la côte. Ils pouvaient ainsi pomper le pétrole via de gros tubes, que l’on appelle sea-line. Mais depuis plus d’un an, les sea-lines ne sont plus utilisés.
Selon les associations, les intempéries ont secoué les installations, une fissure a fini par apparaître et le pétrole se serait écoulé dans la mer, provoquant une marée noire. Car malgré l’arrêt de l’exploitation, le pétrole présent dans les sea-lines n’a pas été pompé. Dans le port de pêche de Stora, c’est le désespoir. «La nappe est très grande, elle fait environ 150 mètres de large», indique le patron d’un sardinier. Emmitouflé dans un anorak bleu marine, bonnet vissé sur la tête, un marin est exaspéré : «On ne peut rien pêcher. Avec ce pétrole, nos sondeurs ne peuvent pas repérer les bancs de poissons. Et même si on lançait les filets, tout ce que je pourrais remonter sera imbibé de brut».
L’agacement est général. Un sardinier vient de rentrer. Sur le pont, pas de poisson, mais un énorme bidon de 20 litres, remplit d’un liquide noir. Les marins se sont regroupés. «Ça continue de fuir. Quand on est à côté, il y a une forte odeur, c’est difficile de respirer!» Ils ont rapporté un peu de pétrole dans une bouteille en plastique pour la montrer, le lendemain, aux fonctionnaires du ministère, qu’ils doivent rencontrer. Un marin sort son téléphone portable. Il fouille à travers le journal des appels et montre au groupe qu’il a appelé la capitainerie et les autorités compétentes dès qu’il a aperçu la nappe. Rien n’a été fait. En une semaine, la nappe s’est étendue. En face du port, de l’autre côté de la baie, une immense cheminée laisse s’échapper des flammes. La fumée noire se voit à plusieurs dizaines de kilomètres.
Colère
C’est la plateforme pétrochimique de Skikda, l’objet de la colère des marins. «Depuis l’installation de la plateforme, nous devons respecter de plus en plus de règles pour pêcher. Mais eux, ne respectent rien!», s’emporte un sardinier. Hocine Bellout, président du Comité national des marins pêcheurs, est en colère. «En 2007, un navire iranien a endommagé un sea-line, et 500 m3 de pétrole se sont déjà déversés sur la même côte. C’est la 7e fois que cela arrive. La direction parle d’accident technique, mais ça a trop duré!» En 2008, une fuite se produit lors du chargement d’un tanker, navire transportant le pétrole, chypriote. Des centaines de litres sont déversés dans la mer. Ces accidents à répétition ont un impact sur la pêche. Selon les associations, les bateaux ramènent moitié moins de poisson.
«Le brut tue le poisson, la faune et la flore. Il n’y a plus d’oursins, plus de moules sur cette côte. Sonatrach est en train de polluer les côtés algériennes. On est face à une catastrophe écologiste et personne ne lève le petit doigt!», s’emporte Hocine Bellout. Les responsables de STH, l’entreprise qui gère la plateforme, affirment avoir réagi en propageant du dispersant. Une autre technique qui consiste à utiliser des sortes de buvard absorbant le pétrole. «Les buvards utilisés sont périmés. Du coup, ils coulent et restent au fonds de la mer. La pollution n’est plus visible mais elle est bien là», raconte Hocine Bellout. Mais les risques sur la santé sont encore plus grands. «Dans quelques années, les cancers se multiplieront», assène un militant écologiste d’Alger.
En cause, toujours cette plateforme, que la population ne peut ni approcher, ni prendre en photo et dont les responsables restent en poste, malgré les incidents. «Que peut-on faire? Rien. Absolument rien. Nous sommes condamnés à nous baigner dans une mer polluée, à manger du poisson toxique et à respirer de l’air impropre», soupire un habitant.
Ce que dit la direction de l’environnement
Les quantités de fuel qui se sont déversées du flexible qui relie le sea-line à un bras de chargement du port pétrolier ne dépassent pas «les 100 litres», selon M. Belguidoum, directeur de l’environnement de la wilaya de Skikda. «Nous avons constaté sur place que la quantité de fuel qui s’échappait du flexible était très minime et ne représente en fait que des restes d’hydrocarbures qui se trouvaient contenus dans le flexible du sea-line, à l’arrêt depuis deux années déjà. Nous avons également relevé que la cadence du fuel qui remontait à la surface à partir du flexible, qui se trouve à plus 20 m de profondeur, était de quelques gouttes toutes les demi-heures», ajoute-t-il.
Quant aux répercussions de cette fuite sur le milieu marin, le directeur estime qu’elles sont «nulles». «Les traces de fuel ont été aperçues vendredi dernier vers 10h. Un dispositif d’intervention a aussitôt été mis en place avec le concours des moyens de la Société des terminaux pétroliers (STP), propriétaire des sea-lines, de l’entreprise portuaire ainsi que des garde-côtes. L’opération de dépollution a été engagée et a consisté à déverser du dispersant sur le fuel. A 18h, toute la surface concernée par les traces de fuel a été totalement dépolluée.»
Ce que dit Sonatrach
La pollution a été occasionnée par une «petite brèche décelée au niveau d’une canalisation», a affirmé un cadre de Sonatrach sous le couvert de l’anonymat. Cette canalisation qui relie deux plateformes de la société de transport des hydrocarbures, filiale de Sonatrach, est à l’arrêt depuis un certain temps pour accélérer sa vidange, avant d’entreprendre les travaux de rénovation. «C’est ce qu’il reste dans les canalisations qui est en train d’être rejeté en mer, souligne le cadre de l’entreprise. Les quantités déversées sont moindres que ce que la presse affirme.»
Par ailleurs, un barrage flottant a été mis en place pour circonscrire la pollution. «Cela fait partie du plan d’action habituel que nous mettons en place en cas de fuite de carburant en mer. Nous utilisons en parallèle des dispersants qui permettent une dégradation rapide des molécules.» Le complexe de Skikda a déjà subi une série d’incidents, notamment une explosion sur une plateforme, qui a provoqué de sérieux dégâts dans le complexe gazier.
Khider Ouahab
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Posté Le : 11/02/2013
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: © El Watan Weekend ; texte: Khider Ouahab
Source : El Watan.com du vendredi 8 février 2013